Chaque ville ou village a eu à connaître des hommes qui ont dédié leur vie à leur communauté et marqué leur époque. Chacun à sa façon et avec ses moyens. C’est sur l’un de ses hommes que l’écrivain Hamid Laouchedi a mis la lumière pour écrire son quatrième ouvrage, qui vient de paraître, ayant pour titre «Messaoudi Amara ou Galilée et l’Église». Il s’agit de l’adjudant Messaoudi Amara, qui était administrateur, architecte, fin stratège et polyglotte, mais avant tout visionnaire avec un esprit ouvert et un idéal visant à bâtir un monde meilleur.
Cette œuvre, éditée à compte d’auteur, retrace le parcours d’un villageois de Takerboust que rien ne prédestinait à parcourir le monde, en quête de connaissances. Des connaissances qu’il a partagées à son retour au village pour en faire profiter des paysans vivant dans la misère de l’Algérie coloniale. Elle est dédiée à titre posthume à un Takerboustois qui, dès sa plus tendre enfance, a refusé de voir sa famille s’échiner à effectuer des tâches ardues et autres travaux pénibles sur une terre de haute montagne aride et trop souvent ingrate. Son souhait d’améliorer le quotidien des villageois a alors pris rapidement le dessus sur les liens familiaux.
Amara a décidé de sortir de son cocon pour poursuivre ses études et étancher sa continuelle soif d’apprendre. Pendant son adolescence, alors que ses enseignants lui avaient dit qu’ils n’ont plus rien à lui apprendre, il s’est engagé, après moult réflexions et péripéties, dans l’Armée. Il faut savoir, au passage, que les témoignages qui ont permis d’écrire cet ouvrage ont été recueillis minutieusement par l’auteur, auprès des enfants et proches de l’adjudant Amara. Ainsi engagé, il a continué ses études et parcouru le monde, au gré des missions qu’il a effectuées avec brio.
Alors qu’il servait sous le 15e RTA, en Afrique noire, âgé à peine d’une vingtaine d’années, il fut capturé par une tribu d’autochtones. Lors de sa détention, en découvrant une main dans son repas, Messaoudi Amara a compris que ses ravisseurs sont des cannibales. Il aurait pu être dévoré s’il ne s’était pas échappé quelques jours plus tard aidé par un Européen, qui venait de rencontrer cette tribu. A son retour, il a reconduit son contrat avec l’Armée pour quatre autres années. En 1934, l’enfant de Takerboust, surnommé «Galilée et l’Église», est affecté à Morhange, en Moselle, où a il participé à l’édification et la fortification de la ligne Maginot.
En 1940, alors qu’il avait été promu adjudant, il fut capturé par les nazis et emprisonné plus de trois ans au Frostalag 195. A sa libération, il a rejoint les FFI (Forces françaises de l’intérieur), puis la 5e Division américaine à Maseville. Après sa démobilisation, en 1945, Amara a gardé son surnom toute sa vie, même lorsqu’il avait présidé aux destinées de la commune d’Aghbalou de 1960 à 1963. Il est à rappeler qu’au déclenchement de la Guerre de libération nationale, Messaoudi Lamara avait rejoint les rangs du FLN, en intégrant la cellule que dirigeait Slimane Amirat, pour lutter contre les Messalistes du Mouvement national algérien (MNA).
Il a accompagné la Révolution, défendu les villageois contre le tristement célèbre Yves Jactel, lieutenant de la SAS, et approvisionné maintes fois les moudjahidine. Grâce aux connaissances qu’il a acquises, il a fait des choses grandioses à son époque, comme l’adduction par force gravitationnelle d’une source située sur une colline voisine séparée du village par un oued. L’adjudant a également réalisé au cours de sa vie plusieurs projets hydrauliques, dont un château d’eau enfoui sous terre et ressemblant à une pyramide maya ou à l’image de la ziggurat de Babylone.
De même, une nouvelle mosquée a vu le jour à Takerboust grâce à lui. Une reproduction fidèle d’une mosquée de Constantine. Amara a réalisé également une œuvre immortelle. Il est question du cimetière des chouhada, qui a été bâti de telle sorte que, vu du ciel, il a la forme géographique de l’Algérie, malgré le fait qu’il ait été partiellement défiguré par les autorités communales qui voulaient aménager un musée du chahid. Ses ouvrages sont multiples, à l’image des routes, du pont d’Aghbalou sur la RN 15, d’une huilerie…
En tout cas, l’œuvre de Hamid Laouchedi est tellement détaillée que sans connaître Takerboust, on peut imaginer les transformations que l’adjudant y a apportées. Mais cet homme intègre avait été poussé à l’exil, car la mode de l’époque était d’installer un maquisard à la tête de la municipalité. Ne voulant pas servir de subalterne, il a préféré s’exiler en France. Décédé en 1973, à l’âge de 63 ans, on peut dire qu’il a survécu aux cannibales, à la Seconde guerre mondiale, aux nazis, aux attentats et laissé plusieurs anecdotes aux siens mais également des ouvrages immortels.
L’adjudant Amara, troglodyte émérite, a livré bien des combats pour permettre aux siens de lutter contre la misère et l’analphabétisme. Ce nouvel ouvrage de Hamid Laouchedi permettra, en tout cas, aux générations, actuelle et future, de prendre connaissance des valeurs dont était empreint le défunt adjudant.
Hafidh Bessaoudi

