La montagne vue par Mouloud Mammeri

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Choisir de vivre là c’est opter pour la difficulté pas une difficulté passagère, non, celle de tous les jours, depuis celui où vous ouvrez les yeux sur un monde hostile, aux horizons vite atteints, jusqu’à celui où vous les fermez pour la dernière fois.

Il y a un pari d’héroïsme, de folie, ou de poésie doucement vaine à choisir cette vie. La montagne où je suis né est d’une splendide nudité. Elle est démunie de tout : une terre chétive, des pâtures mesurées, pas de voie de grands passages pour les denrées, pour les idées. Dans la montagne où je suis né il ne pousse que des hommes ; et les hommes, dès qu’ils sont en âge de se rendre compte, savent que s’ils attendent qu’une nature revêche les nourrisse, ils auront faim ; ils auront faim s’ils ne suppléent pas à l’indigence des ressources par la fertilité de l’esprit ; la montagne chez nous accule les homme à l’invention. Ils en sortent par milliers chaque année, ils vont partout dans le monde chercher un pain dur et vraiment quotidien, pour eux-mêmes et pour ceux (surtout pour celles) qu’ils ont laissés dans la montagne, près du foyer, à veiller sur la misère ancestrale ; vestales démunies mais fidèles. Quand la force de leurs bras décline, ils reviennent, ils quittent les pays opulents, ceux de la terre fertile et de la vie douce, pour revenir sur les crêtes altières dont les images ont taraudé leur cœur sevré toute la vie

Entretien avec Jean Pélegri

In Culture savante, culture vécue

Ed.Tala- Alger 1990

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