De dommageables retards

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Fe passage du gouverneur de la Banque d’Algérie, Mohamed Laksaci, devant l’APN, à la fin du mois de mars dernier, a suscité moult observations de la part des députés, dont la principale était relative à un certain « anachronisme », consistant, en mars 2016, à faire examiner par l’Assemblée des données économiques inhérente à la gestion de 2014. C’est que toute la période allant de juillet 2014 jusqu’au premier trimestre de l’année 2016 n’est pas couverte par l’éclairage qu’a voulu donner le premier responsable de la Banque d’Algérie. Et Dieu sait que les données financières ont été chamboulées de fond en comble, à commencer par le « dégraissage » que connaissent les réserves de changes, passant de 153 à 143 milliards de dollars entre septembre et décembre 2015. Le matelas financier de l’Algérie a été « grignoté » de 10 milliards de dollars en trois mois. Le Fonds de régulation des recettes est, lui, appelé à être consumé totalement d’ici 2017. Néanmoins, la thématique qui aurait pu bénéficier d’un meilleur éclairage, à savoir, la perspective de la réforme du système bancaire national, a malheureusement été mise sous le coude. Tirant une satisfaction surfaite de l’effacement des surliquidités ayant longtemps grevé les établissements bancaires, le gouverneur de la BA avait annoncé que, avec cette nouvelle situation, son institution allait injecter de nouvelles liquidités dans les banques. Laksaci a été avare dans les commentaires concernant la réussite ou non de l’opération de « mise en conformité fiscale volontaire », consistant pour les banques, depuis août 2015, à recevoir en dépôt l’argent liquide du marché informel. Aucun bilan chiffré n’a été rendu public hormis d’avoir « fuité » le chiffre de 250 opérateurs informels qui auraient répondu à « l’appel », avec un montant qui n’est pas divulgué. Mais, l’on sait que le gisement du secteur informel tourne autour de 40 milliards de dollars. Ceux qui avaient montré leur scepticisme face à une telle initiative n’ont probablement pas tout à fait tort. En dehors de ces préoccupations liées à l’actualité immédiate, le secteur des banques traîne encore d’immenses retards sur le plan de la modernisation de ses services, de la diversification de ses offres et de son implication dans le financement de l’économie. Un marché de 40 millions d’habitants, des plans quinquennaux qui n’ont été « freinés » que par la contraction des recettes pétrolières à partir de juillet 2014, des flux commerciaux de plus en plus volumineux et une amorce de dynamisme de plusieurs secteurs économiques, n’ont pas pu « secouer » le secteur bancaire pour le faire sortir de son peu enviable statut actuel, celui de simple « caisse », comme le pourfendent certains économistes. Pourtant, dans ce tableau des investissements publics, lesquels ont consommé plus de 600 milliards de dollars, se sont engagés des milliers d’acteurs et de partenaires économiques. Ce qui suppose inéluctablement des flux monétaires, des achats, des ventes, de la consommation, des emprunts, des crédits, des bénéfices, des dividendes, des dettes, des remboursements, des taux d’intérêts,etc. Ces mouvements de fonds réclament un réseau de banques et d’établissements financiers de plus en plus étendu, performant et innovant où l’ingénierie financière devrait être au cœur du système. Le contraste est bien visible. L’ampleur des programmes d’investissements publics- lesquels, il faut le souligner, constituent des plans de charges pour des entreprises publiques, pour des entreprises privées étrangères et algériennes et pour des entreprises de sous-traitance – n’a pas malheureusement pas eu son prolongement dans le dispositif de financement bancaire. Le taux de bancarisation dans notre pays est d’un point pour 25 000 habitants, au moment où la moyenne dans le monde est d’un point pour 8 000 habitants. Si des analystes montent en épingle la modestie des investissements, particulièrement privés, en Algérie pour expliquer cette peu reluisante performance, d’autres observateurs insistent, cependant, sur l’environnement peu favorable, en termes de politique et de stratégie, ainsi que le déficit de la culture financière, éléments qui grèvent de leur poids l’émergence d’un secteur financier qui soit à la mesure des nouveaux défis économiques qui se posent à notre pays. La carte bancaire, pour les payements dans les grandes surfaces ou d’autres lieux d’achat, le payement électronique par internet, l’évaluation des projets à financer par les banques afin de prendre des risques avec les investisseurs, tout cela relève encore d’une ambition décalée par rapport à l’état actuel des banques algériennes. Les pouvoirs publics ont pris la décision d’obliger les opérateurs à l’utilisation de chèques dans les transactions dépassant un certain plafond (un million de dinars pour l’achat de voiture, cinq millions de dinars pour le payement d’un logement). Comment compte-t-on mettre en pratique ce genre de décision et aller plus loin dans des législations similaires avec un système bancaire figé dans un schéma désuet ? Les réformes devant toucher le secteur bancaire ne pourront pas faire l’économie de la modernisation de la ressource humaine. Les banques manquent aujourd’hui cruellement du personnel spécialisé dans les plus grands créneaux de financement (construction, travaux publics, agriculture, agroalimentaire,…) et dans le management des entreprises. La faisabilité et la rentabilité des projets candidats au financement ne sont, dans le meilleur des cas, établis que par des bureaux d’études externes auxquels il faut payer les prestations, tout en sachant que la fiabilité de ces dernières n’est pas nécessairement au-dessus de tout soupçon. Dans la phase qu’aborde l’économie algérienne en ce début 2016-où il est question de diversification économique tous azimuts-, la modernisation du secteur financier, à commencer par les banques publiques, constitue un facteur déterminant de la réussite.

Amar Naït Messaoud

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