Extraits de ‘’Comme si de rien n’était’’ de Nina Hayat

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« J’aimerais dire qu’il est temps, grand temps, de tourner la page de ces quarante années de cauchemar au cours desquelles des incapables, des corrompus, des affairistes se sont accaparé les richesses de l’Algérie. Je voudrais dire qu’il y en a assez, tout simplement assez des requins au pouvoir qui ont favorisé l’émergence de mutants qui égorgent, massacrent et brûlent au nom d’Allah à qui ils n’ont pas demandé son avis et du Coran qu’ils n’ont parfois pas lu et souvent détourné de son sens.

Je voudrais pousser un grand coup de gueule contre les machos d’un autre âge qui se sont acharnés à limiter la population algérienne à un peuple de mecs en ignorant, en méprisant, pire, en soumettant, plus de la moitié de la population : les fillettes, les jeunes filles et les femmes d’Algérie. Rien, je le dirai, rien ne sera possible pour l’Algérie aussi longtemps que ses dirigeants ne prendront pas la seule décision envisageable, celle de jeter le ‘’Code de la famille’’ aux oubliettes (…)

Je voudrais dire que l’Algérie n’appartient pas plus aux islamistes qu’aux pseudo-militants du FLN qui ont voulu résumer le peuple algérien, depuis l’indépendance, à un peuple arabo-musulman en faisant fi de près de la moitié de la population berbérophone. Et je ne parle même pas de la population francophone qui existe pourtant- j’en suis- et que l’on a eu de cesse de nier. La population algérienne aurait voulu faire la nique aux dirigeants de l’arabisation forcée à la sauce islamique qu’elle ne s’y serait pas prise autrement : quarante ans après le départ des colons, elle s’obstine à parler le français et l’Algérie demeure le deuxième pays francophone au monde …après la France. Je voudrais surtout dire que l’Algérie appartient autant à Enrico Macias, longtemps interdit d’antenne dans son pays natal, à Jules Roy qui n’a pu se recueillir sur la tombe de sa mère qu’escorté par des militaires, à Alexandre Arcady, Roger Hanin, Yves Saint-Laurent et mes amis Catherine et Paul, Françoise et Jean, qui ne parlent du pays de leur naissance qu’avec amour, qu’à Idir, Cheb Mami, Khaled ou Fellag qui font salles combles des deux côtés de la mer, au poète Youcef Sebti, tué à coup de couteau dans sa chambre à l’INA où il enseignait, à Rachid Mimouni et Rachid Boudjedra auxquels les islamistes avaient promis l’égorgement, qu’à Mohamed Dib, Assia Djebar et tant et tant d’autres dont je suis qui n’avons pu et ne pouvons vivre et nous exprimer librement que loin de l’Algérie (…)

Il faut que je le dise : tout, absolument tout, peut-être imaginé et rêvé pour l’Algérie, y compris qu’elle redevienne, le plus vite possible, ce merveilleux pays dans lequel toutes les communautés qui en sont originaires- Arabes, Berbères, Juifs, Européens- et y ont leurs souvenirs et les tombes de leurs morts, pourraient se retrouver en toute fraternité. Oui, je voudrais dire que l’utopie d’aujourd’hui doit être et sera la réalité de demain. Et que, demain, le peuple algérien doit avoir non seulement le droit de vivre dignement, de se loger décemment et de manger à sa faim, mais aussi celui de redécouvrir ces pans cachés de sa culture que des ignares se sont évertués à enfouir sous un vernis de chansons-guimauve et de théâtre de pacotille, pillant quelquefois les bibliothèques, les musées et les parcs des œuvres qui sont propriété collective pour orner les étagères, les salons et jardins de certains de ces messieurs ! (…)

Mais, quarante ans et des torrents de sang plus tard, une certitude demeure : l’utopie d’aujourd’hui sera la certitude de demain ! ».

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