Béjaïa célèbre la femme…

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En parallèle avec les nombreuses activités organisées comme chaque année à la Maison de la culture, l’association “Bruits de mots” et le comité des fêtes de la ville de Béjaïa ont également organisé une série d’activités à l’occasion de la Journée internationale de la femme.

L’événement a été célébré en rendant également hommage à Nabila Djahnine, tombée sous les balles assassines, à cause de son engagement en faveur des droits de la femme et de la démocratie. Il y a eu des expositions au théâtre régional de Béjaïa, tout comme à la Maison de la culture Taos Amrouche. Et il y a eu du monde, ce qui a créé une atmosphère festive et joyeuse autour des exposantes venues nombreuses de toutes parts de la wilaya de Béjaïa et de plus loin encore. Si la Maison de la culture souffre encore de son état de délabrement qui dure depuis trop longtemps, le TRB a été quelque peu délaissé depuis le départ de son ancien directeur à la retraite, Omar Fatmouche. Malgré cet état de fait, les deux institutions ont ouvert leurs portes pour rendre hommage à la femme, et lui permettre de célébrer dignement cet événement.

Nombreuses expositions

Ainsi par exemple, dès l’entrée du théâtre de Béjaïa, les visiteurs ont été accueillis par une exposition de peinture et de mosaïques. Cinq femmes artistes ont ainsi exposé leurs œuvres ; parmi elles, deux jeunes adolescentes qui impressionnent par leur talent. Au hall central du premier étage, d’autres surprises ont attendu les visiteurs. Tout comme à la Maison de la culture, de nombreuses femmes sont venues exposer leurs travaux artistiques : robes, couvertures, ceintures, foulards, bijoux, ainsi que divers autres objets d’art, en parallèle avec l’exposition de gâteaux traditionnels et pâtisseries. Les exposantes sont venues de divers endroits, à l’exemple de la céramiste de Boumerdès et des jeunes filles des Ouadhias venues présenter des ceintures traditionnelles tissées à partir de fils de laine. Alors que des activités artistiques ont lieu à la Maison de la culture, dans la petite salle de spectacles du TRB, une conférence a eu lieu en présence d’un public averti, au vu de la qualité des débats qui ont suivi les communications. Mais auparavant, Thiziri, une jeune violoniste, est venue jouer devant le public quelques morceaux de musique traditionnelle, avant qu’une lecture poétique ne soit déclamée par Fatseh devant un public ravi.

Les femmes dans l’art comme thérapie

La conférence a été ouverte et dirigée par Mohamed Boumahrat, professeur de mathématiques et ancien ministre de la Formation professionnelle. Le thème des communications ont tourné autour de la problématique en rapport avec la femme artiste. «Les femmes dans l’art comme thérapie», était l’intitulé de cette conférence présentée par Farida Aberkane, avocate et ancienne présidente du conseil d’Etat, reconvertie en céramiste.

Elle avait avec elle les Dr Faika Medjahed d’Alger et Khadidja Sassi d’Oran, toutes deux psychanalystes. Elles devaient être également accompagnées par l’écrivaine Leila Hamoutène, mais cette dernière vient de perdre son mari. Une pensée particulière a été partagée avec le public qui lui a rendu hommage. La première à présenter sa communication fut Faika Medjahed, qui a tenu à remercier les responsables du «Bruit des Mots» pour leur initiative, et les féliciter pour leur travail.

En effet, l’association n’en est pas à sa première conférence, et le sérieux de ses responsables a ainsi été mis en exergue par la psychanalyste. Commençant son propos, Faika Medjahed a essayé de définir ce que sont le traumatisme et l’aliénation. Selon elle, et citant un confrère, «l’aliénation a deux jambes : le social et le psychique». C’est la composition de ces deux facteurs qui créent les conditions de l’aliénation. «Nous sommes héritiers de traumatismes qui se sont accumulés avec le temps. Il s’agit des différentes colonisations subies par nos ancêtres, et qui se sont aggravées avec le terrorisme. Assia Djebar, dans sa «Zerda contre l’oubli», décrit comment le corps a été livré en spectacle aux yeux du colonisateur, par son exposition par différents folklores. La romancière étalera le problème de façon plus précise dans son œuvre «Femmes d’Alger dans leurs appartements».

Pour expliquer son propos, la psychanalyste a développé sa communication par une lecture croisée de la vie de deux femmes artistes-peintres. Une algérienne vivant à Constantine et l’autre mexicaine, mais qui n’est plus de ce monde. Les deux femmes ont vécu des traumatismes qui les ont obligées à garder le lit et subir de nombreuses opérations chirurgicales. Toutes les deux, elles ont dû être séparées de leurs familles pendant tout ce temps. Et toutes deux ont vécu la douleur de la séparation de façon plus intense que celle des blessures de leurs corps.

Pour s’exprimer, elles se sont mises à la peinture et sont devenues de grandes artistes. Mais le parallèle ne s’arrête pas à ce niveau. Toutes deux ont échoué dans leur vie amoureuse, subi des avortements et vécu le reste de leur vie sans avoir d’enfants. Leur art leur a ainsi permis de ne pas sombrer dans la dépression et les a accompagnées dans la traversée de leur traumatisme. Le troisième exemple pris par le Dr Faika Medjahed fut celui de la sœur de Nabila Djahnine, qui n’a pu surmonter son traumatisme qu’en réalisant un film documentaire sur la décennie noire et l’assassinat de sa sœur. Farida Aberkane a, quant à elle, mis l’accent sur le fait que cette thérapie ne répond qu’à un besoin précis à un moment donné. Elle ne peut pas être la panacée en permanence. Les traumatismes peuvent être de natures différentes et d’expressions multiples.

C’est Khadidja Sassi qui a présenté la communication la plus longue. Elle a accompagné son propos de lectures poétiques de sa composition. Ses poèmes ont déjà été publiés et sont connus par le public averti. Elle a décortiqué de façon psychanalytique l’œuvre de l’écrivain algérien Mohamed S’haba, «Le royaume des contrées mortes». Petit à petit, la psychanalyste d’Oran a démonté le roman et donné des explications impossibles à deviner par un néophyte. Le titre même a été relu de façon différente afin d’en tirer un contenu pas évident, permettant ainsi de lire au-delà des simples mots, pour aller au fonds de la pensée de l’auteur. Aux yeux de la psy, le traumatisme se lit de façon plus claire, et le cheminement vers la guérison devient plus évident. L’art peut donc servir de thérapie pour surmonter les douleurs de la vie. Est-ce à dire par extrapolation que tous les artistes sont des traumatisés ? Ce n’est pas l’avis des spécialistes. L’art peut être inspiré par la beauté par les émotions ou le désir. Mais il peut être utile pour accompagner un patient sur le chemin de sa guérison. Certains d’ailleurs le font de façon instinctive, sans pour autant en faire une méthode de soin ou une thérapie formelle.

Fermeture administrative du théâtre

La conférence a malheureusement été trop courte. Surtout que le bateau théâtre, sans capitaine pour le conduire, a décidé de fermer ses portes à 17 heures, fonctionnant ainsi comme une administration sans relation aucune avec l’art et la culture. Même les exposantes ont été invitées à écourter leur présence au TRB et à quitter les lieux. Vivement qu’un directeur soit nommé et que le bateau soit confié à un vrai homme (ou femme) de culture, capable de dépasser les contingences extra culturelles. La conférence a donc été trop courte, et les débats arrêtés par le modérateur au moment où le public commençait à se libérer de son hésitation et de sa timidité. Des questions de plus en plus précises commençaient à être posées et des commentaires proposés par un public relativement averti de la chose psychanalytique. Mais les impératifs administratifs semblent avoir primé sur la demande du public de prolonger le débat pour aller encore plus en profondeur dans le traitement de la question de l’art comme thérapie. Et dire que les communicantes ont fait des centaines de kilomètres justement pour rencontrer ce public. Les débats ont donc continué dehors, sur le parvis du théâtre. Toujours est-il que les trois dames sont prêtes à revenir, sachant que Béjaïa leur ouvrira toujours les bras.

N. Si Yani

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