Exaltant et sinueux parcours du combattant

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Un demi-siècle: ''Est-ce peu?" Dans la vie d'un parti algérien d'opposition, c'est un grand repère.

À finalités illusoires, moyens pervers H. Aït Ahmed, 24 juillet 2003

Par Amar Naït Messaoud

Le Front des forces socialistes a été fondé officiellement le 29 septembre 1963, lors d’un grand rassemblement à Tizi Ouzou, après l’impasse politique constatée dans le fonctionnement des nouveaux organes du jeune État algérien, et principalement au sein de l’Assemblée constituante. En démissionnant de ladite Assemblée, Hocine Aït Ahmed fit le choix de structurer l’opposition au régime de Benbella par le moyen d’un parti politique qui tire ses fondements et sa philosophie des idéaux de la lutte de libération nationale. Le FLN, au nom de quoi les Algériens de tous horizons s’étaient regroupés pour participer au combat libérateur a été transformé en instrument de pouvoir personnel dès les premiers jours de l’Indépendance. Et c’est pourquoi, des patriotes révolutionnaires avaient, dès 1962, appelé à faire du FLN un patrimoine pour l’ensemble des Algériens et non un parti. L’appât du pouvoir et la tentation absolutiste avaient contrarié y compris par la violence, cette voie. La guerre des wilayas, à l’été 1962, en est un signe patent. 29 septembre 1963, 29 septembre 2013. Un demi-siècle où furent vécus tour à tour, et parfois simultanément, des luttes exaltantes, de la prison, d’immenses et légitimes espoirs, mais aussi des échecs, des remises en cause et de silences.   Le qualificatif donné souvent par la presse au FFS, à savoir le  »plus vieux parti d’opposition » serait-il une louange ou une tare? Ceux qui prennent cette interrogation dans sa première acception et ceux qui tentent de railler cette formation politique par le deuxième terme, sont sans doute à équidistance de la vérité et pour cause. Les deux  »camps » tirent jusqu’à ses extrémités la relation entre le temps et le destin d’un parti politique. Pour les uns, son opposition éternelle au pouvoir politique en place lui confère aura et crédibilité; pour les autres, cela tiendrait d’un oppositionisme nihiliste. Ce dernier qualificatif a été arboré même par des cadres à l’intérieur du parti qui s’impatientaient de briguer des mandats dans les différentes assemblées. Ils ont fini par claquer la porte. De même que d’autres avaient reproché au parti d’avoir participé dans certaines échéances électorales. N’y aurait-il pas un quiproquo sur le rôle, la mission et la place du parti dans la société? Un parti, ses adhérents et ses cadres sont-ils destinés ipso facto, et en l’espace d’une ou de deux générations, à briguer des postes de responsabilité dans les structures de l’État et des assemblées élues? Pour un parti dont le principe fondateur est de donner un autre cours à la marche du pays et au système de gouvernance, l’acte pédagogique et la formation des élites passent avant l’obsession d’aller siéger dans les assemblées ou dans des postes ministériels. L’acte politique est assimilé par le fondateur du FFS à une libération de soi; libération des pesanteurs sociales et culturelles qui enchaînent l’homme.  »Il y a une chose à laquelle je crois, c’est que la démocratie, c’est l’homme; c’est la personne elle-même qui se libère du pouvoir social, de la famille aussi s’il le faut. Il faut que les gens en arrivent là. Les droits de l’homme, c’est le contraire de l’inféodation à la communauté même si celle-ci a ses droits », déclare Hocine Aït Ahmed à Dominique Sigaud (in La Fracture algérienne, Paris, 1991- Éditions Calmann-Lévy, collection  »Questions d’actualité »).

 

Vents contraires

 

Il se trouve que, dans la tumultueuse aventure politique de l’Algérie de l’après-indépendance, des vents contraires ont poussé vers un destin peu souhaitable- sans doute prévisible, mais nullement recherché- les animateurs et les adhérents du parti du FFS. En cherchant à se placer sur le terrain de l’affirmation de la démocratie dans notre pays, le FFS, et avec lui les populations de Kabylie, a vécu des moments difficiles qui avaient tous les ingrédients d’une guerre civile. Le FLN était déclaré dès 1962 comme parti unique, toute autre force politique était bannie de facto. Le Parti communiste algérien, dont les maquisards appelés Combattants de la Libération, avaient rejoint l’ALN après les négociations Abane-Ramdhane-Bachir Hadj Ali, a été interdit au lendemain de l’Indépendance. Hocine Aït Ahmed était l’un des rares députés de l’Assemblée constituante à dénoncer ce déni. La confrontation FFS-armée de Benbella- le minsitre de la Défense de l’époque était Boumediene-, était inévitable. Les premiers adhérents du parti étaient des anciens moudjahidine, donc toujours armés. Les forces de répression ne pouvaient donc pas arrêter « pacifiquement » des gens armés. D’où l’affrontement inévitable qui a entraînés plus de 400 morts dans les rangs du FFS; un autre drame à une Kabylie déjà bien meurtrie par l’épreuve de la guerre. Il faut signaler que, au départ, les adhérents au FFS ne se limitaient pas à la Kabylie. Jijel, Médéa, Setif et d’autres régions du pays avaient leurs représentants au sein du parti. Cependant, les manœuvres du pouvoir politique d’alors ont fini par confiner le parti en  Kabylie. L’emprisonnement du leader du parti, sa condamnation à mort, l’emprisonnement et la torture de dizaines d’autres animateurs  du parti, et l’entrée en clandestinité de tous ses adhérents- en plus du ralliement d’autres éléments au pouvoir en place- avaient instauré un silence effroyable en Kabylie qui aura duré une quinzaine d’années. Entre-temps, Aït Ahmed s’vade de la prison d’El Harrach, rejoint la Suisse et essaye de recoller les morceaux de sa structure défaite. Partiellement, la tâche donna quelques résultats, dans la clandestinité bien sûr. Avril 1980 allait replacer le FFS au centre d’une grande animation, celle du mouvement berbère, à côté d’autres acteurs tout aussi clandestins. Cinq ans après, et suite à la libération de l’ancien président Benbella par Chadli, Hocine Aït Ahmed tenta une unification de l’opposition politique à l’étranger. Il alla rencontrer Benbella à Londres suite à des efforts de rapprochement déployés par Ali Mecili.

Vocation nationale, destin régional

Une répression terrible tomba sur les animateurs locaux des deux courants (FFS et MDA de Benbella) en 1985, comme elle toucha également les animateurs de la Ligue des droits de l’homme et de l’association des fils de chouhadas. Deux ans plus tard, en avril 1987, Ali Mecili, avocat et militant du FFS, fut abattu au pied de son bâtiment à Paris. Sa femme, le parti et d’autres personnalités encore ont accusé ouvertement la sécurité militaire algérienne. Après l’explosion d’octobre 1988, la FFS saisira la brèche de la nouvelle Constitution qui autorise les partis politique. Un premier couac: Aït Ahmed étant toujours en Suisse, feu Hachemi Naït Djoudi le représenta en Algérie pour demander un agrément pour le parti. Presque simultanément, Yaha Abdelhafidh, une autre figure des maquis du FFS et ancien officier de l’ALN, déposé à son tour une autre demande au ministère de l’Intérieur au nom du FFS. Il sera débouté au profit d’Aït Djoudi. Au même moment, un autre parti issu de la mouvance berbériste se constituera et sera agrée sous le nom du Rassemblement pour le Culture et la Démocratie (RCD). Aït Ahmed rentre en Algérie en décembre 1989. La montée en puissance du courant islamiste débouchera, en décembre 1991, sur la victoire écrasante du FIS aux législatives. L’armée suspendra le deuxième tour des élections, alors que le FFS, troisième parti vainqueur, était pour la poursuite du processus électoral. C’est là un épisode qui a alimenté des controverses, des haines, des incompréhensions, pendant une vingtaine d’années. Avec ce qui se passe actuellement en Egypte, l’on est tenté de refaire la lecture de la position du FFS de 1991. C’est-à-dire que les Égyptiens ont laissé les islamistes gouverner une année avant de les mettre hors jeu. Ce fut après que Morsi et son équipe eurent montré des signes évidents de régenter les institutions et la société selon leurs propres canons. Croyant toujours à la solution politique face à un terrorisme islamiste qui fauchaient des milliers de vies humaines, Aït Ahmed réunira en janvier 1995 avec d’autres partis algériens, islamistes et conservateurs, pour proposer une plate-forme, vite diabolisée et rejetée par le pouvoir de l’époque, incarné par le général Liamine Zeroual. En réconciliateur impénitent, Aït Ahmed défendra les mêmes positions dans des forums internationaux, et particulièrement au sein de l’Internationale Socialiste dont il est membre.  Participant aux élections présidentielles de 1999, il s’en retirera, avec cinq autres candidats, accusant l’administration de fraude. Tous ces épisodes et ces prises de positions ont valu au FFS des déchirements organiques, des tiraillements et des incompréhensions de la part de ses sympathisants.  Mais, en vérité c’est là un parcours de toute l’Algérie, avec ses contradictions, ses fantasmes et ses lourdes interrogations.  On a beau coller au parti du FFS des positions de raidissement,  des démarches  »farfelues », peut-être même de la  »légèreté » et des contradictions, c’est là le reflet de la société algérienne tout entière qui évolue politiquement, économiquement et culturellement, dans une espèce de « flou artistique » où ne manquent ni les contradictions, ni les fantasmes, ni la gâterie. L’honnêteté intellectuelle commande de dire que, dans leur écrasante majorité les analyses qu’Aït Ahmed a faites de la société algérienne et du pouvoir politique, gardent toute leur fraicheur et leur pertinence.  Conduire un parti, dans une Algérie écrasée par la rente, le clientélisme, la corruption, l’analphabétisme politique, est une véritable gageure, voire une aventure. Hocine Aït Ahmed l’a fait pendant un demi-siècle, après avoir passé vingt ans dans le mouvement national et la guerre de libération.  Se donnant une vocation nationale, il est quand même accusé de régionaliste; une partie des citoyens de la région où il est le mieux implanté la Kabylie, l’accusent de s’échiner pour rien à devenir un parti national. C’est malheureusement le destin de beaucoup d’autres partis ayant pour base sociologique et culturelle la Kabylie. Salem Chaker l’a écrit en février 1989 dans un message adressé aux assises du MCB, qui allaient accoucher du RCD. Au cours de ces cinquante années, le FFS a perdu des cadres et des adhérents, comme il en a gagné d’autres dans un mouvement permanent. Le fleuve, c’est le même, mais les gouttes d’eau qui passent sont différentes.  Indubitablement, le FFS- dans sa composition, ses déchirements, ses contradictions et ses lourdes interrogations- est un condensé de la société algérienne, et plus spécifiquement kabyle.

A. N. M.

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