La modernisation des instruments financiers en question

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Ni la bancarisation de l’argent de l’informel- opération dénommée « mise en conformité fiscale volontaire », lancée en août 2015-, ni l’obligation de l’utilisation de chèque à partir d’un million de dinars, introduite par la loi de finances complémentaire 2015, ni le crédit à la consommation, ni encore l’emprunt obligataire lancé la semaine passée par l’Etat, n’ont permis jusqu’ici de lancer le débat sur la réforme du système bancaire algérien. L’autre ironie de l’histoire, c’est la nomination, l’année dernière, d’un ministre des Finances, Abderrahmane Benkhalfa, qui était banquier et président de l’association des banques et établissements financiers (ABEF). Tous ces éléments, qui sont d’une importance primordiale, n’ont pas encore convergé pour remodeler le paysage du système financier national, à commencer par les banques, dont la typologie est demeuré figée depuis les années 1990. Ce n’est pas, non plus, un paradoxe mineur que les investissements publics- près de 800 milliards de dollars-qui se sont étalés sur trois quinquennats, n’ont pas contribué à conférer au système bancaire algérien une autre configuration où les banques deviendraient plus performantes, plus modernes, portées sur la prise de risques avec l’investisseur et portées sur la spécialisation dans des créneaux précis de l’économie. Ces gros investissements publics, réalisés entre 1999 et 2014, n’ont malheureusement pas pu avoir leur prolongement sur le plan des instruments bancaires ou des instruments financiers élisant domicile sur le marché de la Bourse. C’est plutôt à une vieille architecture publique, faiblement structurée, que l’on a affaire. Pour la première fois où l’échiquier d’un tel schéma, hérité de l’économie administrée, a été enrichi par une législation qui ouvre la voie pour des investisseurs privés, l’Algérie se trouvera rapidement devant la  »plus grande arnaque du siècle », comme on s’est plu à qualifier l’affaire Khalifa Bank à partir de 2006. Au vu des comportements trop frileux qui ont succédé à cet  »accident » de parcours, le scandale Khalifa semble sonner le glas des réformes bancaires en suivant le proverbe  »chat échaudé craint l’eau froide ».

Des velléités sans lendemain

En tout cas, depuis la promulgation de la loi sur la Monnaie et le Crédit au début des années 1990, peu de changements ont été opérés dans le secteur bancaire. La tentative de privatisation, ou de prise de participation, dont a fait l’objet le Crédit populaire d’Algérie (CPA) au milieu des années 2000 n’a pas pu aboutir. En plus de Khalifa Bank, d’autres établissements bancaires privés algériens ont été dissous par les autorités du pays dans la période 2007-2009. Quelques banques étrangères (Société générale, BNP, HSBC, filiales de banques des pays du Golfe) essayent de se faire une place au soleil dans un contexte qui manque visiblement de clarté et de perspectives. Au vue des ses possibilités-liées à la démographie, à la jeunesse de sa population, aux besoins en consommations (biens et services), aux investissements publics et aux nouveaux montages financiers que le gouvernement a initiés pour les projets d’équipements publics à partir de 2016, l’Algérie est pourtant censée constituer un des espaces les plus fertiles pour l’activité financière. Un marché de près de 41 millions d’habitants, une facture d’importation qui demeure importante malgré les restrictions dont elle a fait l’objet à partir de 2015, des flux commerciaux de plus en plus volumineux et une amorce de dynamisme de plusieurs créneaux dans le secteur privé; ce tableau où s’engagent des acteurs et des partenaires économiques suppose inéluctablement des flux monétaires, des achats, des ventes, de la consommation, des emprunts, des crédits, des bénéfices, des dividendes, des dettes, des remboursements, des taux d’intérêts, etc. Ces mouvements financiers et monétaires supposent logiquement un réseau de banques et d’établissements financiers de plus en plus dense, étendu, performant et adapté aux données économiques du pays. Malheureusement, sur le plan médiatique, on a plutôt laissé le vide et la brèche aux islamistes pour contester toutes les formules de la finance établies par l’économie moderne à travers le monde, et ce, au nom du « riba » (taux d’intérêt, déclaré « haram »). Le hiatus est bien perceptible: l’ampleur des programmes d’investissements publics- lesquels, il faut le rappeler, constituent des plans de charges pour des bureaux d’études et d’expertise, pour des entreprises publiques, pour des entreprises privées étrangères et algériennes et pour des entreprises de sous-traitance ne trouve presque pas de prolongement dans le secteur bancaire. Le taux de bancarisation dans notre pays est d’un point pour 25 000 habitants, alors que la valeur la plus répandue à travers le monde est d’un point pour 8 000 habitants. Si des observateurs avertis mettent en exergue la modestie des investissements, particulièrement privés, en Algérie pour expliquer ces retards dans le taux de bancarisation, d’autres analystes insistent, en revanche, sur les conditions politiques délicates et le retard dans la culture des instruments financiers qui empêchent l’émergence d’un secteur financier qui soit à la mesure des challenges actuels et futurs de l’économie algérienne. Si la réorganisation du secteur public, au début de l’ «ouverture politique», a permis d’appliquer la notion d’autonomie des entreprises aux banques publiques, déclarées comme EPE (entreprises publiques économiques), régies par les règles de la commercialité mais ayant un seul actionnaire, l’État, les « réformes » se sont arrêtées à ce niveau. Et encore. Car, en matière d’autonomie, il y a toujours matière à discussion lorsqu’on sait que des banques sont sommées d’accorder des crédits aux micro-entreprises, sans que les banques aient participé à l’identification et à la conception du projet. En cas de non remboursement ou de faillite, la banque risque de ne même pas retrouver le matériel gagé pour le saisir. Des porteurs de projets ont démonté en pièces leurs véhicules pour le vendre dans les marchés hebdomadaires. On sait qu’en matière de gage et de garantie, il y mieux qu’un hypothétique matériel fort volatile. C’est que, dans la plupart des cas, la faisabilité des projets n’est pas établie sur des règles scientifiques (étude du marché rentabilité technique et financière,…).

La crise financière apportera-t-elle une solution?

Les timides tentatives de constituer un secteur bancaire privé en vertu de l’ouverture permise par la loi sur la Monnaie et le Crédit, se sont heurtées à plusieurs obstacles dont le plus fréquent demeure l’insolvabilité. Dans ce cas de figure, l’État est tenu de protéger les clients en faisant observer le minimum de règles prudentielles applicables dans le domaine bancaire.

Le soupçon de défaut de solvabilité les crédits douteux et l’escroquerie sont généralement les arguments de poids pour les autorités les amenant à mettre fin aux activités des banques privées par le retrait d’agrément. S’agissant des banques étrangères, depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, treize banques ou établissements financiers arabes, quatre banques françaises et un bureau de représentation pour une banque espagnole se sont établis en Algérie ; soit 12% du réseau bancaire activant en Algérie.

Le reste relève du secteur public. L’année dernière, au cours d’un Conseil des ministres, la problématique de la réforme bancaire est encore revenue sur la table. Toutes les nouvelles procédures engagées pour contenir certains effets de la crise financière- bancarisation de l’argent de l’informel, dont on ignore le niveau de réussite, emprunt obligataire- sont prises en charge par des banques publiques qui demeurent figées dans leur architecture et leur fonctionnement.

Les payements et virements électroniques sont apparemment une ambition lointaine. Le renforcement et la diversification de la ressource humaine des établissements bancaires pour identifier clairement les créneaux d’investissement et les possibilités d’accompagnement par les crédits, en en analysant les risques réels, sont des objectifs qui ne sont pas intégrés dans la réforme. Lorsque les banques étaient submergées par des surliquidités (jusqu’en 2012), il n’y avait aucun plan pour faire travailler le capital dormant. Il a fallu attendre que le microcrédit vienne éponger ces surliquidités pour que, enfin, on ait recours à un refinancement par la Banque d’Algérie décidé au début de l’année 2016.

La crise économique que vit l’Algérie depuis plus d’une année, et qui semble s’inscrire dans la durée, sera-t-elle mise à profit pour moderniser le système bancaire national et le mettre à la hauteur des défis de l’heure?

Amar Naït Messaoud

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