Le chardonneret élégant en voie d’extinction

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En cette période estivale, loin des grands centres touristiques et de toutes activités de loisirs, les jeunes de la wilaya de Bouira s’occupent comme ils peuvent en essayant tant bien que mal de se faire un peu d’argent de poche.

Les petits boulots ne sont hélas pas à la portée de tous ces jeunes, même lorsqu’il s’agit de travaux pénibles sur chantier ou dans des cafés. Si certains se mettent aux abords des axes routiers pour proposer des fruits de saison aux automobilistes de passage, d’autres ont versé dans un commerce illicite d’un genre assez particulier, à savoir la chasse au chardonneret.

Dès les premiers rayons du soleil, les piaillements des oiseaux se font entendre, un moment que les braconniers mettent à profit pour capturer cette espèce des plus prisées sur le marché. Un marché qui ne cesse d’attirer les foules en ces périodes de vacances où de nombreux émigrés «commandent» des chardonnerets pour les emmener en France.

Il faut savoir que dans l’Hexagone, malgré les lois strictes protégeant plusieurs espèces d’oiseaux et d’animaux interdisant la capture, la vente et la détention de chardonnerets, ce commerce fait fureur. Le prix d’un oiseau de quelques grammes peut rapidement atteindre des sommets. Sur le marché hebdomadaire de Bouira, force est de constater que les oiseaux en cage trouvent toujours preneurs, aussi bien les canaris, les perruches que les perroquets, mais la coqueluche et la star incontestée demeure le chardonneret élégant.

Ces petits volatiles attirent les foules et s’écoulent rapidement même s’ils ne sont pas toujours exposés en cage. A l’entrée du marché, plusieurs adolescents proposent à la vente des chardonnerets, aux côtés de paysans venus vendre lapins, poules, canards, dindes et autres petits animaux de la ferme. Ce sont de petits braconniers qui viennent revendre le butin de la semaine après avoir ratissé les campagnes et parfois les montagnes. «Je vous fais le couple de chardonnerets pour 35.000 DA», dit un gosse à une personne qui lui demandait le prix.

En lui demandant l’origine de ces oiseaux, il répond tout bonnement : «Nous les capturons dans la nature. C’est un travail très minutieux de capturer ces oiseaux sans les blesser. Mais, il y en a de moins en moins, c’est pour cela qu’ils sont un peu chers», révèle le jeune braconnier. Nous apprendrons lors de cet échange que ces oiseaux, de moins en moins nombreux, sont assez faciles à capturer, et qu’il faut juste se lever aux aurores pour poser les rets ou de la glue selon les méthodes de chacun.

«Nous sommes de Kadiria, et derrière la voie ferrée, il y a des tas d’arbustes et des chardons qui donnent des baies qui attirent les chardonnerets. On sort de nuit pour poser nos pièges avant les premiers rayons du soleil. Nous arrivons parfois à en capturer un ou deux. Mais il y a des semaines entières où il n’y a presque plus d’oiseaux, c’est pour cela qu’ils sont chers», révèle notre vis-à-vis.

D’autres méthodes sont également utilisées, il s’agit de bricoler des cages avec un passereau vivant à l’intérieur, et les installer à proximité des buissons. Le passereau appelle ses congénères qui se retrouvent ensuite coincés dans les cages. Un système qui permet d’attraper plusieurs chardonnerets en une seule matinée. Plus loin, nous retrouvons d’autres oiseaux toujours en cage qui auraient été capturés sur les hauteurs du Djurdjura.

C’est ce que nous affirment leurs jeunes propriétaires qui se disent originaires de la région de Haizer et qui nous proposeront même…un jeune aigle à la vente. La tenue de ce marché hebdomadaire chaque vendredi et samedi est décidemment une aubaine pour les contrevenants à toutes les lois.

Des algérois en quête de chardonnerets capturés en Kabylie

Parmi l’ensemble des personnes présentes dans l’espace réservé aux oiseaux sur le marché de Bouira, de jeunes algérois qui insistent pour acquérir les chardonnerets capturés en Kabylie, très prisé dans le milieu pour leur chant qui serait, parait-il, des plus harmonieux. «Au début nous attrapions nous-mêmes les oiseaux pour les revendre, mais ils se font de plus en plus rares. En Kabylie, il en reste encore et le chant des «maknin kabyles» est des plus beaux.

Malheureusement, on ne peut pas venir les attraper ici, donc nous les achetons pour les revendre ensuite à Bab El Oued, El Harrach, du coté de Boumaâti ou à la Casbah», nous dit l’un de ces algérois en précisant que «le vendredi et le samedi les routes sont fluides et, sur l’autoroute, pas de barrages et pas de circulation. Nous pouvons donc être à Alger en une heure de temps tranquillement, et les oiseaux achetés ne souffrent pas du trajet ou de la chaleur».

A comprendre qu’ils n’ont aucune chance de se faire contrôler au vu de la cargaison qu’ils acheminent vers la capitale. Les méthodes de capture et de transport des chardonnerets sont très importantes. Le stress subi les fait majoritairement mourir au cours du trajet. Les deux amis se disent également éleveurs de chardonnerets depuis leur plus tendre enfance : «Nous avons près d’une vingtaine d’espèces dont celle de Kadous, aujourd’hui inexistante. Chaque chardonneret a un chant particulier, rien qu’à l’entendre, on peut distinguer son origine. Celui d’Annaba, d’Alger ou de Kabylie chantent différemment et c’est un réel plaisir que d’entendre un chardonneret chanter le matin à l’aube ou le soir au coucher.» Interrogé sur ce commerce illicite, les deux compères avouent savoir qu’il s’agit d’une espèce protégée.

«Nous avons essayé de nous spécialiser dans la vente de canaris, mais ils ne sont pas appréciés par les amateurs. Il n’y a que le chardonneret qui garde grâce aux yeux des initiés. Pour les algérois, le chardonneret est une culture. Nous essayons de garder cette espèce chez-nous en tentant d’obtenir des portées. En captivité, c’est rare que cela puisse réussir, mais nous y parvenons parfois avec certains croisements. Nous venons aussi à Bouira chaque week-end, espérant trouver de bons reproducteurs», soulignent les deux algérois. Il faut dire que les braconniers ne reculent devant rien pour poursuivre leur chasse et la vente de leurs forfaits demeure importante autant que la demande qui le restera, puisque le chardonneret se reproduit difficilement en cage, sauf avec le canari.

L’engouement pour l’oiseau ne cesse de prendre de l’ampleur

A Bouira, en ville, en fin de journée ou en début de matinée, il n’est pas rare d’apercevoir des jeunes dans les cités accompagnés de chardonnerets en cage. Des cages soigneusement posées sur le capot de la voiture ou accrochée à une branche d’arbre ou devant la devanture d’un commerce. Un animal domestique qui parfois, selon son dressage, peut sortir de la cage, se poser sur l’épaule de son propriétaire qui lui en sifflera l’ordre avant de retourner sur son perchoir.

On nous affirme parmi les initiés que le chardonneret est un oiseau très intelligent et sensible. Il peut assimiler très rapidement un chant en le mettant dans une cage recouverte d’une toile sombre ou d’un carton aéré pour lui diffuser ce chant toute la nuit. Au bout d’une à deux nuits l’oiseau reproduira la même mélodie qu’il aura apprise. Mais chaque dresseur a une méthode particulière pour éduquer le chardonneret. C’est ainsi qu’un chardonneret au chant harmonieux peut se vendre aux alentours de 60.000 dinars. Ce qui explique qu’en plus du ramage de l’oiseau, comme le chardonneret albinos qui se négocie outre mer entre 500 et 1000 euros, le chant distingue aussi l’estimation de l’oiseau.

6 000 espèces animales protégées saisies en Algérie en 2017

Le phénomène du braconnage ne cesse de prendre de l’ampleur en Algérie en continuant à porter préjudice à l’environnement en général et plus particulièrement à la faune locale. Les services du Parc National du Djurdjura et ceux de l’administration des Forêts n’ont pourtant de cesse de sensibiliser sur la sauvegarde du patrimoine forestier, en mettant en exergue la préservation de la faune et de la flore. Les autorités luttent sans cesse contre le braconnage et la chasse illicite en y associant les services de la gendarmerie avec des barrages routiers à proximité des espaces boisés, mais les braconniers de plus en plus nombreux semblent passer à travers les mailles du filet.

L’année dernière, à l’échelle nationale, plusieurs opérations d’envergue avaient permis la saisie de plus de 6000 espèces animales protégées, dont la dernière en date enregistra la saisie de 93 chardonnerets dans les circonscriptions des forêts de Berrouaghia et de Tablat, fin 2017. Selon les services de la Direction Générale des Forêts, ce sont en premier lieu le chardonneret, le singe magot et la gazelle qui représentent le gros des espèces protégées ayant fait l’objet de saisies.

Même l’hyène n’échappe pas au braconnage car se marchandant à des sommes astronomiques. Toutefois pour le chardonneret élégant, le trafic à grande échelle se trouve sur les frontières algéro-marocaines où les oiseaux capturés à travers les wilayas du centre du pays alimentent quotidiennement la filière. Aujourd’hui, on peut affirmer que le braconnage et la chasse sauvage intensive ont considérablement réduit le nombre de chardonnerets et au rythme où vont les choses d’une manière générale, on peut dire que l’espèce du chardonneret en Algérie est quasiment anéantie.

Il est en effet de plus en plus rare d’apercevoir des chardonnerets qui nichent pourtant quatre fois par an. Les nouvelles méthodes de braconnage sont d’une barbarie extrême avec l’utilisation massive et intensive des filets ornithologiques. Pratique qui consiste à accrocher un filet entre les deux berges d’un oued dans lequel se retrouvent piégés mâles, femelles et jeunes chardonnerets. Ces captures massives dépassant parfois une vingtaine d’individus par filet, nuisent terriblement au cycle de reproduction de cette espèce de plus en plus menacée.

Hafidh Bessaoudi

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