Massacres du 8 mai 1945 : Kherrata n’a pas oublié l’horreur

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Kherrata, la ville martyr du 08 mai 1945, 75 ans après les massacres éponymes subis alors, n’arrive toujours pas à panser ses blessures, ni à exorciser les meurtrissures de ses mémoires. Et pour cause, le mal a été trop profond et ses plaies résonnent encore comme de cinglants coups de fouet dans les têtes, convoquant à chaque fois d’insupportables douleurs.

« C’était l’horreur absolue », se remémore encore, du haut de ses 87 ans, le moudjahid Said Allik, témoin malgré lui, de la mort de cinq membres de sa famille, dont le père, la mère, deux frères et une sœur (Yamina), âgée à peine de quatre  mois, tous exécutés à bout portant. Lui, retranché derrière un rocher, non loin de la demeure parentale a eu la vie sauve mais il s’en est sorti avec un traumatisme marqué au fer rouge et qui le poursuit à ce jour. Il n’en avait que 12 ans alors.

Said n’était pas le seul cas à avoir subi l’enfer des représailles coloniales, en ce jour funeste du 09 mai 1945, survenues, le lendemain des massacres perpétrés à Sétif, situés à 60 km au sud est plus loin. Des milliers de personnes en ont payés le prix et enduré dans leur chair la stratégie du pire, mise en œuvre alors. « Même les animaux, les chèvres, les chiens, et les ânes n’ont pas été épargnés », se souvient-il avec déploration, frétillant d’émotion et peinant à comprendre le pourquoi de tant de violences voire de sauvagerie. « C’était de la haine à l’état pure.

Un crime collectif barbare », a-t-il opiné.

Au matin de cette journée cauchemardesque et mortelle, malgré les mauvaises nouvelles parvenues de Sétif, la population avait gardé son sang-froid, tout en tenant à exprimer sa désapprobation ainsi que sa solidarité avec les victimes.

« C’était un jour de marché et il faisait très beau » se souvient, pour sa part, feu Lahcene Bekhouche, dans un récent entretien avec l’APS, ajoutant que « les manifestants, venus de tous les villages environnants, s’étaient rassemblé pacifiquement à la place de la Mairie dont certains étaient porteurs de l’emblème national. Seulement, un fonctionnaire de la poste, mitoyenne, a priori, en proie à la panique, a usé de son arme et en a tué un. Il s’agit du chahid Chibani el Kheir, qui s’éteint sur le coup et dont la mort a donné lieu a des actes de représailles de certains manifestants justifiant ainsi le déploiement par l’armée coloniale d’une véritable mécanique de la mort ».

Ainsi des dizaines de personnes sans distinction ont été embarquées et jeté vives, manu-militari, dans les ravins des gorges de Chaabet Lakhra, situés à la sortie de la ville, si bien qu’en fin de journée, l’eau qui y ruisselait avait pris une couleur pourpre. Et toutes les parois rocheuses, situées sur la rive droite, en ont subi le même effet se maculant outrageusement de la couleur du sang.

Lahcene Bekhouche, qui n’avait pas encore 20 ans révolus, a tout vu, lui, qui était promis à une espèce d’échafaud duquel les soldats s’adonnaient à un jeu macabre, en se délectant du jet de corps vivants dans le vide. Le docteur Hannouz ainsi que ses deux enfants ont en été les premières victimes, préludant un cortège mortifère d’exécution infini.

« Da Lahcene » a eu la vie sauve, épargné à cause de son jeune âge, mais jeté en prison avant de se voir condamné à mort par le tribunal de Constantine. La sentence n’a jamais exécuté et encore une fois, il a échappé à la mort. « Je suis un miraculé », commente-t-il amusé mais meurtri jusqu’au fon de l’amen d’autant que la barbarie du jour et la répression employée ont du se prolonger jusqu’au 22 mai et étendue à tous les villages nichés sur la chaine de montagne des Babors jusqu’au littoral.

Durant, cet intervalle de temps, les populations locales ont été pourchassées et bombardées sans arrêt. L’armée Française a du utiliser tous son arsenal de la mort, alternant les bombardiers B-26, les chasseurs bombardiers A-24 (vol à basse altitude) et même les tirs de croiseurs, notamment à partir du Duguay Trouin », stationné entre Aokas et Melbou, à 25 km à l’est de Bejaia.

Après une campagne féroce, des milliers de villageois ont stationné et dirigé sur les plages de Souk el Tenine sur une distance de 10 km et obligés à y venir de force, pour assister à une parade et une démonstration militaire, orchestrée spécialement pour frapper les esprits et mettre en garde contre toute velléité de révolte.

L’opération, conduite par le général Duval, a duré une journée sous le soleil et qui a valu à son tour des dizaines de morts dont des femmes enceintes, éreintées par le voyage à pied depuis leurs villages respectifs, l’absence d’eau et de nourriture, la chaleur, et la peur de mourir à tout moment.

« C’est un crime contre l’humanité », tranche Saad Allik, dont les souvenirs effroyables restent vivaces malgré le temps et s’emploie à lutter pour la préservation de cette mémoire, « pour que nul n’oublie ».

C’est dans cet esprit qu’une stèle commémorative a été érigée au cœur des gorges de Chaabet Lakhra. Il s’agit d’un monument, conçu en forme d’une flamme gigantesque, posé sur un socle en béton armé, revêtu de granit et truffé d’effets dorés. Sa surface plane a été meublée avec des portraits et statues grandeurs nature de martyrs, déclinés dans divers postures, selon les situations de mort qu’ils ont eu à affronter.

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