Feu de tout bois

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Ceux qui s’attendraient à ce que la scène politique s’enrichisse avant les élections législatives de mai 2012, par l’apport des nouvelles réformes et la capitalisation des leçons d’un passé récent fait d’errements et d’impasses, seraient sans doute appelés à tempérer quelque peu leurs ardents désirs au vu des grandes manœuvres par lesquelles tend à s’encombrer et à se pervertir l’action politique dans notre pays.

Le départ du MSP de l’Alliance présidentielle- mettant fin à une mésalliance qui ne dit pas son nom depuis qu’elle a été mise en place en 2004-a libéré le champ à certains acteurs pour lesquels il semble y avoir désormais plus de visibilité.

Les courants islamistes tenteraient, selon des déclarations faites par certains de leurs ténors, de se rassembler dans des listes communes pour préparer une Assemblée nationale à leurs couleurs pour ne pas déroger à ce qui leur semble comme un “mouvement de l’histoire” ayant marqué déjà le destin de la Tunisie, de l’Egypte et du Maroc à la suite des révoltes populaires qui s’y sont déroulées ou des initiatives de réformes qui y ont été menées.

L’on ne sait pas encore si l’Alliance présidentielle continuera d’exister après les élections législatives et comment sa reconfiguration sera envisagée.

Amara Benyounes, dont le congrès de son parti, l’UDR, se déroulera en février prochain, n’exclut pas la possibilité de rejoindre cette alliance tout en jugeant que, pour le moment, ce débat est prématuré.

Le FLN, quant à lui, est pris par une frénésie d’activisme justifié sans doute par la nécessité de brouiller les cartes à son courant dissident, mais aussi par l’urgence d’imposer sa vieille litanie de “valeur-refuge” à laquelle il tente de ramener les électeurs qui seraient effrayés par le courant islamiste et qui demeureraient encore “imperméables” au courant démocratique.

Ce sont là une option et une manœuvre dont il n’a jamais répugné à user pour tirer son épingle du jeu et continuer à servir le système et à s’en servir. A n’en pas douter, c’est à casser cette logique infernale et à arrêter ce mortel engrenage que seront appelés à travailler les représentants du courant démocratique.

Le FLN, sous la conduite de Belkhadem, a non seulement montré déjà ses limites, mais il a fait savoir aussi le danger qu’il représente à la perspective démocratique si, par malheur, il bénéficiait de nouveau de l’hégémonie politique.

Un exemple parlant d’une dérive nourrie par la précampagne électorale à laquelle se livre Belkhadem ces derniers jours : au cours de son déplacement pour “célébrer” la fête de Yennayer le 12 janvier dernier, dans la commune d’Ath Ouartilane, wilaya de Sétif, le premier responsable du FLN a appelé à écrire la langue tamazight en caractères arabes.

A l’occasion d’une cérémonie où l’hypocrisie dégouline publiquement, le chef d’un parti qui a toujours réprimé tamazight- langue, culture et histoire- sous ces différentes manifestations, s’est transformé dare-dare en linguiste sur les bases d’un nationalisme souffreteux et sectaire.

Car, il est clair que lorsqu’on est animé de bonne foi, singulièrement à ce niveau de responsabilité on n’“appelle” pas ou on ne “recommande” pas aux autres- praticiens sur le terrain de cette langue- d’écrire en caractères arabes, tifinagh ou latins ; on passe aux actes, c’est-à-dire on écrit soi-même, on produit, on crée, on diffuse, on fait réussir l’opération, pour, à l’occasion, prétendre qu’un tel caractère plutôt qu’un tel autre est plus recommandable.

Ceux qui produisent en tamazight (romans, poésie, théâtre, études, articles de presse,…), ceux qui enseignent cette langue dans les régions où elle est dispensée et les élèves auxquels elle est destinée sont indubitablement les meilleurs juges du choix des caractères d’écriture. Les motivations idéologiques ou de nationalisme étriqué ne pourront jamais servir de canons ou de base pour résoudre des problèmes techniques.

Une vision purement “nationaliste” aurait sans doute conduit les praticiens de tamazight à adopter les caractères tifinagh. Ce sont le sens pratique et la volonté de s’arrimer à la modernité qui ont prévalu. Et c’est tant mieux.

Le mélange des genres n’a jamais servi le débat ; et l’entreprise à laquelle se livrent dans ce sens certains acteurs politiques en faisant feu de tout bois risque d’obnubiler encore davantage les pistes.

Moulé dans la pensée du parti unique, le responsable du FLN est sans doute le moins qualifié non seulement sur le plan des sciences linguistiques, pour décider des caractères d’écriture de tamazight, mais également sur le plan politique pour prétendre faire jouer à son parti le rôle d’initiateur des réformes.

Visiblement, les combats d’arrière-garde semblent reprendre du poil de la bête au moment où toutes les données militent en faveur d’une Algérie dégagée de ses complexes d’ancienne colonie et débarrassée de toutes les pesanteurs idéologiques et rentières qui ont mis à mal ses potentialités et ses énergies créatrices.

Le reflux des Arabo-baâthistes au cours de la décennie 2000, a été dicté apparemment par une simple tactique, ruse de guerre, voulue par une conjoncture nationale et internationale qui ne leur était pas favorable.

La prise de conscience de la communauté internationale du danger terroriste, l’ouverture de l’Algérie sur la culture et l’économie mondiales et l’impératif des réformes politiques n’agréent visiblement pas aux porteurs d’idées figées et étriquées qui se recrutent dans les franges les plus conservatrices et les plus rentières d’une classe qui s’est autoproclamée “intellectuelle” et qui se veut le tuteur indétrônable du peuple.

Ceux qui jurent de ramener l’Algérie au temps des oukases et de l’ère de la glaciation sont sans doute plus à plaindre qu’à être blâmés tant ils baignent dans un onirisme qui a pour substrat la sève délétère du parti unique. Dans une Algérie où des individus se proclament écrivains, intellectuels et même penseurs sans crainte d’être dérangés ou confondus par de véritables valeurs sûres exerçant dans ces domaines, l’effort à déployer pour rattraper nos retards sur le plan de l’éducation et de la culture sont tout simplement titanesques.

Que l’on continue à croire en ce début du 3e millénaire- avec tout le sérieux que justifie la course à la rente et aux privilèges- que la culture algérienne et l’identité nationale devraient être régies par des lois et des décrets, voilà un syndrome d’une grave impasse intellectuelle et un signe d’une indépassable aporie.

Amar Naït Messaoud

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