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Routes coupées, courant interrompu, gaz butane rare,… : Le déséquilibre de développement crée la fracture

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Les premiers à souffrir de la vague de froid et de neige qui s’est abattue sur notre pays depuis la semaine passée sont incontestablement les habitants des zones rurales, et particulièrement ceux qui habitent les zones de montagne.

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Dans plusieurs communes de Bouira, Tizi Ouzou, Béjaïa, Médéa, Jijel,… les écoles sont fermées du fait qu’entre elles et les élèves, s’est dressée une épaisseur de neige- ayant atteint jusqu’à 1,5 m dans certains endroits de la Haute Kabylie- que les services municipaux n’ont pas les moyens de dégager.

Comme un malheur ne vient jamais seul, l’électricité est coupée et la distribution de bouteilles de gaz butane perturbée ou carrément arrêtée. Dans une telle situation, l’on ne peut que comprendre la protestation que certains habitants des hauteurs de Médéa par laquelle ils ont voulu attirer, avant-hier, l’attention des pouvoirs publics sur l’intolérable situation qu’ils endurent. Ils ont barré la route avec des bouteilles de gaz vides. Il serait sans doute inutile de s’appesantir sur l’arrêt des approvisionnements en produits alimentaires de base (lait, semoule, pain) et en fruits et légumes. Quant à l’accès aux services des urgences des hôpitaux ou aux séances de dialyse, cela relève d’un miracle ou d’une prouesse que ne peut permettre qu’une solidarité villageoise, comme celle consistant à mobiliser toute une population pour déneiger aux pelles manuelles la route vers le centre de santé. Une situation aussi extrême, qui revient tous les cinq ou six ans, remet indubitablement à l’ordre du jour la politique de l’Etat en direction des zones rurales et des régions montagneuses.

La littérature administrative et politique sur le sujet n’a pas tari de promesses et de formules aussi alléchantes les unes que les autres. Les résultats sur le terrain tardent visiblement à se concrétiser. Car, l’enclavement et l’isolement de quelques jours suite à de fortes chutes de neige n’est que la partie visible d’un sous-développement en infrastructures et en équipements grevant ces régions géographiques fort peuplées.

Outre le déficit en moyens d’intervention rapide (chasse-neige, services de Sonelgaz bien équipés, groupes électrogènes pour les services sensibles), les zones rurales continuent à souffrir d’une patente situation de sous-emploi qui contraint des milliers de personnes à se déplacer quotidiennement vers les grandes villes sur des dizaines de kilomètres pour travailler. Avec la coupure des routes en période hivernale, ce sont des dizaines de jours de repos forcé-chômage technique-qui sont engendrés. Cette pénalisante situation que vivent les hameaux et les bourgades des zones rurales est presque l’antithèse de ce que préconise et prévoit le Schéma national d’aménagement du territoire en matière d’équité dans le développement, d’équilibre des régions et gestion rationnelle des ressources. Le Snat intègre dans son corpus les zones de montagne comme étant des espaces spécifiques dont le diagnostic, le traitement et le développement sont censés relever désormais d’une politique adaptée, claire et judicieuse visant aussi bien la promotion économique et sociale des communautés rurales qui y vivent que la réhabilitation des territoires en tant qu’entités physiques et biotiques supports de la vie. A l’échelle des décideurs et des techniciens, le constat est largement établi : le développement économique et le bien-être social en général souffrent visiblement du déséquilibre de la répartition spatiale de la population, des investissements et de sa gestion des ressources, ce dernier terme étant entendu ici dans son acception la plus large (capital foncier, ressource hydrique, faune, flore,…). Même si la terminologie technique actuelle impose son vocabulaire et ses concepts- aménagement du territoire, développement durable, sauvegarde de la biodiversité- qui fleurissent dans des bureaux d’études et des départements techniques de certains ministères, les préoccupations relatives à la gestion des territoires ont accompagné les différents plans de développement des pays avancés et de beaucoup d’autres pays dits émergents. L’Algérie, qui s’est officiellement dotée depuis les années 1970 d’institutions afférentes à l’aménagement du territoire, s’est rapidement laissée griser par la rente pétrolière qui a permis une urbanisation effrénée et anarchique, suivie de pôles industriels autour de certaines grandes villes. Cette situation a drainé des populations de l’arrière-pays montagneux et steppique au point où l’exode rural est devenu une réalité avec laquelle il faut compter dans tous les autres programmes de développement.

Décentraliser pour mieux gérer

Le prolongement de cette politique irréfléchie est perçu au niveau des zones de montagne où l’acte de développement est réduit à sa plus simple expression. Les anciens métiers artisanaux et agricoles ayant pratiquement disparu au profit du régime du salariat permis par la rente pétrolière. Les déficits d’équipement et d’infrastructures ont été aggravés par la politique d’hypercentralisation de l’Etat (institutions et économie) qui fait que, pour les zones rurales de montagne, une sorte de “normalisation” a été adoptée (dans les devis des travaux, les rubriques des contrats de travaux publics, les prix unitaires) sur le modèle des autres régions du pays. L’ancienne organisation ancestrale de la société avec son savoir-faire, son génie populaire et ses réseaux de solidarité a cédé face à ce qui s’apparente à une modernité de façade.

De façade, parce que ses ressorts ne sont pas maîtrisés et sa “culture” n’est pas complètement intériorisée. Le cas de la Kabylie en matière de développement s’est trouvé aggravé par la difficulté du relief, la densité démographique (atteignant les 400 habitants/km2) et la stérilité d’une planification centralisée qui traite d’une façon uniforme les questions de développement, qu’elles se posent à Alger, Oran, Sidi Aïch ou Aïn El Hammam. Nonobstant ce qui peut être considéré comme une “bonne volonté” des pouvoirs publics de concevoir des programmes de développement en direction des zones rurales, et surtout de leur composante montagneuse, force est de constater que, souvent, les projets destinés à la Kabylie manquent de cohérence, d’imagination et de vision d’ensemble. L’une des raisons, et non des moindres, demeure la centralisation de la décision qui risque de continuer à occulter les spécificités naturelles et sociales de la région.

Apparemment, malgré l’adoption de nouveaux codes de la commune et de la wilaya, la révolution anti-jacobine est loin d’être engagée pour libérer l’initiative régionale et les énergies citoyennes. Pour redonner espoir aux régions de montagnes et pour insérer leur jeunesse dans une dynamique de développement qui exclut l’amateurisme et la navigation à vue, il y a lieu de faire accompagner les projets structurants- à l’image du barrage de Taksebt, de l’autoroute, du projet de distribution de gaz naturel sur les piémonts et crêtes- de réseaux de PME-PMI, d’investissements dans l’économie des services (NTIC,…), de formations qualifiantes et de soutien réel à l’agriculture de montagne et à l’artisanat. Pour ne pas voir se reproduire à l’infini des situations comme celle qu’endurent depuis une dizaine de jours les foyers de la montagne – encerclés par la neige et coupés de l’alimentation en énergie-, il faudrait procéder en urgence à un “plan d’équipement spécial zones de montagne», qui toucherait toutes les communes intégrées dans cette catégorie géographique et qui comprendrait les moyens modernes d’intervention pour déneigement, de rétablissement immédiat du courant électrique et de distribution de gaz butane.

On sait qu’un programme de raccordement au réseau de gaz naturel dans la région de la Haute Kabylie est lancé depuis trois ans. Mais, au vu des difficultés qu’il rencontre sur le terrain (litiges fonciers, oppositions), il n’y a aucune garantie qu’il atteigne tous ses objectifs dans l’avenir immédiat. A ce niveau, les pouvoirs publics sont plus que jamais interpellés pour faciliter l’opération par tous les mécanismes (indemnisations ou autres procédures) pouvant inciter les habitants à accepter le passage des conduites sur leurs terrains. Pour ce noble objectif, les associations et les comités de villages ont, eux aussi, leur part de responsabilité. A moyen et à long termes, seule une économie intelligemment intégrée, qui s’appuierait sur une gestion équitable des ressources du pays, une décentralisation décomplexée, une mobilisation des énergies et des initiatives locales pourront réhabiliter et redynamiser des régions très peuplées menacées par l’asphyxie économique, le délitement social et la dégradation environnementale.

Amar Naït Messaoud

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