Aït Yahia Moussa se souvient

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C'est sous une pluie battante que fut commémoré, hier, le 57e anniversaire de la bataille du 6 janvier 1959, dite de Bougarfène, du côté d'Ighil El Vir, à cinq kilomètres dans le versant Est du chef-lieu communal de l'ex- Oued Ksari.

En effet, peu avant huit heures, la procession de citoyens, dont de nombreux moudjahidine, arpenta cette route sinueuse qui mène au carré des martyrs « bataille 6 janvier 1959 » où est prévue la ré-inhumation des ossements de quatre martyrs, à savoir Méziani Slimane, Batatache Mouloud, le sergent Slimane et un inconnu, exhumés, lundi dernier, dans un champ où ils furent enterrés en 1961. Ce 57e anniversaire de cette bataille, l’une des grandes batailles de la révolution algérienne, fut marqué par la présence de hauts responsables de l’ONM de Tizi-Ouzou dont son directeur, du premier responsable du musée du Moudjahid de M’Douha, du chef de daïra, M. Tabet Abdelmadjid, et bien sûr des autorités militaires et civiles. Les ossements de ces quatre valeureux martyrs furent alors ré-inhumés dans une grande émotion quand on sait que, tout de même, notamment des civils ayant échappé à la tuerie de ce jour-là sont venus se recueillir à la mémoire des 385 martyrs tombés au champ d’honneur. Dans son discours, le maire M. Said Bougheda reviendra, avant tout, sur l’engagement de la région qui enregistre, selon les chiffres officiels, plus de mille martyrs, sans compter bien sûr les centaines d’autres tombés dans d’autres régions du pays. « Nous nous inclinons devant la mémoire de tous les martyrs qui se sont sacrifiés pour notre indépendance. En ce 57e anniversaire de la bataille du 6 janvier 1959, nous venons d’accomplir un devoir de mémoire en ré-inhumant quatre martyrs laissés pendant plus de cinquante-cinq ans dans un champ près d’un ravin. Je saisis aussi cette occasion afin de lancer un appel pour tous ceux qui ont des informations au sujet des deux martyrs dont nous n’arrivons pas à trouver les noms, à savoir le sergent « Slimane » et un autre inconnu, tombés au champ d’honneur à Tizra Aïssa en 1961, de se manifester auprès de l’ONM d’Aït Yahia Moussa ou à l’APC, afin de nous aider à reconstituer leur identité », dira le P/APC devant l’assistance, en ajoutant que les carrés des martyrs de la commune ont été tous restaurés et pris en charge. Il rappelle, par ailleurs, la réalisation de la stèle « Krim Belkacem » à l’intérieur de l’enceinte du siège de l’APC et la liste des martyrs qui sera revue en inscrivant les noms des autres martyrs de la commune tombés ailleurs. De nombreux témoignages suivirent cette allocution du maire. Ils se sont tous accordés à dire que les combattants de l’ALN avaient tenu tête aux militaires français en dépit de la supériorité numérique de l’ennemi. Ce qu’il faudra reconnaître c’est que si 500 djounouds étaient, ce jour-là à Aït Yahia Moussa, c’était parce qu’une réunion importante des états-majors des wilayas historiques 3 et 4 allait se tenir dans le village de feu Krim Belkacem, où seraient présents le commandant Azzedine, le colonel Si Mohamed Bougerra, le capitaine Mahiouz et le capitaine Omar Oussedik. On parle même du colonel Amirouche, car cette rencontre avait été décidée à la fin de l’année 1958, lorsqu’une réunion de coordination avait été tenue à Akfadou entre les colonels Amirouche, Si L’Houès et Mohand Oulhadj et d’autres hauts cadres de la révolution. Celle d’Aït Yahia Moussa allait traiter des problèmes organisationnels et financiers, apparus en décembre 1958. Selon un témoignage, fait il y a quelques années par Ikri Mohamed dit Si Smail, au début du mois de janvier 1959, Mahiouz Amar dit Si Ahcène, responsable de la zone 3, avait reçu un message lui annonçant la tenue de cette importante réunion à Aït Yahia Moussa. D’après le même témoignage, ce message avait été intercepté par un collaborateur de l’ennemi qui informa un colonel de l’armée française à la caserne de Draâ El-Mizan, qui, à son tour, en fit état à ses supérieurs. C’était dans ce sens qu’un plan avait été préparé pour engager une grande offensive et anéantir de hauts responsables de l’ALN, une opportunité pour les généraux français de mater la révolution. À entendre certains témoins de cette géhenne, c’était le six janvier au matin que les camions, lourdement chargés, démarrèrent de Draâ El-Mizan après que des bataillons eurent été installés dans plusieurs villages, à savoir Tafoughalt, Agouni Ahcène, Tizi Guezgarène… Donc, avons-nous entendu, l’armée française commença son avancée sur le terrain et commença ses premiers bombardements. À ce moment là racontait feu le capitaine Si Moh Nachid de son vrai nom Oudni Aomar, responsable de la zone 4 de la wilaya 3, «la rencontre allait commencer à la maison de Krim Rabah à Tizra Aïssa. Nos djounouds, au nombre de cinq-cents, renforcés par d’autres compagnies des wilayas 3 et 4, attendirent l’arrivée des soldats français à Bougarfène, et les combats commencèrent. Nous profitâmes alors de ces intenses combats pour sortir les conclavistes de la région empruntant un chemin sinueux pour arriver dans la soirée à Igherbiène, dans la région de Boumahni et le lendemain matin, nous étions à Ath Kaânane (Bounouh) pour atteindre enfin les cimes du Djurdjura». «Il y avait au total 24 officiers de l’ALN», avait ajouté Si Moh Nachid dans une veillée tenue, il y a quelques années, à Aït Yahia Moussa, à l’occasion de la commémoration du 34e anniversaire de cette bataille. On apprendra que l’armée française était composée de plus de vingt mille hommes lourdement armés, secondés par une trentaine d’avions de combat. Les soldats s’acharnèrent sur les djounouds de l’ALN, quand ils apprirent que deux de leurs officiers, à savoir le sinistre tortionnaire le capitaine Graziani et le lieutenant de chasse Chassin furent capturés. Certains civils se souviennent encore de cette journée restée gravée dans leur mémoire. « Devant leurs lourdes pertes, ils utilisèrent alors du Napalm. Ils détruisirent nos maisons, tuèrent nos bêtes et brûlèrent nos provisions (blé orge, figues sèches et huile). Ils n’épargnèrent rien », nous racontera un octogénaire, gardant toujours les brûlures causées par le Napalm. Au terme de cette bataille, plus tard, les témoignages des rescapés feront état de 400 soldats morts et deux cents autres blessés évacués par des hélicoptères à l’hôpital de Tizi-Ouzou. Cette bataille, l’une des plus importantes d’Algérie, classa Aït Yahia Moussa comme « zone rouge ». D’ailleurs, nous confieront ceux qui gardent ce souvenir, que c’était à partir de cette date que les décideurs de l’armée française avaient installé des camps militaires dans tous les villages, avec bien sûr des postes de contrôle partout. Aït Yahia Moussa, terre qui a enfanté le futur négociateur des accords d’Evian qui mirent fin à sept ans et demi de guerre et qui aboutirent à l’indépendance de l’Algérie, en l’occurrence le colonel Krim Belkacem, a été le berceau de la révolution, mais malheureusement, cinquante quatre ans après l’indépendance, elle est restée en marge du développement quand on voit, aujourd’hui, qu’aucun foyer n’est encore alimenté en gaz de ville, ne serait-ce qu’au chef-lieu, tandis que cette commodité est annoncée quotidiennement dans les villages les plus reculés et les plus abrupts du pays, bien que l’espoir soit permis car, des opérations de raccordement sont lancées depuis l’an dernier, sans pour autant combler ce manque.

Amar Ouramdane

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