Et si Jean Amrouche revenait parmi nous ?

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La deuxième journée du colloque « Printemps des mots », en hommage à Jean El -Mouhoub Amrouche, a vu défiler des interventions que d’aucuns jugeraient originales dans leurs interrogations. Sur la base d’une lettre écrite par l’écrivain à sa mère, Fadhma Nait Mansour, Dahbia Ammour est revenue sur le pathos (passion) que recèle le texte en question. « C’est en français qu’il s’adresse à sa mère », à partir de là tout le lien affectif le rattachant à elle trouve raison d’éclore, selon l’oratrice, plus encore que dans une société kabyle où ce genre de manifestations demeure tabou, sinon difficilement sujet à expression. Bien que la lettre fût donc écrite en français, Jean Amrouche ne nie pas que Fadhma constitue à elle seule un « dépôt culturel extraordinaire ». L’intervention de Michel Carassou conforte l’importance et la place qu’occupe cet héritage chez J. Amrouche. La dimension berbère de sa poésie constitue, d’abord et avant tout, selon toujours Michel Carassou, une manifestation de son exaspération face à la médiocrité. Kamel Daoud, journaliste-écrivain au Quotidien d’Oran, a préféré se livrer à quelques questions dont certaines n’ont pas manqué de titiller l’imagination du public. Jean El-Mouhoub Amrouche comme ancêtre ? Tout en affirmant qu’il aime le voir comme tel, le journaliste a préféré mettre l’accent sur ce qui relève, dans cette question, du mythologique. Le parallèle qu’il a fait entre lui et Albert Camus ne manquait pas d’intérêt dans ce qu’il révélait de commun et de différent entre deux « destinées » ayant eu à subir, non pas peut-être sur le même plan, mais au même degré une tragédie les ayant, chacun à sa façon, obligé de prendre position. S’il y avait du camusien chez Jean Amrouche, ce serait, pour Kamel Daoud, « un camusien qui a retrouvé Dieu, au lieu de le perdre ». Le communicant précisa, en outre, qu’il aime le percevoir tel « un Meursault qui n’a pas tué sa mère ». Ceci étant, Kamel Daoud parle d’un certain « inconfort » entre lui et Jean Amrouche. Il avoue, à ce propos, qu’il est « déstabilisé par le rapport de ce dernier à sa mère ». Si le rapport de Camus face à sa mère était de silence, celui de Jean face à la sienne était de parole. Dahbia Ammour, pour revenir au texte cité plus haut, a relevé l’intensité de ce lien et est allée jusqu’à poser que Jean Amrouche « est resté petit enfant quand il s’adresse à sa maman … ». La lecture qu’elle faite de cette lettre « pleine d’amour » lui fait sembler légitime une telle conclusion. Tassadit Yacine, qui n’est pas de cet avis, a dû rétorquer qu’il « fallait remettre dans son contexte le rapport mère fils, ne serait-ce qu’en raison du fait que Jean Amrouche, à l’époque, vivait en exil, et dans ce contexte-là il pourrait y avoir, naturellement, « effusion de sentiments ». Pour revenir aux questionnements de Kamel Daoud, il est évident qu’il arrive à tout un chacun de s’imaginer le rôle, la position ou l’apport d’un personnage qui a marqué l’Histoire et qui a disparu. Quelle aurait été la position de Jean Amrouche, de nos jours, ou encore durant la décennie « noire », à propos de certains faits sociopolitiques ? Et s’il devait faire appel à son sens de la justice en 1990, aurait-il opté pour le choix des urnes au nom de la démocratie ? Tout en relevant qu’El-Mouhoub était un homme de contradictions, Chawki Amari, pour sa part, a rappelé qu’il était du côté l’Algérie libre et qu’« il a toujours pris position pour l’émancipation des peuples de l’Afrique du Nord ». Kamel Daoud reprit la parole pour dire, car tout porterait à le croire, que Jean n’aurait eu aucun mal à se « mettre au diapason » avec le siècle. Il déclara enfin : « Je le vois utiliser Internet », bref, un homme de son temps. Il est à signaler par ailleurs que ce colloque, dont la clôture était prévue pour hier, a pu être organisé grâce aux efforts du Théâtre Régional de Béjaia, qui a abrité au même moment l’événement de la Ligue des Arts Dramatiques de Béjaia et du collectif « Ballade Littéraire » de la même ville.

N. G.

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