Le mystère Lalla M’laoua

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En empruntant la RN05 à l’Est du chef-lieu de la wilaya de Bouira ou l’autoroute Est-ouest vers les hauts plateaux, on ne peut ne pas voir les deux pics de Lalla M’laoua qui surplombent la vallée d’El-Esnam à la limite de la région d’Ath-Leqsar.

Deux sommets mitoyens dont la hauteur avoisine les 900 mètres et forment une imposante frontière géographique entre le massif des Bibans et la vallée du Sahel, en contrebas du Djurdjura. Un territoire que les populations de ces deux communes de la wilaya, à savoir Ath-Leqsar et Bechloul, se partagent depuis des centaines d’années. D’ailleurs, chaque commune possède un village dénommé M’laoua, du côté sud comme nord. Mais c’est plutôt du côté d’Ath-Leqsar au versant sud du massif que les deux pics de Lalla M’laoua marquent toujours le vécu des populations. Ils sont, en effet, entourés de plusieurs mythes et légendes qui se transmettent de générations en générations. Parmi plusieurs légendes, deux semblent avoir plus de crédits. Les deux versions sont liées à une jeune femme qui portait le nom de M’laoua et dont l’histoire tragique a marqué pour de bon la population locale. Ces histoires sont à ce jour transmises et racontées par les vieux et les vieilles. En l’absence d’études scientifiques ou de livres d’histoires dans les archives traitants de ce sujet, nous nous sommes donc orientés vers les citoyens d’Ath-Leqsar, notamment les plus âgés d’entre eux, pour qu’ils nous racontent ce que leurs aînés leur avaient transmis.

M’laoua la princesse…

Cette histoire se déroule dans le passé reculé approximativement au moyen-âge. On dit que M’laoua était une princesse établie au royaume des Ath-Abass, dans la région d’Ighil Ali, actuellement au Sud-ouest de Béjaïa. On raconte aussi que cette jeune femme berbère était instruite et très belle et on sollicitait sa main pour le mariage de partout. Notables et riches de la région ou d’autres royaumes espéraient l’épouser. À contre-courant, cette dernière était amoureuse d’un soldat de l’armée de son père, le roi. Très pauvre, le jeune soldat n’a jamais osé demander la main de la princesse auprès de son père, car il redoutait sa réaction. Jusqu’au jour où son père avait décidé de la marier à un prince de son propre royaume. Selon l’histoire, ce dernier s’appellerait «Mastenbal». La légende dit que pour désapprouver le refus de son père, cette princesse a fugué vers cette région en compagnie de son amoureux, où ils se sont mariés et vécus quelques mois. Les deux pics ont formé une sorte de forteresse naturelle pour les deux amoureux qui se sont réfugiés sur place avec l’aide de la population locale. Malheureusement, ces derniers étaient vite rattrapés par le roi, qui était fermement opposé à cette union. Ce dernier voulait ramener sa fille à la maison afin de laver l’affront qui a été engendré par cette fugue. Se rendant compte d’avoir commis l’infâme et ne voulant pas quitter son prince, la dite princesse a mis fin à ses jours. Cet acte irréparable est allé ensuite susciter de la compassion et le chagrin auprès des habitants de la région. La légende dit que la reine Lala M’laoua était modeste, compatissante et très proche de ses sujets, ce qui fait que sa disparition s’est transformée en deuil pour l’ensemble des habitants. Depuis et pour manifester leur tristesse, les habitants se sont vêtus en noir. Les femmes de la région ont porté cette couleur même à l’occasion des fêtes, en guise d’hommage à la reine Lala M’laoua. La robe kabyle d’Ath-Leqsar, désormais connue dans tout le pays, est toujours confectionnée en noir et en partie en rouge, en signe de deuil pour cette fille. On dit aussi que durant la courte période où la princesse M’laoua s’est installée dans la région, elle aurait contribué à la construction d’un château (Leqsar) pour abriter ses sujets ainsi que des familles de la population locale. Sur place, les ruines de ce château ainsi que d’autres constructions en pierre et terre battue existent toujours et une source d’eau jaillit toujours. Un cimetière est aussi implanté au sommet du premier pic, l’on ignore cependant si la princesse M’laoua a été enterrée à l’intérieur ou c’est les villageois qu’il l’avait aménagé pour leurs besoins. La légende dit aussi que c’est ce même château qui donna par la suite le nom d’Ath-Leqsar aux habitants de cette région. On relève aussi qu’une bonne partie des oliviers du désormais village de M’laoua sont les plus anciens dans la région et sûrement les premiers à être griffés. C’est pourquoi le territoire d’Ath-Leqsar commence de l’endroit où, jadis, M’laoua avait posé pour la première fois ses pieds. Un village où ces pics sont encore appelés M’laoua en mémoire à cette fille. Aussi, il fut un temps où les habitants d’Ath-Leqsar faisaient des waâda dans ces deux pics, en immolant des bêtes. Cette activité ancestrale est toujours organisée particulièrement dans cette région, où elle a été associée avec une vocation de solidarité.

M’laoua la fugitive

La deuxième version, la plus tangible et toujours aussi malheureuse, raconte qu’au début du XVIe siècle dans la région d’Ath-Leqsar, il y avait un notable kabyle qui avait une très belle fille, très convoitée, nommée M’laoua. Un militaire de l’armée ottomane, présent sur ces lieux, épris probablement d’elle, ne cessait de demander sa main. Le père, attaché aux traditions, opposa un refus irréversible. En effet, lassé sans doute par une situation embarrassante et pour parer à d’éventuels «scandales», le père se déplaça en compagnie de sa fille et de sa famille à quelques kilomètres et prendra refuge entre les deux pics. Ce dernier a aussi construit un château et s’y installa en compagnie de sa famille. Quelques années plus tard, le militaire turc avait fini par retrouver les traces de la dulcinée et se rendait de temps à autre dans la région. Parfois, il organisait des expéditions punitives et dépouiller la famille de tous ses biens. Selon la légende, ce militaire turc a même essayé de convaincre les oncles de M’laoua pour se marier avec elle, après le décès de son père, mais en vain. Les trois oncles de la jeune fille n’ont pas voulu bafoué le testament de leur frère aîné chose qui avait provoqué la colère du militaire turc qui a menacé de raser le château et d’exterminer entièrement les membres de cette famille. L’assaillant turc n’a pas tardé à appliquer sa menace et il est revenu quelques mois plus tard avec un imposant bataillon pour exterminer la famille de M’laoua, dont les membres ont affiché une fervente résistance avant de succomber face à la force des turcs. Selon cette légende, M’laoua a été épargnée et capturée par les militaires et placée dans la forteresse militaire turque de Tiliwa, à quelques kilomètres plus au sud. La malheureusement jeune fille qui s’est toujours opposée à ce mariage, a réussi dans un premier temps à prendre la fuite avant de se suicider sur les ruines de son ancienne demeure, par peur que les soldats turcs ne la rattrapent. En apprenant cette triste nouvelle, les villageois d’Ath-Leqsar se sont vite soulevés et ont réussi, grâce à une parfaite organisation chapeautée par thajmâath, à chasser les soldats turcs de tout le territoire des Ath-Leqsar et beaucoup d’entre eux furent prisonniers. D’autres se sont sauvés en suivant une route jusqu’à M’Chedallah, cette route porte même aujourd’hui le nom de «Avrid U Turki» (la route du turc). On raconte aussi que les Ath-Leqsar se sont divisés, juste après ces évènements, en trois tribus qui se sont partagées un vaste territoire allant de la vallée d’El-Esnam jusqu’aux portes de fer plus à l’Est, (actuellement Ahnif et Ath-Mensour). Ces trois tribus existent toujours. Il s’agit des Ath Ali-Oumer, Ath Abdellah Ouali et Ath Rached.

Une histoire abandonnée

Aujourd’hui encore, Lalla M’laoua continue à marquer le quotidien des citoyens de cette région. Les deux majestueux pics représentent toujours un repère géographique et historique pour eux. Pour certains, notamment les plus superstitieux, ces deux montagnes protègent les gens de la région. Ces derniers continuent, d’ailleurs, à organiser des randonnées pédestres, particulièrement en printemps, vers le sommet où la sainte M’laoua a jadis construit son château. Au fil des ans, ces deux pics sont transformés en un véritable symbole fort de la région d’Ath-Leqsar. Le logo du club de football local (ASKAK) porte l’image de ces deux montagnes et beaucoup de chanteurs et poètes de la région ont écrit des poèmes et des chansons à la mémoire de la princesse M’laoua. La robe kabyle noire d’Ath-Leqsar est aussi devenue un symbole pour cette région et à travers tous les villages, les femmes et les jeunes filles continuent à la porter avec beaucoup de fierté. La majorité des citoyens de cette région vénèrent toujours la mémoire de cette jeune femme. Certains avec lesquels nous nous sommes entretenus regrettent l’absence d’études scientifiques, anthropologique et de recherches historiques, et ce afin de sortir cette histoire du stade de légende à celui de vérité historique et sociologique. «L’histoire de Lalla M’laoua a marqué notre région à travers l’histoire. Malgré que nous ne l’avions pas connu, mais ces deux pics sont notre symbole. Malheureusement, aucune étude sérieuse n’a été menée pour clarifier ce mythe. Fort heureusement que nous avons toujours des traces et des preuves tangibles de son existence, à l’image des ruines de construction sur les lieux, de la robe kabyle noire que portent toujours nos femmes, mais aussi à la ressemblance linguistique et topographique entre notre région et celle d’Ighil Ali, dans la wilaya de Béjaïa. J’ai été surpris en découvrant un jour que l’un de nos villages, en l’occurrence Ath Abdellah Ouali, porte le même nom d’un autre village sis à Ighil Ali, à plus de 150 kilomètres. Je pense que si des études sérieuses seront menées, notamment par des archéologues et des linguistes, beaucoup de choses surprenantes seront découvertes», nous dira Amar, un jeune étudiant de cette région. Notre interlocuteur nous fera savoir, par ailleurs, qu’il existerait probablement des documents sur les évènements qui se sont déroulés dans cette région, auprès des archives de l’armée Ottomane. «Un ami à moi, qui vit en Turquie, me l’avait confirmé. Un rapport détaillé sur ces évènements demeure toujours dans les archives militaires de ce pays. Cependant, il ne peut être divulgué sans l’introduction d’une demande officielle de l’Algérie. Si ce rapport de plusieurs pages sera rendu public, il contribuera certainement à lever une partie de cette énigme et facilitera la tâche aux chercheurs», ajoutera-t-il.

Oussama Khitouche

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