«Doumiati», un herboriste pas comme les autres

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De plus en plus de personnes s’intéressent à la phytothérapie, et le recours aux plantes médicinales suscite un engouement sans précédent auprès de patients trouvant en la médecine traditionnelle une solution qu’ils jugent saine et efficace.

Les herboristes ayant pignon sur rue à travers la wilaya de Bouira enregistrent chaque jour de nouveaux clients et le même enthousiasme est constaté dans les magasins vendant des compléments alimentaires. Toutefois, les plantes médicinales ne sont pas toutes à mettre entre les mains des néophytes, et seuls quelques rares initiés peuvent conseiller, à défaut de prescrire, des herbes aux vertus médicinales. C’est le cas pour M. Abbas Akli, surnommé affectueusement «Doumiati» dans son village d’Illitène, commune de Saharidj. Un sexagénaire bon pied, bon œil, toujours prêt à rendre service à ceux qui le sollicitent et qu’il aide volontiers. Des malades qui viennent d’un peu partout pour solliciter ses services, lesquels il oriente en leur donnant des conseils pour se soigner avec des herbes naturelles. Cela va faire plus de dix ans que M. Abbas Akl dispense son savoir : «C’est une autre manière de se soigner, par les plantes, reconnue par la médecine pour traiter certaines maladies. Toutefois il faut être aguerri avant de prescrire des plantes et il faut aussi connaitre l’état de santé de la personne malade. Les doses et les mélanges de certaines plantes sont à respecter scrupuleusement. Mais il existe beaucoup de plantes toxiques qu’il ne faut pas inclure dans certains traitements. Il faut être vigilant», déclare-t-il en ajoutant qu’il ne fait pas de cette science son fond de commerce : «Je ne fais pas les marchés pour vendre quoi que ce soit, je suis retraité et je cherche avant tout à ce que les gens retrouvent la guérison. J’ai été poussé par les membres de ma famille, par des amis et des connaissances à devenir herboriste pour mettre mon petit savoir au profit des malades.»

Un autodidacte désintéressé

«Il faut dire que j’ai beaucoup appris auprès des anciens. J’ai fais des expériences sur moi-même avant de les recommander à d’autres», plaisante-t-il. Pour M. Abbas Akli, il a été prouvé qu’on obtient la guérison souhaitée à 99%, rien qu’avec les plantes et leur efficacité a été démontrée de manière scientifique. L’herboriste reconnait que la région est extrêmement riche avec sa flore et sa faune singulière : «Notre région est immensément riche de par sa faune et sa flore, et cela serait dommage de s’en priver. Tout au long de l’année, il y a des plantes qui y poussent et qui ne sont pas exploitées pour leurs vertus, à cause de l’ignorance des gens. Je me suis rendu plusieurs fois à travers différentes contrées du pays pour voir justement la faune et la flore, notre région les dépasse de loin avec cette richesse verte exceptionnelle. Cependant, il ne faut pas oublier que beaucoup de plantes sont toxiques et qu’il faut les débarrasser de leur toxicité avant de les utiliser. C’est pour cela qu’il ne faut pas s’autoproclamer herboriste», prévient-il.

Des problèmes de santé soulagés de manière naturelle

Des gens viennent le consulter le plus souvent pour des problèmes de fertilité, des problèmes dermatologiques, pour l’asthme, le diabète, la chute des cheveux, l’impuissance sexuelle. Aussi, l’herboriste affirme qu’il est possible de résoudre les problèmes de fertilité auprès des couples. A ce sujet il déclare avoir eu des résultats positifs à 100%. «J’ai d’ailleurs deux couples qui ont désormais des enfants qui pourront vous en attester. Il faut dire qu’ici, nous avons certaines plantes miraculeuses capables d’assurer de manière naturelle une guérison rapide. Beaucoup pensent que les plantes sont uniquement destinées aux ruminants, mais ces plantes sont des êtres vivants. La scille maritime (beslat faraoun en arabe et Tikfilt en kabyle), telghouda en arabe ou taouakthirt en kabyle, de son vrai nom scientifique Bonium Mauritanium, le férule commun Afougil en kabyle, le cresson et bien d’autres plantes, sont très bénéfiques pour la fertilité, mais il faut un suivi régulier de deux mois, des doses bien précises, et si la femme n’est pas au stade de la ménopause, les résultats que l’on obtient avec ces plantes sont extraordinaires. De même pour l’absinthe (chedjret meriem) qui pousse en haute montagne avec une odeur très attirante. Une plante symbole de fertilité car l’odeur qui s’en dégage traverse l’épiderme et favorise l’ovulation. Une sorte de réaction chimique s’opère permettant aux ovaires une fécondation garantie lorsque cette plante est portée en guise de ceinture à même la peau», soutient M. Abbas.

Un traitement pour tout, sauf les maladies chroniques

L’herboriste d’Illitène ne s’encombre d’aucun embarras pour orienter ceux qui viennent le voir, vers des médecins spécialistes en cas de doutes : «Je m’interdis de soigner plusieurs maladies cardiaques car il faut respecter la science. Il faut savoir que nous ne faisons pas de sorcellerie et encore moins de l’escroquerie. Je ne fais que dispenser l’héritage que j’ai acquis auprès de nos ainés. Le traitement par les plantes fonctionne avec la médecine moderne», estime M. Abbas. Généralement la plupart des conseils qu’il donne ont trait à des maladies de la peau : «On vient souvent me voir pour des problèmes de dermatologie. Ceux souffrant d’un psoriasis, je leur dis clairement qu’ils ne peuvent pas guérir car le psoriasis ne se guérit pas. Il peut diminuer d’intensité selon les saisons et selon l’état de stress du patient. Par contre, pour l’acné, il est possible de la traiter. Le remède le plus efficace est l’eau de pluie recueillie dans une raquette creuse de figuier de barbarie. Une lotion naturelle très performante et qui est indiquée dans le traitement de l’acné juvénile. D’autres personnes souffrant de verrues, de champignons ou encore de cors aux pieds m’interrogent sur leurs maladies et je leur communique le nom des plantes adéquates pouvant traiter leurs cas respectifs», détaille l’herboriste. Pour traiter chaque maladie, il faut une association de plantes avec des doses à respecter selon le poids et l’âge de la personne, en prenant connaissance de son passé pour savoir s’il n’a pas d’antécédents familiaux avec des maladies héréditaires, problème cardiaque ou hypertension car, dit-il : «On ne peut pas donner des plantes médicinales sans très bien connaitre le patient. A ceux atteints d’insuffisance rénale on ne peut pas donner une plante qui va lessiver leurs vessies.» Pour des maladies plus graves, comme l’asthme, notre interlocuteur affirme qu’il obtient des résultats favorables à près de 60 % : «Les plantes agissent efficacement sur l’organisme car l’asthme, même si c’est une maladie chronique, peut être soulagé et l’efficacité du traitement varie selon l’âge du patient et son environnement. Une fois que la personne me fait part de ses renseignements je lui préconise de la marguerite pour son traitement, ou alors de la laitue vireuse pour traiter les crises d’asthmes aigues. Tous les problèmes respiratoires comme les crises d’asthmes sont également traités en associant ces plantes avec des escargots. M. Abbas Akli indique que pour les personnes atteintes de diabète de type 2, avant qu’elles ne se soignent avec de l’insuline, la petite centaurée (qelilou en kabyle ou khotami en arabe) à petite dose est très efficace. «Il faut cependant faire très attention au dosage car cette plante est très concentrée avec un gout amer insupportable mais très efficace. La figue de barbarie, son huile, et même les raquettes sont consommables et très bonnes pour la santé, car contenant de la pectine pour lutter contre le diabète», indique l’herboriste

Huiles essentielles, décoctions, tisanes, autant de remèdes qui nécessitent des préparations

Auprès de cet herboriste, aucune préparation n’est faite d’avance : «Moi je ne fais pas de préparation tant qu’un patient ne vient pas me voir, car je vous le répète, je ne vends rien. Si quelqu’un vient pour un conseil, je lui donne un conseil, s’il veut des plantes et si j’en ai sous la main, je les lui donne, sinon je lui demande d’aller les acheter et éventuellement, je lui prépare le remède s’il me fait confiance. Dans ce cas, je prends le pilon et je prépare ce qu’il lui faut. Beaucoup de personnes viennent me voir pour me dire que les huiles essentielles achetées dans le commerce ne sont pas très efficaces. Je leur réponds que les huiles essentielles naturelles sont extraites de manière naturelle sans procédé industriel. Dans le commerce, il y a beaucoup de contrefaçon surtout les produits vendus par les salafistes que l’on retrouve sur les marchés hebdomadaires sous des emballages religieux. C’est de l’arnaque et il n’y aucune efficacité à les utiliser. Par contre dans les pharmacies, les huiles essentielles sont de meilleure qualité. Je dis aux personnes qui viennent me voir qu’il n’y pas mieux qu’une plante que l’on voit, que l’on sent, que l’on touche et dont on extrait l’huile essentielle de manière naturelle», estime M. Abbas.

Herboriste ne veut pas dire guérisseur

L’herboriste d’Illitène ne se contente pas des informations recueillies auprès des anciens, mais il s’intéresse également de près à la médecine chinoise, et il a pu ainsi corroborer les bienfaits de plusieurs plantes : «Pour l’arthrose ou les rhumatismes, il y a l’inule visqueuse que l’on appelle en kabyle «amegraman» qu’on ne doit pas appliquer directement sur la peau. Il faut le faire précuire à la vapeur avant d’en faire un cataplasme. Le Retam ou Talegouith est excellent pour la chute des cheveux. Le cresson est également une plante pour lutter contre le cancer au moment où commencent à se former les cellules cancéreuses, avant que le malade n’entre en phase de chimiothérapie. Le lentisque avec ses fruits et ses feuilles sont également des remèdes à beaucoup de maladies associées à d’autres plantes, mais toujours à des doses étudiées», énumère l’herboriste qui se refuse d’être considéré comme guérisseur. «Il ne faut pas confondre médecine traditionnelle avec d’autres pratiques qui ne pourraient pas être logiques, même si parfois, certaines démarches semblent bizarres pour les gens. Par exemple, lorsqu’un guérisseur demande une poule ou un coq noir, un chevreau noir ou autre animal qui doit avoir un pelage sombre, beaucoup pensent qu’il s’agit de sorcellerie et de magie noire. C’est faux, il s’agit de l’influence du soleil sur la chair et c’est scientifiquement prouvé. Vous savez que la lumière est absorbée par la couleur noire par rapport aux autres couleurs. Rendez-vous auprès d’un boucher et il vous confirmera que la viande d’un veau de couleur noire est beaucoup plus savoureuse car le soleil a fait son effet et il ne s’agit là en aucun cas de sorcellerie», explique M. Abbas.

Médecine traditionnelle

Depuis son enfance lorsqu’il faisait paitre le cheptel sur les hauteurs du Djurdjura, Abbas Akli a été élevé dans cette ambiance où ses grands parents exploitaient toutes les plantes : «C’est à partir de là que j’ai commencé à me passionner pour les plantes. J’essaye d’inculquer à mes enfants ce bagage que j’ai acquis au cours de ma vie, mais comme partout ailleurs, il y a des gens sceptiques et d’autres qui savent et qui apprécient la phytothérapie. La réaction chimique naturelle de certaines plantes ajoutée à certaines épices est également préconisée parfois. L’ail notamment est très sollicité dans le traitement de différentes maladies, de même que le piment rouge séché, les deux, combinés, font un excellent antibiotique, mais à ne pas donner aux personnes souffrants de gastrites. Pour les maux de tête, au lieu d’encourir le risque avec du paracétamol, il n’y a pas mieux que l’écorce de peuplier qui est plus efficace que les traitements chimiques contre les migraines passagères», explique M. Abbas qui a reçu récemment la visite de la chaine TV4 ainsi qu’une commission du ministère de l’Intérieur qui s’intéresserait à la médecine traditionnelle.

Hafidh Bessaoudi.

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