Le plan 2010 – 2014 accuse des retards

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Le troisième plan d’investissements publics 2010-2014, qui a bénéficié d’un montant de 286 milliards de dollars, voit certains de ses projets enregistrer des retards de lancement, ce qui en pénalise la dynamique générale et rend les attentes sociales d’autant plus insoutenables, aussi bien pour l’accès au logement que pour les autres axes de développement prix en charge par le programme.

 Par Amar Naït Messaoud 

Les constats de retard, après qu’ils eurent été rapportés par la presse, ont été également exprimés, il y a quelques semaines, par le Premier ministre lui-même et, à la fin de l’année dernière, par le ministre des Finances lorsqu’il a été interrogé par des députés de l’Assemblée populaire nationale au sujet des réévaluations successives dont sont grevés certains projets. Karim Djoudi a renvoyé les députés aux études de faisabilité ou d’exécution qui manqueraient de maturité tout en insistant sur le fait que les demandes de réévaluation émises par les différents maîtres d’ouvrage ne passeront pas comme une  »lettre à la poste »; elles sont censées être puissamment argumentées et légitimement justifiées par des cas de force majeure.  Les retards sont donc dus, en partie, à une déficience en matière d’études, comme ils sont imputables, en partie, à la rareté du foncier et à la lourdeur des procédures de passation de marché. Quelques contraintes majeures pour le raccordement au réseau de gaz de ville de certains villages de la Kabylie sont essentiellement dues aux oppositions de citoyens relatives au tracé. Il en est de même pour la route express (2×2 voies) prévue dans la vallée de la Soummam, entre la ville de Béjaïa et la jonction avec l’autoroute Est-Ouest à Ahnif, même si l’enveloppe financière y afférente a été déjà mobilisée. Le projet de barrage de Tizi n’Tleta, dans la wilaya de Tizi Ouzou souffre, lui aussi, de certaines oppositions relatives au niveau d’indemnisation. De même, le retard de transfert d’eau de l’usine de dessalement de Cap Djinet vers les communes ciblées de la wilaya de Boumerdès a été généré par des contraintes liées à des oppositions.  Le rythme de réalisation de logements semble, lui aussi, souffrir de retards dus à capacités insuffisantes des entreprises de réalisation. Pour relever le défi des trois millions de logement prévus dans le Plan d’investissements publics, le gouvernement Sellal a opté pour la réhabilitation des programmes AADL, via une coopération étrangère intensifiée, particulièrement avec le nouveau venu sur le marché les entreprises portugaises.  Il se trouve que certaines critiques adressées en temps réel, c’est-à-dire dès la conception, aux plans d’investissements publics, commencent à être vérifiées, à savoir, principalement: la faiblesse des études, le manque de formation de la ressource humaine appelée à manager, au sein des administrations, des mégaprojets, la faiblesse de l’outil national de réalisation (entreprises publiques et privées), ce qui a conduit les entreprises étrangères à accaparer la part du lion, et d’autres impondérables encore qui obèrent la marche normale des projets inscrits dans le cadre des plans d’investissements publics. Des experts algériens avaient, face à toutes ces incertitudes, émis leurs réserves ou fait des propositions pour corriger le tir. Ce fut le cas du docteur Amiri, professeur en management et PDG de l’Insim, qui avait proposé de consacrer une partie de la cagnotte du dernier Plan à la formation des ressources humaines et aux études. De son côté le professeur Abdellatif Benachenhou, ancien ministre des Finances, avait attiré l’attention des députés et de l’opinion sur le déficit structurel des entreprises algériennes de réalisation, lesquelles n’étaient pas en position de relever le défi d’un plan de charges aussi colossal. Au cours de la conférence qu’il a animée lundi dernier à l’hôtel Hilton d’Alger, il révèle que son départ du gouvernement en 2005 était dû à son opposition à la « politique économique basée sur la dépense publique ». Il était, explique-t-il, partisan d’un financement mixte de l’autoroute Est-Ouest; la part de l’État ne devant pas dépasser les 33 %. Les « excès » enregistrés dans les investissements publics à partir de 2005 seraient, selon l’orateur, à l’origine de la montée en flèche de la facture d’importation à hauteur de 55 milliards de dollars. Pour peu que le niveau des investissements publics soit révisé à la baisse, cette facture pourrait régresser jusqu’à 30 milliards de dollars. 

Au milieu du gué

De son côté le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, avait, un mois après sa prise de fonction, instruit les ministres et les walis pour accélérer la cadence de réalisation et de se projeter dans l’horizon 2014, échéance de la fin du plan quinquennal et de…la présidentielle. En toute apparence, la réalisation des projets inscrits dans le cadre de ce plan (routes, autoroutes, chemins de fer,  tramways, raccordement des villes et villages au gaz naturel, AEP, grands transferts hydrauliques, programmes de logements, contrats de performances relatifs au renouveau rural et agricole, éducation, santé…), est prise dans le sens d’une  »bonification » de l’action présidentielle qui pèserait dans la balance des présidentielles d’avril 2014. Après moult spéculations sur la possibilité que la nouvelle Constitution consacre un mandat septennal- ce qui rallongerait ipso facto le mandat actuel du président de deux ans, sans passer par une élection présidentiel-, le ministre de l’Intérieur vient de déclarer que les élections présidentielles auront lieu à la date prévue, à savoir avril 2014. Bien entendu, sur le plan politique, cette échéance offre une lisibilité nébuleuse depuis l’effacement de la scène de plusieurs « ténors » qui étaient considérés comme de probables candidats. À suivre les interrogations des gestionnaires de l’économie nationale- du Premier ministre jusqu’à arriver à ceux qui exécutent la politique du gouvernement sur le terrain- et les tiraillements et errements de la scène politique, au sens organique, une certaine similitude apparaît au grand jour, laquelle se traduit par un « flou artistique » qui fait perdre ses repères à l’observateur le plus vigile. Le gouvernement Sellal est, en théorie, considéré comme un gouvernement « technocrate », chargé particulièrement de la réalisation des objectifs du plan quinquennal à l’échéance fixée. Dans son instruction n°63, datée du 25 octobre 2012 adressée aux membres du gouvernement et aux walis, A.Sellal écrit: « la réalisation des données relatives à la mise en œuvre dudit programme fait ressortir que plusieurs projets, concernant certains secteurs, ne sont pas encore lancés, alors que toutes les ressources budgétaires, (autorisation de programme et crédits de paiement), nécessaires au financement normal et continu du programme, ont été mobilisées et notifiées, en temps opportun, aux départements ministériels concernés ». Rien que pour la brève période de 2010-2012, un montant de 11 400 milliards de dinars a été mobilisé inscrit et notifiée aux maîtres d’ouvrage. Cependant, fait-il remarquer, « force est de constater que plusieurs projets n’ont pas encore connu un début de lancement au niveau de certains secteurs, pénalisant ainsi l’effort présidentiel ». Pour mettre en exergue l’enjeu politique attaché à ce plan, Abdelmalek Sellal rappelle que ce dernier  « vient en complément des différents programmes de développement initiés et engagés durant la décade 2000-2010 par monsieur le président de la République ». C’est pourquoi, il enjoint aux membres du gouvernement et aux walis de « prendre toutes les mesures le lancement impératif sur le terrain de tous les projets inscrits et notifiés et notifiés. Il rappelle, dans la foulée, la nécessité d’installer des dispositifs de suivi de dimension locale et centrale pour l’évaluation régulière du programme quinquennal.  De façon particulière, le ministre des Finances est chargé de présenter au gouvernement un bilan trimestriel. Le secrétaire général du ministère de l’Intérieur s’inquiète, quant à lui, des répercussions sociales des retards de réalisation. Dans une note aux walis, il fait observer que  » les retards dans la concrétisation des projets inscrits entraînent des surcoûts importants, qui se répercutent négativement sur les prévisions budgétaires de l’État (…) et que les retards dans la conduite des projets, portés à la connaissance des citoyens et ayant obtenu leur adhésion peuvent porter préjudice à la crédibilité de l’État ». Il s’ensuit que la dimension politique du plan quinquennal n’est pas du tout négligeable par rapport à sa dimension économique. Demeure la question de savoir pourquoi les grandes interrogations et les questions les plus déterminantes inhérentes à la conduite des projets d’équipements publics surviennent généralement au milieu du gué et pourquoi les avertissements et les analyses des experts nationaux sont peu écoutés ou suivis.              

   A. N. M.

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