Le cirque Maâmar

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Par Anouar Rouchi

Le 29 mai prochain, les Français sont conviés à se rendre aux urnes pour dire oui à la Constitution européenne. Ou peut-être non, si l’on se fie aux nombreux sondages publiés à ce sujet ces derniers jours et qui prédisent un rejet à plus de 53%.Cela n’est pas sans inquiéter les chantres du oui, à commencer par le président français, Jacques Chirac, qui compte investir personnellement l’arène pour redresser la tendance, alors que le Premier ministre, Raffarin, jaloux de ses prérogatives, rappelle à qui veut l’entendre que c’est lui, et lui seul, le visage de proue de la campagne en faveur du oui. Cela lui a valu d’ailleurs des propos assez désobligeants de l’ancien président, Giscard d’Estaing, l’un des rédacteurs de la Constitution, qui a estimé inopportune l’intrusion dans la campagne d’hommes dont la cote de popularité est au plus bas. La peur gagne aussi la direction du parti socialiste qui bat le rappel de troupes en catastrophe. Au-delà de l’adoption ou non de la Constitution européenne, avec ce que cela suppose comme conséquences sur l’Union européenne, il y a un enjeu interne capital pour cette formation. A deux ans de l’élection présidentielle en France, si le non venait à l’emporter, Laurent Fabius serait incontournable pour porter les couleurs de la gauche au grand dam de François Hollande et de sa sémillante épouse, Ségolène Royal, particulièrement sévère à l’égard des socialistes qui font la promotion du non et qui gagnent incontestablement du terrain. Pendant ce temps, par la grâce d’un seul homme, Alger s’est transformée en un énorme cirque, avec son chapiteau, ses animaux exotiques, ses équilibristes, ses contorsionnistes et bien sûr, son pitre hors pair qui vous fait rire jusqu’à en pleurer. L’inévitable guide libyen n’a pas son pareil pour provoquer, simultanément, des sentiments et des réactions aussi contradictoires. Le président Bouteflika s’est ainsi avéré un équilibriste et un funambule hors du commun. Une seule fois, il a failli faire une chute lorsqu’il a vu les gardes du corps du Guide se défouler sur les photographes algériens. Le chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia, a fait montre de dons extraordinaires en matière de contorsionnisme et a réussi à ne pas rire et à ne pas s’emporter devant les blagues extravagantes du pitre déchaîné. Mais l’homme est connu pour son sang-froid légendaire, et le long de sa carrière il en a vu bien d’autres. Le clou du spectacle, auquel n’ont malheureusement pas été conviés les enfants amoureux de Jurasic Park, c’est sans doute cette monumentale réunion des diplodocus du FLN auxquels le Guide pense redonner vie et rallumer chez eux la flamme conquérante, comme aux temps d’avant la glaciation.Lorsque, mardi dernier, l’objet de toutes les railleries, qui a réussi à agacer les plus indulgents, est enfin parti, c’est toute l’Algérie qui a dit un grand “ouf !”. Mais nulle part ailleurs que dans cette chronique vous ne trouverez ce qui a rendu possible ce départ, tant l’intéressé a décidé de prendre racine sur cette terre accueillante et généreuse.Lundi soir, au cours d’un dîner en tête-à-tête entre Bouteflika et le Guide, cet échange ultrasecret a eu lieu :Bouteflika : “Mon frère, je sais quels efforts tu déploies pour que l’Occident t’accepte, te reconnaisse et t’honore. J’ai donc pensé à t’aider. Tu sais que Jacques Chirac a un sacré problème pour faire adopter la Constitution européenne le 29 mai. Sachant que personne ne peut t’égaler pour gagner une élection, je l’ai invité pour le faire bénéficier de ton expérience et de tes conseils éclairés. Il sera là demain, dans le plus grand secret.”Le Guide : “Merci mon frère, merci. Je suis touché par tes attentions. Mais demain, je m’en vais à la première heure. J’ai bien peur que Chirac ait mal pris certains de mes propos sur la France et l’Union européenne. Mais, pour son problème, ce n’en est vraiment pas un. Qu’il organise son référendum avec un seul bulletin, celui du oui…”.

A. R.

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