Développement du gaz de schiste et risque de sismicité induite
La sismicité associée à la fracturation hydraulique à grande échelle et à l’intensité de l’énergie d’extraction devient l’une des préoccupations de la recherche dans les pays à forte production d’hydrocarbures non conventionnels. En fonction du facteur à l’origine, on distingue : (1) la sismicité due à la fracturation hydraulique qui inclut rarement des séismes pouvant être ressentis par les populations et (2) la sismicité due à l’injection profonde des eaux usées qui génère parfois des séismes de plus forte énergie. La réactivation des failles par la fracturation hydraulique et l’élimination des eaux usées peut être facilitée par l’augmentation de la pression des pores de la roche, réduisant ainsi la contrainte effective dans la zone de la faille. Ce phénomène permet à l’énergie stockée dans la roche d’être libérée plus facilement. Par ailleurs, l’injection des fluides de fracturation ou des eaux usées en profondeur peut croiser une zone de faille ou transmettre une onde de pression des fluides qui réduit la contrainte effective dans la zone. Ces deux phénomènes peuvent induire des séismes dans les sites de production. Bien que la sismicité ressentie attribuée à la fracturation hydraulique soit peu documentée, aucun séisme de magnitude supérieure à 4 n’a été rapporté. Dans les champs de Horn River Basin au Canada, des séismes de magnitude inférieure à 3.8 ont été rapportés récemment. Des séismes de moindre intensité (2.3 – 2.8) induits par la fracturation hydraulique ont été détectés en Oklahoma aux USA et au Lancashire en Angleterre. Dans certains cas, le ciblage direct par les opérations de failles dont les plans sont souvent associés à des zones de fractures hautement perméables pouvant accroître notablement les taux de production de gaz, peut provoquer une certaine sismicité. Néanmoins, les cas de séismes rapportés et attribués à la fracturation hydraulique demeurent faibles, comparés aux autres facteurs déclencheurs anthropiques comme l’exploitation minière et la mise en eau des barrages. La sismicité induite associée à l’injection des eaux usées est rare mais génère des événements d’énergie plus élevée. De nombreux séismes ressentis accompagnent davantage l’injection d’eaux usées que la fracturation hydraulique. Entre 1967 et 2000, les géologues ont relevé un fond continu avec un taux d’occurrence de 21 séismes de magnitude Mw ≥ 3.0 par an dans le centre des Etats Unis. A partir de 2001, avec la montée de la production de gaz non conventionnels, ce taux est passé progressivement à environ 100 séismes du même type, atteignant 188 pour la seule année 2011. Les scientifiques de l’USGS attribuent l’augmentation de cette sismicité à l’injection profonde des eaux usées issues de l’exploitation du gaz et pétrole dans la région. La magnitude des séismes attribués à cette injection est souvent supérieure à celle des séismes dus à la fracturation hydraulique et peut atteindre jusqu’à 5.7. Pour l’année 2011, des séismes de magnitude comprise entre 4.0 et 5.3 sont associés à l’injection profonde des eaux usées dans les localités de Youngstown, de l’Ohio, de l’Arkansas, du Texas, etc., le dernier étant attribué à l’élimination des eaux provenant de l’extraction de gaz de houille. Le séisme le plus puissant (Mw = 5.7) attribué à l’injection profonde d’eau à proximité d’un puits en cours de la fracturation hydraulique s’est produit près de Prague en Oklahoma en 2011, détruisant 14 habitations et blessant deux personnes. Cet évènement et deux autres de magnitude supérieure à 5.0 semblent avoir été déclenchés par un grand séisme de magnitude 8.8 qui s’est produit à Maule, au Chili. Il semblerait que ce grand séisme ait débloqué des failles qui ont atteint le seuil de charge critique à la suite de l’injection localisée des eaux usées. Cette explication soulève la nécessité de comprendre davantage le processus de charge et de déclenchement de la sismicité induite dans de pareils cas. En fin de compte, la sismicité induite par l’injection profonde des eaux usées est connue de longue date. Des évènements ressentis associés à ce type d’opération sont rares mais peuvent atteindre des magnitudes suffisantes pour endommager des bâtiments et blesser des personnes. La probabilité de leur occurrence peut être réduite par les mesures élémentaires suivantes devant être observées lors de la fracturation hydraulique ou de l’injection profonde des eaux usées en volume important et sous de fortes pressions : (1) éviter l’injection de fluides dans des failles actives ou des failles dans des roches fragiles, (2) limiter les taux d’injection pour réduire l’augmentation des pressions dans les pores, (3) installer un réseau local d’enregistrement là où il y a un potentiel de sismicité, (4) établir des protocoles alternatifs d’opérations à l’avance pour modifier les opérations en cas de déclenchement de sismicité, (5) réduire les taux d’injection ou abandonner les puits si la sismicité venait à se déclencher.
Quatrième partie
Impacts économiques du développement du gaz de schiste et nécessité de son intégration dans une nouvelle stratégie énergétique
1 – Impacts économiques du développement du gaz de schiste
Avec le développement du gaz de schiste, les incitations économiques, dont certaines sont importantes, constitue l’une des raisons à l’origine des conflits entre divers niveaux de gouvernance et les compromis environnementaux réels ou perçus. Toutefois, la création d’emplois reste l’aspect le plus visible et vraisemblablement le gain le plus avantageux du développement du gaz de schiste. Pour illustrer cet aspect, il suffit de se référer à l’expérience américaine : en 2009, l’impact économique pour la région de Marcellus Shale, en Pennsylvanie, se matérialisé par 23 500 emplois, soit l’équivalent de 1.2 milliards $ de revenus et une valeur ajoutée pour l’économie de la région de 1.9 milliards $. Bien que les chiffres s’interprètent différemment, il faut retenir que, pour 2009, la Virginie de l’Ouest employait 9 869 personnes dans l’industrie du pétrole et du gaz payant 551.9 millions $ en salaires avec un impact total pour l’Etat d’environ 12 milliards $ créant autour de 24 400 emplois divers dont 7600 en cours année. En 2012, l’étude d’un échantillon de 14 régions productrices de pétrole et de gaz montre que l’impact économique total se chiffre à 46 milliards $ et 86 000 emplois pendant que, agglomérée à six régions voisines sans hydrocarbures, la zone d’Eagle Ford a eu un impact de 61 milliards $ et supporte 116 000 emplois. Ces chiffres sont appelés à croître davantage dans toutes ces régions avec les nouvelles projections de développement d’hydrocarbures non conventionnels. Enfin, en 2010, on estime à 600 000 le nombre d’emplois directs créés autour du gaz de schiste aux USA (extraction, support et forage) et selon, les prévisions, ce chiffre pourrait grimper jusqu’à 870 000 en 2015 auxquels il faut ajouter tout un faisceau d’emplois indirects. Dans le même contexte, il est important de comprendre les fondements des compromis du « non à la fracturation » et leurs coûts économiques. Alors que l’essentiel des travaux se focalise sur les impacts économiques de la fracturation, une étude de l’université du Colorado met en évidence les incidences négatives sur l’économie de cet Etat si la mesure d’interdiction venait à être prise ou l’aurait été. Les résultats indiquent que si celle-ci survenait en 2015, avec d’abord la cessation des activités en place, à long terme (2015-2040), ce serait 93 000 emplois perdus et les pertes se chiffreraient à 12 milliards $ sur le PIB. Dans les cinq premières années de l’interdiction, 68 000 emplois ne seraient pas créés et les pertes s’élèveraient à 8 mds $ sur le PIB. Dans le cas de l’Algérie, si le développement du gaz de schiste obéit à une logique intelligente au seul bénéfice du pays, non cadrée sur la politique actuelle des hydrocarbures conventionnels, la maîtrise et l’emprise algérienne sur l’industrie des hydrocarbures non conventionnels pourrait générer des centaines de milliers d’emplois, des milliards $ de revenus salariaux et une contribution importante à la fiscalité et au PIB qui se chiffrera certainement par dizaines de milliards $, une fois le rythme de croisière de l’exploitation atteint, sans compter les incidences économiques pouvant en découler pour les centres urbains situés dans les bassins ou à leurs périphéries. Les contrées du Grand Sud pourraient abriter d’importants centres de production d’énergie électrique à base du gaz de schiste pouvant constituer des pools d’emplois d’un autre type, et générer des surplus d’énergie exportable vers les pays riverains. Alors que les emplois représentent et entraînent un impact économique certain du développement du gaz de schiste, nous ne devons pas occulter les paiements des locations et redevances qui encouragent les propriétaires à permettre le développement du gaz de schiste mais aussi à les doter de revenus substantiels. L’une des conclusions intéressantes à tirer des travaux récents sur les avantages de l’industrie du gaz de schiste, est relative à l’importance des taux d’épargne sur les revenus de location et des redevances dans la Pennsylvanie du nord-est. Les études du Marcellus Shale Education and Training Center avancent dans certaines contrées de Pennsylvanie, des taux d’épargne de l’ordre de 66% sur les revenus des redevances représentant ainsi de fortes économies marginales. Outre la création d’emplois, les revenus salariaux et la plus-value, l’exploitation du gaz de schiste s’accompagne également d’une importante demande en matière de logements dans les environs immédiats des sites d’exploitation. Dans le nord du Dakota, à Williston, dont la population est de 18 500 habitants, la création de 75 000 nouveaux emplois a engendré un déséquilibre important entre le marché du travail et celui de l’hébergement. Les tarifs de location dans les hôtels ont explosé tandis que les locations sont quatre fois plus chères que cinq années plutôt et les maisons qui se ven daient à 60 000 $ sont affichées à 200 000 $ ! Même s’il s’agit d’un cas spécifique, cet exemple illustre les conséquences que doivent affronter les municipalités en cas de boom économique. Si ces municipalités veulent fixer ces employés sur leurs territoires, elles doivent bien manager leurs offres en logements et constructions, sinon ceux-ci iront résider dans des hôtels et autres hébergements temporaires quand ils travaillent à proximité ou faire la navette entre le site d’emploi et les zones où le logement est disponible. Bien entendu, les travailleurs intervenant sur un site gazier peuvent être originaires d’autres régions ou même d’autres Etats, signe révélateur d’un manque de personnels qualifiés et/ou disponibles sur le marché immédiat. Si les marchés locaux veulent se garantir des recettes fiscales sur les revenus, il est important de développer des formations et des programmes spécifiques à ce type d’emplois, sinon ces revenus seront accaparés par d’autres régions. Il est tout aussi important d’assurer une offre de logement adéquate pour garder ces emplois localement et que la croissance née de ce boom économique ne s’estompe pas une fois la production finie. Il y a évidemment d’autres aspects tels que les effets sur les valeurs immobilières des propriétés et les loyers dans les zones limitrophes des sites de production, que l’on peut inclure dans les impacts économiques, mais dans notre cas, ceux-ci ne revêtent pas une grande importance au moins dans une première étape. Ce sont là les impacts économiques les plus importants qui peuvent accompagner l’extraction du gaz de schiste au vu des expériences de certains sites de production aux USA. Il est certain que ces modèles d’évolution ne sont pas transférables en l’état et que les conditions humaines, socio-économiques et géographiques sont différentes. Mais si l’on tient compte du fait que le développement ne peut émerger que de la combinaison des ressources territoriales et des ressources humaines, il ne peut en être autrement. C’est-à-dire, il est impératif d’associer le développement économique au développement territorial et que les deux ne peuvent être dissociés du développement du capital humain. Donc l’exploitation du gaz de schiste qui n’est qu’une ressource territoriale avant d’être une ressource énergétique, doit être envisagée de manière intégrée et dans le souci de l’intérêt général avant de servir les intérêts particuliers et des entreprises chargées de son exploitation. Les points développés ci-dessus concernent les impacts économiques locaux et nationaux de l’extraction du gaz de schiste, mais il y a des impacts plus globaux pouvant conduire à des reconfigurations à une échelle plus globale.
(A suivre…) I. A. Z.