Des progrès palpables

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Il est un fléau plus fort que tous les fléaux sociaux, car de lui découlent tous les autres. Il s’agit de l’analphabétisme.

Il est capable, si l’on n’y prenait garde, de ruiner tout un pays. Il frappe la société en plein cœur en détruisant son modèle économique et son système éducatif. Plus son taux est élevé plus élevé est le taux de criminalité et de délinquance dans un pays. Il serait vain de vouloir lutter contre le tabac, l’alcool, la drogue, la prostitution, le vol, le viol, le crime, si l’on ne s’attaquait pas en premier lieu à ce mal. Mais les ravages d’une telle calamité peuvent être d’une autre nature. C’est sur un tel fumier que poussent le fanatisme, la haine et l’intolérance vis-à-vis de l’autre. C’est sur l’ignorance et les superstitions que s’est bâti la forme la plus vile d’exploitation de l’homme par l’homme qui soit au monde après l’esclavage : le colonialisme. C’est, enfin, sur cet état d’abêtissement profond que butte frontalement tout effort d’industrialisation et tout effort de modernisation d’un pays. Comment relever, en effet, les défis que pose tout transfert technologique sans une élite formée dans les plus grandes écoles occidentales ? Quelques statistiques permettent de se faire une idée de la situation qui a prévalu en Algérie avant et après l’indépendance du fait de ce fléau.

 

L’alphabétisme, des origines à nos jours

 

En 1930, que constatons-nous en compulsant le document contenant ces chiffres? Que le taux d’analphabétisme, à l’échelle nationale, était de 14%. Il ne cessera de croître jusqu’à atteindre 94% en 1948, avant d’amorcer une légère décrue en 1955 (92%) et 1962 (85%). Prenant conscience des enjeux politiques, économiques et moraux que représente cette lutte, l’Etat a mis les moyens qu’il faut pour venir à bout de ce chancre moral. Tel Sisyphe, roulant son rocher sur une pente rapide, il ne cessera d’en infléchir la courbe. Quatre ans après l’indépendance, les résultats sanctionnent ces efforts : le taux d’analphabétisme est de 74, 60%. Onze ans plus tard, il dégringole à 59,9%. En 1987, il chute encore autour de 43,60%. Jusqu’ici, le combat était mené au niveau des écoles primaires, des mosquées et des zaouïas. Les efforts restaient, donc, en deçà des ambitions affichées qui sont de parvenir à un taux acceptable, comme celui qu’affichent les sociétés les plus évoluées. Seule une action pédagogique plus réfléchie, plus coordonnée, plus méthodique aussi, pourrait permettre de propulser l’Algérie sur la sphère de la connaissance et de la modernité. La nécessité de doter le pays d’outils performants pour vaincre l’analphabétisme se faisait absolument sentir. Aussi, dès le 6 mars 2008, voyait-on sortir ce décret présidentiel portant création de l’Office national d’alphabétisation et d’enseignement des adultes (ONAEA), aux côtés de l’association Ikra. Grâce à l’enseignement dispensé par ces deux organismes, l’analphabétisme, dont l’ombre a longtemps assombri notre pays, ce dernier commence à rayonner de nouveau et ce rayonnement porte loin. Plus concrètement, le taux d’analphabétisme a encore reculé. Il était de 42,70 en 89, tombant ensuite à 31,68 en 98. En 2002, l’analphabétisme résiste un peu à la double action pédagogique des associations de l’office. De 26,50% en 2002, le taux chute encore à 24% en 2006 pour s’arrêter à 22,1% en 2008. Les autorités pensent le ramener en dessous de 18% en 2013. A noter que le phénomène ne semble pas avoir connu de regain pendant la double décennie noire, alors que l’enseignement général et professionnel avait pâti du fait des actes de sabotages et des incendies ayant visé les établissements. Prenons ce tableau consacré aux hommes et aux femmes de tous âges, ayant subi entre 2007 et 2011 un enseignement dispensé dans le cadre de la lutte contre l’analphabétisme, ils sont 68 491 hommes contre 443 581 femmes, 118 126 hommes contre 680 376 femmes en 2008-2009, 113 049 hommes contre 757 083 femmes en 2009-2010 et 112 463 hommes contre 796 420 femmes en 2010-2011. Mais déjà une remarque à la clef, alors que les chiffres concernant les hommes qui suivent des cours d’alphabétisation s’infléchissent dès 2010-2011, après une poussée spectaculaire enregistrée en 2008-2009. Chez les femmes fréquentant les mêmes cours, la tendance demeure à la hausse. Comment expliquer que les femmes ont plus de goût pour les études que les hommes ? Qu’elles ont plus de loisirs ? Ou bien sentent-elles combien un tel enseignement les aide à s’émanciper ?

 

L’alpha et l’oméga de l’ONAEA

Occupant un stand à la maison de la Culture, l’ONAEA étalait des livres comme pour montrer que le savoir et la connaissance transitent par là et que la vraie victoire sur l’analphabétisme commence par l’apprentissage de l’alphabet. D’où le mot alphabétisation qui reste l’alpha et l’oméga de cet enseignement. Peu de curieux, cette matinée, alors que ces portes ouvertes étaient à leur deuxième journée. L’alphabétisation fait-elle peur par les efforts qu’elle demande ? Fait-elle honte ? La coordinatrice au niveau de cet office est convaincue du contraire. La preuve, cette responsable la voit dans le taux actuel d’analphabétisme qui est de 22% et de l’objectif que les autorités concernées s’assignent de le ramener autour de 13 ou même 12% en 2013 et 2014. Cet engouement se fortifie d’année en année chez ce groupe social exclu pour diverses raisons de l’instruction publique, alors qu’il s’agit-là d’un droit imprescriptible. En augmentation constante comme le montre le document que nous consultons depuis le début de cette courte étude, l’alphabétisation a profité en 2010-2011 à 91 144 chez cette tranche d’âge qui va de 15 à 24 ans, contre 57 962 en 2007-2008. Pour la tranche d’âge allant de 25 à 45, ce sont 385 549 contre 220 080 qui ont bénéficié de cet enseignement. L’intérêt reste croissant chez les personnes âgées de 55 ans et plus, puisque de 126 088 apprenants pour la même période, leur chiffre passe à 224 806 apprenants.

 

Plus de 22.000 apprenants attendus cette année à l’échelle de la wilaya

 

Dans sa mission à Bouira, l’ONAEA, pour permettre à cette catégorie sociale laissée sur le bas de la route du progrès de jouir de ce droit imprescriptible, a ouvert ses portes pour accueillir en 2013-2014 quelque 10 500 apprenants hommes et 10 978 femmes. Le nombre d’enseignants est estimé à 402. Leur stratégie est de profiter des vacances et des journées de repos pour se servir des établissements scolaires. Car, selon Melle Aït Benamara qui prépare un master cette année, l’alphabétisation assurée par l’ONAEA va rejoindre celui de l’Education et même la formation professionnelle ainsi que des écoles privées. Les samedi et les Mardi après-midi sont donc retenus comme journées de travail pour l’office. L’arabe est dispensé à raison de 216 heures et les maths pour 72 pour le niveau 1. Pour le niveau 2, c’est 144 heures pour l’arabe et 48 heures pour les maths. Au niveau 3, c’est 180 heures pour l’arabe et 60 heures pour les maths. La formation débouche sur la formation professionnelle par des apprentissages dans les quatre spécialités dont la coiffure, la couture, la pâtisserie… Alors qu’aux niveaux 1, 2 et 3, la formation varie respectivement entre 9, 4 et 5 mois, et dure 6 mois pour l’apprentissage en sus des 18 mois exigés par l’alphabétisation. « Une personne est libre d’apprendre les quatre spécialités, mais l’une après l’autre », expliquait la coordinatrice de l’office. Conclusion : si notre pays a souffert des méfaits du colonialisme, c’est surtout de cet aspect lié à l’analphabétisme qui a maintenu les générations entières dans une forte sujétion par la destruction de leurs repères culturels et de leurs valeurs intrinsèques. Aujourd’hui, l’Algérie libre et indépendante tente d’effacer les séquelles de 130 ans d’existence coloniale sur son sol et l’une de ses priorités et d’éradiquer ce fléau qui maintient les sociétés non évoluées dans un état d’ilotisme profond. Les femmes sont, comme on le voit, à l’avant-garde de ce combat qui est un combat pour l’émancipation des peuples.

Aziz B ey

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