C'est le printemps!

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Le printemps s’installe presque parfaitement; il est « supposé » l’être après l’équinoxe du 20 mars dernier. Les quelques perturbations légères liées à la période du calendrier amazigh appelée « Ahaggan » ne tarderont pas à laisser place à une chaleur qui montera graduellement jusqu’à la canicule de juillet, laquelle coïncidera, pour la troisième année consécutive, avec le mois de Ramadhan. Mais le printemps, aussi beau et fleuri qu’il soit, est un moment fugitif du calendrier nord-africain. « Comme le printemps des jeunes filles », fait remarquer Mouloud Mammeri dans ’’La Colline Oubliée’’. Dès les premiers mots de ce roman emblématique, l’auteur écrit: « Le printemps, chez nous, ne dure pas. Au sortir des jours froids de l’hiver où il a venté rageusement sur les tuiles, où la neige a fait se terrer les hommes et les bêtes, quand le printemps revient, il a à peine le temps de barbouiller de vert les champs que déjà le soleil fait se faner les fleurs, puis jaunir les moissons ». Cependant, cette fugacité est moins perceptible en Kabylie qu’ailleurs, dans les autres régions d’Algérie, où l’humidité est moins forte, la pluviométrie plus parcimonieuse et les effets de la continentalité se font plus sévères.

Néanmoins, le massif du Djurdjura, plus proche de la mer, subit lui aussi de forts contrastes naturels selon le versant sur lequel on se met. Le versant nord, qui déroule son relief tourmenté par l’ensemble des collines, des sommets et des vallées qui supportent tous les villages de la wilaya de Tizi-Ouzou jusqu’à la mer, est assez arrosé recevant entre 800 et 1200 mm de pluie par an. Ce relief dessine un chevelu assez tourmenté de réseaux hydrographiques qui se rejoignent majoritairement à Oued Aïssi. Ce dernier se déverse dans le Sebaou qui a commencé sa course depuis la région d’Illoula et Azrou n’Thor. Juste avant ce point de jonction, est érigé le barrage de Taksebt, entre les massifs d’Ath Irathen et Ath Douala. Outre son importance économique en matière d’alimentation de la population de trois wilayas en eau potable, le barrage est indubitablement un site touristique de premier plan. Du moins, il devrait l’être. J’ai eu une sensation de beau vertige lorsque, à l’arrêt au niveau de Tizi n’Kouilal, je pus voir, à cette grande distance, le lac de Taksebt, juste après avoir détourné les yeux d’un autre lac, vers le sud, celui du barrage de Tilesdit, en bas de Tikjda, dans la wilaya de Bouira. Le Djurdjura est un véritable château d’eau qui a tardé à être exploité. Cependant, mieux vaut tard que jamais. À eux seuls, ces deux barrages totalisent quelque 600 millions de mètres cubes. Sites touristiques, disais-je, à cette différence près, et elle est de taille, que la culture devant l’accompagner n’est sans doute pas encore au rendez-vous. Les atteintes à l’environnement n’ont jamais atteint les sommets. Sachets, cartons, canettes et bouteilles de boissons, et toutes sortes de détritus constituent maintenant un paysage que l’inconscience des gens impose à nos yeux. On a beau chercher une niche chaste, immaculée, sauvage, à la périphérie de ces sublimes sites, on a de la peine à en surprendre quelques mètres carrés.

Le versant sud du Djurdjura, tout en déversant sa générosité hydrique dans l’Oued Sahel et la Soummam, ainsi que dans le lac de Tiledsit, est affecté par les effets de la continentalité. Autrement dit, le souffle des Hauts Plateaux et du désert sont ressentis dès le piémont. La vallée du Sahel, qui va de Bouira à Akbou (la haute et la moyenne Soummam), est située dans un étage bioclimatique semi-aride. De 400 à 500 mm de pluie/an. Les moissons de blé y sont faites avant le versant nord; les figues de Takerbouzt, Haïzer et Taghzout sont exposées sur l’autoroute au moment où aux Ouadhias et Ouacifs on n’a pas encore constaté « tassentit », la première figue mûre dans un champ. Le couvert forestier est dominé par le pin d’Alep, un arbre qui résiste à la sécheresse. L’exception, ce sont les sommets de Tikjda et Lalla Khedidja, où l’on trouve du cèdre et du chêne vert. Dans le massif des Bibans, faisant face au Djurdjura, l’on trouve même des espèces typiques de…la steppe : alfa et armoise (chih). Il en est ainsi des communes d’Ath Mansour et d’Ahnif. C’est dire la vitesse du processus de désertification qui est à l’œuvre dans la région. Le contraste qui met un peu de baume au cœur est cette nappe d’oliveraies qui couvre toute la vallée de M’Chedallah jusqu’à Tazmalt et Akbou. Un nouvel espoir naît dans cette région avec l’installation, qui est toujours en chantier, de deux grands périmètres irrigués chevauchant les wilayas de Bouira et Bejaïa sur une superficie de presque 9 000 hectares. Le versant nord du Djudjura est fait de chêne vert, de frêne, de micocoulier (ibikès), d’orme (ulmu) et d’autres espèces indicatrices d’humidité. Mais, il est couvert de toutes les cultures que les montagnards ont héritées de leurs ancêtres, à commencer par l’olivier et le figuier, jusqu’au cerisier, pommier, poirier, en passant par les jardins potagers. Sur ces collines où les arpents de terre sont trop mesurés, j’ai assisté au début des années 1980 aux dernières récoltes de…lentilles. Oui, de lentilles. Un produit, avec les pois chiches, que nos importateurs sont allés chercher au Mexique et en Turquie, sous le règne de l’embellie de la rente pétrolière. Les lentilles ne sont pourtant pas des produits de petites vallées et de maigres collines. C’est une culture que les anciens colons d’Algérie pratiquaient sur les grandes plaines de l’Oranie et du Constantinois. Le printemps, c’est aussi Toudja et sa source d’Aghbalou. C’est à quelques kilomètres de la ville de Béjaïa, la dernière extension du Djurdjura qui domine la vallée d’Oued Ghir. Malgré les incendies de forêt qui ont affecté les massifs de Taourirt Ighil et de l’Akfadou, les versants exposés à la Méditerranée- depuis Boulimat jusqu’à Beni Ksila, en passant par Oued Dass et Saket- le printemps se lit sur les flancs herbus, où gazouillent une multitude d’oiseaux et glougloutent les aux cristallines des talwegs rocheux. Le printemps, c’est aussi ce grand lac bleu, lové dans la fougueuse rivière de Bousellam, constituant le barrage de Tichy-Haf. Ce dernier est enserré dans les anfractuosités des Bibans, entre Bouhamza et Almain, et fait face à Akbou. Une nature faite de beaux reliefs de Gueldamen, au bas desquels sortent les eaux chaudes de Hammam Sidi Yahia.  Avec les Babors, sur lesquels s’étendent Aokas, Derguina, Kherrata et d’autres belles contrées, le Djurdjura et les Bibans constituent un potentiel touristique qui, malheureusement, n’est pas encore mis en valeur. Chaque coin raconte une histoire, et même l’Histoire; chaque colline constitue une partie de la mémoire kabyle; chaque vallon dit le labeur et les valeurs du travail des populations depuis la nuit des temps.

 Amar Naït Messaoud

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