Ne pas quitter le joyau pour l'ersatz

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Le mois du patrimoine matériel et immatériel, qui commencera dans quatre jours, dit pour nous les espoirs et les aspirations de développement d'un secteur où s'associent culture, économie et tourisme, mais il exprime également les appréhensions et les risques qui pèsent sur un segment qui exprime puissamment notre être identitaire.

Les manifestations du mois du patrimoine, aussi riches et élevées qu’elles puissent être, ont le « péché mignon » d’être soumises à une certaine folklorisation, faisant passer le clinquant avant le joyau. Le mois du patrimoine a souvent tenu plus du spectacle et du formalisme de certaines rencontres, que d’une vraie recherche sur le patrimoine algérien, suivie d’une pédagogie de la sensibilisation et de la vulgarisation. Outre la responsabilité du ministère de la Culture et des directions qui le représentent au niveau des wilayas, l’institution éducative se trouve, elle aussi, sur les bancs des  »accusés » pour n’avoir pas hissé la  »chose » culturelle au rang des grandes missions de l’école, une école censée travailler à consacrer l’esprit de citoyenneté et à former l’homme de demain. L’amour du pays commence ainsi dans la connaissance et l’appropriation des objets et de la mémoire transmis par les générations qui nous ont précédés. Il s’appuie également par la découverte et la valorisation du milieu physique, biotique et esthétique dans lequel évolue l’enfant. C’est pourquoi, par exemple, les sorties de botanique et de géologie sont considérées, sous d’autres cieux, comme des éléments capitaux concourant à la formation du citoyen de demain, attaché à sa terre et à ses valeurs. Aujourd’hui, les articles d’artisanat et du terroir nous viennent de la lointaine Chine et de nos voisins marocain et tunisien. Ils sont assimilés à n’importe quelle banale marchandise qui vient ainsi rappeler aux Algériens la  »vacance » d’un secteur qui fut, jadis, florissant par le travail et l’abnégation des paysans algériens de la montagne ou de la steppe. Vecteur culturel de premier plan, l’artisanat cristallise dans ses objets, fabriqués à la main ou par le moyen d’un outillage rudimentaire, l’âme et la personnalité du peuple. Il en est l’ambassadeur auprès des autres cultures. L’importation de marchandises relevant de ce créneau a permis à nos routes et autoroutes d’être agrémentées par des petits commerces revendant des objets tarabiscotés et presque sans âme. Le pilon de frêne, l’écuelle et la jarre de glaise rouge, la corbeille de vannerie, le tapis authentique de nos montagnes, tous ces objets qui faisaient autrefois la fierté des populations rurales algériennes sont aujourd’hui vaincus par l’argent facile de la rente qui permet d’importer au lieu de fabriquer. Cependant, que deviennent la personnalité et l’âme algériennes par lesquelles étaient sigillés ces produits fabriqués naguère par nos parents? Si les artisans et les gérants d’ateliers d’argent, de tapis, de poterie, de dinanderie, d’ébénisterie, de vannerie et sparterie, qui continuent à avoir pignon sur rue dans certaines régions d’Algérie, ont des besoins pressants et importants de soutien de la part des pouvoirs publics, c’est parce que l’économie générale du pays, basée depuis quatre décennies sur l’hypertrophie du salariat généré par la rente pétrolière, a jeté sur la marge l’ensemble des métiers traditionnels (ruraux et citadins) au profit d’une chimérique modernité qui se contente d’être ainsi nommée.

Risque d’être réduit en simple souvenir

Avec la perte de l’hégémonie de l’État sur l’exercice du commerce extérieur, et par la grâce de l’accroissement continu des recettes pétrolières, de nouveaux filons-qui ne représentaient pas jusque-là des cas d’urgence ou d’extrême nécessité- ont été investis par les importateurs. Sur ce point précis, l’économie nationale ne s’est pas encore totalement remise des errements qui ont valu l’asphyxie de plusieurs métiers par la faute d’importations inconsidérées d’objets traditionnellement fabriqués ou produits chez nous. Ainsi, l’Accord d’association avec l’Union européenne et la prochaine accession de l’Algérie à l’Organisation mondiale du commerce ne sont pas faits pour aider à la réhabilitation des anciens métiers ruraux ou populaires qui font partie de l’identité algérienne et qui représentaient naguère une véritable richesse nationale. En Algérie, où les grands boulevards et les petits quartiers regorgent de magasins écoulant gadgets et autres joujoux décoratifs, pris stupidement pour des objets d’ « artisanat » venant de l’Extrême-Orient et de certains pays non rentiers, il y a certainement des questions pertinentes à se poser- les pouvoirs publics se les sont-elles posé un jour ?- comme celle qui consiste à chercher pourquoi et comment ces pays de provenance ont pu placer leurs marchandises chez nous. Ou bien encore : est-il normal qu’il n’y ait presque rien d’algérien qui puisse être exhibé commercialisé et exporté dans le domaine de l’artisanat et du savoir-faire ancestral ? Le pays serait-il démuni et perclus au point où nous sommes réduits -système rentier aidant- à de simples et dociles consommateurs de produits étrangers y compris dans le domaine de l’artisanat ? Il ne s’agit surtout pas, loin s’en faut, de faire le procès de pièces culturelles venant de pays de grande civilisation ni d’incriminer l’esprit commercial qui anime leurs producteurs. C’est, au contraire, est en évaluant à sa juste valeur l’effort de création des peuples concernés, le modèle économique qui a permis ce genre de prouesse et la culture ancestrale qui en constitue le socle, que l’on ne peut que déplorer l’état dans lequel se trouve actuellement l’un des secteurs les plus symboliquement chargés de l’âme et de la personnalité algériennes, outre le fait qu’il est censé faire partie d’une des grandes ressources économiques du pays.

Les rares et fragiles initiatives de quelques artisans, fabricants ou associations tendant à mettre à la disposition du public, ou à exposer dans certaines manifestations culturelles, les produits du terroir devraient logiquement interpeller les pouvoirs publics et tous les acteurs économiques sur les retards et les problèmes objectifs d’un secteur qui, partout dans le monde, est considéré comme l’un des moteurs de l’activité touristique et l’expression immarcescible de l’âme du peuple. L’on ne peut passer sous silence le fait que le premier mérite du maintien de certains activités relevant de ce créneau- avec d’autres métiers connus ou faiblement répandus sur le territoire national- et de la tenace volonté de les préserver et de les promouvoir, revient en premier lieu aux détenteurs du message ancestral, aux porteurs de valeurs sûres de la culture authentique, porteurs aux mains magiques et pleines de dextérité. Ce sont généralement des acteurs seuls, presque isolés, qui n’ont pas attendu un quelconque décret ou sollicité un obscur et pesant ‘’patronage’’ pour tisser, mouler, fabriquer, malaxer, tailler, usiner des objets dont la commercialisation pose d’énormes problèmes, y compris ceux générés par la concurrence déloyale d’objets venant de Shanghai, de New Delhi ou de Tunis.

Au vu de la politique offensive menée sous d’autres cieux, y compris chez nos voisins immédiats, allant dans le sens d’une promotion toujours plus avancée du secteur de l’artisanat, et au regard de statut de laissé-pour-compte auquel il est ravalé dans notre pays, la bataille semble rude. Les métiers du terroir ont de toute évidence du plomb dans l’aile. C’est le combat du pot de terre contre le pot de fer. À moins d’un ressaisissement des autorités publiques chargées de ce secteur- connu pourtant pour ces potentialités inouïes aux quatre coins du pays-, l’artisanat et les autres produits du terroir risqueraient d’être réduits en simples souvenirs.

Embûches et handicaps

Les actions des pouvoirs publics ont, jusqu’ici, manqué de pertinence et d’harmonie. Les résultats sont cette perte graduelle de repères, de dextérité de professionnalisme et… de parts de marchés. Ce sont tous ces chefs d’ateliers qui ont mis dehors le peu d’ouvriers-artisans que compte le pays. C’est également ce vide sidéral de produits algériens sur le marché.

Il est vrai que les derniers plans quinquennaux ont pris en compte le secteur de l’artisanat à travers l’incitation à la création de PME dans ce créneau, mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Actuellement, le nombre d’artisans possédant un registre de commerce est d’environ 162 000. En 2002, il était estimé à 72 000. De même, l’on apprend que la nomenclature des activités artisanales est passée de 244 métiers à 339 métiers.

Les présidents des chambres de l’artisanat et des métiers avaient présenté il y a cinq ans, un ensemble de propositions pour le gouvernement afin de donner corps à la stratégie nationale conçue pour ce secteur à partir de 2010 jusqu’aux horizons 2025. À cette occasion, le président de la Chambre nationale de l’artisanat et des métiers a soutenu que ce secteur- dans le cas où des conditions matérielles, réglementaires et administratives lui sont garanties- pourra, à terme, générer quelque 2 millions de postes d’emploi. Dans la voie étroite où évolue ce secteur de la vie culturelle et économique du pays, les revendications de ses promoteurs réels sont celles relatives à l’acquisition de la matière première, devenue trop chère, au poids de l’assiette fiscale et des tarifs douaniers. Le coût de production est ainsi allègrement tiré vers le haut par ces facteurs, handicap auquel s’ajoute le commerce informel, pratique qui n’a épargné aucun secteur de l’économie.

Amar Naït Messaoud

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