Larbi Ali raconte la bataille des kabyles à Annaba

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Pas moins de cinq embuscades de l’armée française, dressées sur le passage du commando, furent déjouées.

Sidi Salem, c’est le nom d’une localité située à 5 km de Annaba, où s’est déroulée l’une des plus célèbres batailles de l’Est du pays, que les Moudjahidine de cette région ont appelée «La bataille des kabyles», et qui a opposé le 24 juin 1959, un commando de fidayîn, tous originaires de la wilaya III historique (Tizi-Ouzou, Béjaïa et Bouira) aux forces coloniales. Ce commando, dénommé aussi «groupe de choc», était composé de 34 Moudjahiddine venus de Tunis et se dirigeant vers la Kabylie pour une mission. L’un des 3 survivants de cette bataille, le Moudjahid Larbi Ali, originaire du village Ath Ivrahim dans la commune de M’Chedallah, nous narre ce haut fait d’arme des maquisards de l’ALN. Il était alors, se souvient-il, âgé de 19 ans et avait été envoyé en Tunisie, après son enrôlement en 1957 dans les rangs de l’ALN, pour bénéficier d’une formation militaire dans l’école des cadres à Kef, puis a été affecté comme formateur, à l’école de Zitoun, toujours en Tunisie, avec 2 compagnons, en l’occurrence Abdellah Belhouchet et Abdellah Ayoub. En juin 1959, et sur instruction de Krim Belkacem et Mohammedi Saïd, raconte t-il, un commando de 85 fidayîn a été mobilisé pour une mission d’acheminement d’armes vers la wilaya III (Kabylie). «La compagnie, dotée de 3 postes émetteurs et d’armes automatiques, s’ébranla aussitôt vers le poste de commandement (PC) Abderrahmane Ben Salem, en territoire tunisien à proximité des frontières, où l’on mettra à la disposition du commando un guide et des passeurs pour traverser la ligne Maurice, cela après que chaque Djoundi eut reçu sa ration alimentaire composée d’un kg de farine d’orge mélangée de sucre (ration de guerre)» raconte notre interlocuteur. Le premier obstacle qui se dressa devant les Djounouds fut l’oued Medjedra, une rivière large de quelque 100m, et les passeurs ont dû utiliser des embarcations légères, deux éléments par barque, se remémore encore Larbi Ali.  Malheureusement, le terrain sur l’autre rive étant nu et défriché et l’approche du jour les obligea à rebrousser chemin, et ce n’est que dans la soirée du 23 juin que des membres du commando, au nombre de 34, se sont portés volontaires pour une 2ème tentative.

La traversée de Oued Medjedra

Ce commando s’est délesté de l’armement lourd, ne gardant que des mitraillettes, une pièce 24 et des Mausers. La rivière traversée, ils arrivèrent à la ligne Maurice à 1h du matin, après une heure de marche. Les passeurs choisirent un pont pour la traversée, mais le dessus de l’ouvrage étant barré par des fils de 3000 volts de la ligne Maurice, c’est par-dessous qu’ils se sont glissés en traversant à gué après avoir coupé le barbelé à moins de 50m d’un mirador (puissant projecteur pivotant manipulé par une sentinelle), se rappelle notre interlocuteur.  Ils reprirent, ensuite, leur marche pour déboucher sur la ferme d’un colon et se cachèrent dans un champ de blé durant 3 jours, attendant le moment propice pour reprendre leur avancée. Et c’est là qu’ils ont épuisé toutes leurs provisions, en aliments et en eau. Au 3eme jour, le propriétaire de la ferme, en tournée dans les champs, les remarqua. Ce qui les obligea à un nouveau déplacement dés la tombée de la nuit. Notre interlocuteur affirme que pas moins de 5 embuscades de l’armée française, dressées sur le passage du commando, furent déjouées grâce à leur expérience du terrain, et ce n’est qu’à la 6ème qu’ils ont été repérés, et l’alerte fut, ainsi, donnée. C’était à proximité de l’oued Seybouse, le mercredi 24 juin 1959 à 1h du matin, que l’encerclement du commando commença. Le guide avait disparu aux premiers coups de feu. Ammi Ali pense qu’il s’était rendu et avait donné la position du commando aux officiers français, qui mobilisèrent pas moins de 20.000 hommes pour procéder à un bouclage hermétique du lieudit Sidi Salem où se trouvait le commando de l’ALN. Les Français ont procédé ensuite, au lâchage des eaux du barrage de la localité pour provoquer une crue plus forte de la rivière Seybouse. A la levée du jour, l’aviation et les chars d’assaut succédèrent au pilonnage au mortier et lâchèrent une pluie de bombes au napalm et des gaz asphyxiants, avec la contribution des navires de guerre en rade dans le port d’Annaba. Après chaque raid, les officiers français tentaient des assauts terrestres, et plus d’une dizaine ont été repoussés par les fidayîn, qui étaient décidés à se battre jusqu’à la dernière cartouche.

L’accrochage a duré près de quinze heures

La bataille a duré environ 15 heures, de 1h du matin jusqu’à 16h. Un élément du commando se rendra à l’ennemi, emportant avec lui 3 millions de centimes et un paquet de grades destinés aux Moudjahiddine de la wilaya 3. En plus de plusieurs militaires abattus lors des assauts répétés, 3 avions de combat ont été détruits (un B26, un avion de chasse et un avion de reconnaissance). Les survivants du commando tentèrent une opération suicide, pour forcer le bouclage et pénétrer dans la ville de Annaba, mais un déluge de feu et de flammes ne leur laissa aucune chance. La majorité des éléments qui composaient le groupe ont été brûlés vifs au napalm. Laârbi Ali perdra connaissance, après avoir reçu une balle dans un brouillard de gaz asphyxiant. Il se réveilla dans une cellule, dans la prison de Koudiat à Annaba, où il fut soigné par deux autres Moudjahiddine, eux même blessés lors d’une autre bataille, qui ont réussi à le réanimer avec les moyens de bord. Ammi Ali croit savoir que deux autres fidayîn de son commando auraient été blessés et furent transférés vers une autre prison. Les 3 Moudjahiddine, compagnons de cellule, tous condamnés à mort, tentèrent une évasion par une ouverture qu’ils avaient façonnée dans le mur à l’aide d’un tournevis, mais, malheureusement, ils furent découverts au 70e jour, trahis par un collaborateur espion de l’armée française qui a été introduit dans la cellule à 2 jours de la date de l’évasion. Laârbi Ali fut transféré à la prison de Sétif au DOP et mis au cachot, ses blessures s’étant infectées, il fut hospitalisé dans la même ville, et c’est un médecin algérien qui lui sauva la vie in extremis, refusant de le remettre aux militaires avant sa complète guérison. Il termina son séjour dans les geôles françaises à la prison du Ksar Tir (actuellement Ksar El Abtal) et ne fut libéré qu’après la proclamation du cessez-le-feu en 1962. Notons, pour conclure, qu’une stèle commémorative comportant les noms des martyrs, a été érigée sur les lieux de cette héroïque bataille dite «Bataille des Kabyles» à Sidi Salem, autour de laquelle ont été regroupées les carcasses des 3 avions abattus, des douilles d’obus de 105, l’emballage des fûts de gaz asphyxiant et de napalm.

Oulaid Soualah

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