45 milliards pour la réhabilitation des écoles primaires

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A la faveur de la visite que le wali a effectuée, la semaine dernière, à Aïn El Hadar, une localité sise à une dizaine de kilomètres de Bouira, nous apprenons que plus de 500 écoles sont concernées par un projet de réhabilitation qui nécessite plus de 45 milliards de centimes.

Les murs fissurés, les toits délabrés, les fenêtres et les portes fermant mal du fait de leur gauchissement font que beaucoup d’établissements scolaires ne répondent plus aux normes fixées pour créer les meilleures conditions de travail et optimaliser le rendement pédagogique. Pourquoi l’enseignement des fondamentaux ne permettent-ils plus à l’enfant de savoir lire, écrire et compter ? Pourquoi, en d’autres termes, le système éducatif est-il défaillant ? Faut-il incriminer les méthodes ? Faut-il chercher la cause de la déliquescence de notre enseignement dans l’incompétence de nos enseignants ? Faut-il la mettre sur le compte de l’enfant, otage à la fois des syndicats autonomes que des nouvelles technologies qui l’éloignent du chemin du vrai savoir ?

La réhabilitation et après ?

Nous croyons avoir cerné la problématique par cette question que nous avions posée, avant-hier, au directeur de l’éducation venu honorer une dizaine d’enseignants et de directeurs d’établissements : Pourquoi l’image de l’école ne cesse-t-elle de se dégrader au point qu’on la qualifie aujourd’hui de sinistrée ? Pour notre interlocuteur qui se référait au passé puis au présent, on ne pouvait comparer deux situations différentes : l’école où l’on abandonnait les études au cours du fin d’étude, correspondant à l’ancienne sixième AF et l’école où l’élève n’est radié du CEM qu’à 16 ans et seulement s’il ne réussit pas son examen de passage. Autrefois, selon lui, les seules distractions, c’étaient les albums et le cinéma. Mais les albums, c’étaient encore de la lecture. On y apprenait à disserter et à dialoguer. Et si le cinéma attirait, il reste que les moyens ne permettaient d’y aller qu’une ou deux fois par mois. Autre chose : en ces temps lointains, les concours ne prenaient que les meilleurs élèves, d’après le DE. On visait, donc, à l’élitisme. Le peu d’établissements dans le moyen et le secondaire, obligeait à placer toujours la barre trop haut. Aujourd’hui, selon ce responsable nouvellement installé dans son poste à Bouira, les choses évoluent différemment. Les établissements scolaires existent en une telle quantité que le nombre d’élèves par classe ne dépasse jamais la trentaine. Les concours et les examens ouvrent largement les portes de ces établissements. On a la quantité par rapport au temps passé. On tend à avoir la qualité. D’autre part, pour en arriver à l’élève, les jeux électroniques et l’internet ont remplacé les illustrés. L’enfant apprend en jouant et en manipulant. Il y a très peu de chance qu’il connaisse Molière, mais il compense cette lacune d’ordre culturel par une vraie petite encyclopédie qui lui permet d’être plus à l’aise dans une conversation qui aborde des sujets d’actualité. Il peut parler de tel pays, de tel événement récemment, de tel président de la République ou de telle personnalité politique sans hésitation. Et en guise de péroraison, le responsable du secteur à l’échelle locale estime: «Nous ne pouvons pas, n’est-ce pas, imposer nos propres goûts à nos enfants ? Autrefois, nous éprouvions du plaisir à écrire une lettre. Les jeunes d’aujourd’hui préfèrent les SMS. Mais il reste l’école. Et elle tente de combler le manque par un enseignement qui vise à la fois la quantité à la qualité. Les moyens permettent d’y prétendre. Tous les enfants sont scolarisés. Et ceux qui quittent l’école le font le plus tard possible. Et le pourcentage de réussite aux examens est à la fois en fonction des places pédagogiques disponibles et des connaissances acquises par le candidat.»

Le directeur del’éducation en parle

La deuxième question que nous avions posée est celle du bruit, et elle s’adressait au wali et non au directeur de l’éducation. Il tenait un point de presse, au terme de cette visite dont nous parlions plus haut, et qui l’a menée, dans l’après-midi d’avant-hier, à Aïn El Hadar à cette école de Ras Bouira. On y refaisait la cour, et l’engin qui effectuait des travaux de terrassement y causait un raffut de tous les diables. La question concernait la nuisance sonore et, incomplète, ne se posait que pour les chantiers en activité dans les cours et les classes voisines de celles où se déroulent les cours. Le premier responsable de la wilaya a invoqué la nécessité qui fait loi. Les entrepreneurs n’ont pas pu répondre présents au moment où l’offre d’appel leur a été lancée. Et maintenant, il fallait faire avec. En vérité la vraie question est autre. La nuisance sonore ne provient pas seulement des chantiers et des engins à l’œuvre dans certaines écoles. Elle se pose pour toutes les écoles qui se trouvent à côté d’un ou de plusieurs ateliers, de menuiserie métallique, notamment, ou d’une rue trop fréquentée par les véhicules. C’est un enseignant du primaire qui se plaignait de cet inconvénient et qui le formulait ainsi en se basant sur son propre vécu quotidien. En face de l’école où il enseignait, trois ateliers s’ouvrent. Le bruit atteignait une telle intensité que ses cours en devenaient inaudibles, à ses dires. La mise à niveau dont il est question tient-elle compte de ce paramètre et essaie-t-elle d’y remédier ? Il ne semble que ce soit le cas. Le souci de l’heure a trait à l’aspect intérieur et extérieur, non à l’insonorisation. Certaines écoles en milieu urbain construites il y a une vingtaine d’années, connaîtront, en effet, des « mises à niveau » leur permettant d’avoir l’apparence d’une école. Mais le problème du bruit reste étranger à cette préoccupation. Ainsi, passons-nous des écoles bondées d’autrefois aux écoles non insonorisées d’aujourd’hui. Nous retrouvons bien là l’objectif des responsables qui recherchent la quantité mais on est encore loin de la qualité.

Cerner la responsabilité

Cependant, la concrétisation de ce dernier objectif reste tributaire d’autres facteurs. Cela va de l’enseignant à l’élève, en passant par les inspecteurs et les parents d’élèves. La routine mine les efforts de l’enseignant. Cette maladie qui affecte sa conscience commence comme une myopie. Il perd peu à peu de vue les objectifs lointains et ne travaille que pour le cours terme qui se limite à l’exécution automatique de sa tâche quotidienne. Lui-même finit par devenir au bout de dix ans un automate. C’est par des stages de recyclage, par des promotions qui lui permettent de gravir les échelons, c’est par des examens professionnels pour tester ses compétences que l’on parviendrait à briser cette ennemie de l’enseignant : la routine. Par ailleurs, il est facile de voir que l’élève n’a pas assez de goût pour la chose imprimée. Le papier et l’encre l’écœurent. Ils lui paraissent d’un autre âge. L’évasion, c’est, comme l’a fait remarquer le directeur de l’éducation dans son entretien, est dans les consoles de jeux et la navigation sur internet. Comment oser lui parler de classe, quand le monde entier se ramène aux dimensions d’un village ? Tout le savoir n’est-il pas dans cet écran qui lui procure le pouvoir d’être branché non pardon, d’être connecté au monde entier ? Mille liens le rattachent au monde. Sans bouger de sa place, il est à New York, à Hong Kong, à Moscou, à Delhi, à Berlin, à Rome… Mille connaissances se présentent à son esprit sur un simple clique. Il est omniprésent et omniscient. Et l’on voudrait qu’il renonce à ce monde et à ce pouvoir d’ubiquité ? Et l’on voudrait qu’il s’enferme entre quatre murs où le savoir n’arrive qu’au compte gouttes et dont l’acquisition demande des efforts qui le mettent après sur le flanc !

Seulement, voilà ce savoir acquis à la sueur de son front reste. L’autre, comme un bien mal acquis, ne profite guère. Sans le nécessaire travail de systématisation, de répétition et d’évaluation permanente qui fixe et consolide les notions acquises, ce savoir s’en va avec la même facilité et la même rapidité qu’il vient. L’école et le lieu où l’on apprend à être patient et endurant. Une page de Corneille ou de Racine ne se lit pas comme un article de Facebook ou de Yahoo. Une lettre ou une dissertation ne se rédige pas comme un commentaire sur l’un ou l’autre site. Seule une démarche s’appuyant sur une méthode sûre donne la clef de la réussite scolaire. Enfin, dernier point sur lequel nous insistons tout particulièrement, les parents d’élèves doivent faire preuve de plus de responsabilité. Ils doivent s’impliquer davantage dans la formation de leurs enfants en les surveillant étroitement et en veillant à ce que les bonnes habitudes apprises en classe ne se perdent pas dans des jeux et des activités sans lien avec leur apprentissage. Ils doivent savoir faire usage d’assez de fermeté pour que l’enfant ne dévie pas du droit chemin tracé devant lui. Dans «Parking au printemps», Christiane Rochefort compare les cours à une pluie bienfaisante ne profitant qu’aux élèves des premières tables. Ceux se trouvant au fond sont comme les habitants du désert. Ils ne voient tomber de temps en temps que quelques gouttes. Aujourd’hui, avec ce problème que pose le voisinage des ateliers, l’écrivaine serait d’un autre avis sur nos écoles. C’est d’orage qu’elle parlerait, d’orage dont ne profiteraient pas plus les élèves qui sont devant que ceux qui sont au fond. Tout se noierait et se confondrait irrémédiablement dans un déluge de décibels. Réhabiliter les écoles et les classes est, certes, une bonne initiative, mais cet effort ne doit pas rester à mi-chemin. Il faut penser à l’enseignant qui est la pièce maîtresse du système éducatif. Il faut mettre entre ses mains de bons outils didactiques (méthodes d’enseignement vivantes, programmes clairs et précis), assurer sa formation de façon pérenne, lui ouvrir d’autres voies pour sa promotion et rétablir les sanctions pour récompenser les bons et punir les mauvais. Ainsi reviendra le sérieux nécessaire à un enseignement de qualité.

Aziz Bey

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