“Le CMA est ouvert aux potentialités”

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La Dépêche de Kabylie : Le CMA avait d’abord annoncé la tenue de son 4e congrès à Almeria en Espagne, avant d’opter finalement pour la ville de Nador, au Maroc. A quoi est dû ce changement ?Belkacem Lounes : Il faut savoir qu’à chaque fois que le CMA s’est réuni à l’étranger, ce n’était pas par choix mais parce que nous n’avions pas d’autre solution. L’hostilité des Etats et du lobby arabonationaliste, les interdits et en particulier l’absence de liberté de circulation, notamment entre l’Algérie et le Maroc, nous ont empêchés de réaliser le souhait ou le rêve de nous réunir chez nous. C’est pourquoi, dès que le Maroc a annoncé sa décision de supprimer l’obligation des visas pour les ressortissants de nationalité algérienne, nous avons aussitôt reconsidéré notre décision concernant le choix de Almeria, d’autant plus que nous savions que l’Espagne est devenue extrêmement sévère concernant l’octroi de visas. En tout état de cause, avec la liberté — même relative — de circuler retrouvée, entre l’Algérie et le Maroc, rien ne pouvait plus justifier de se réunir à l’étranger. Aujourd’hui, nous constatons que ce choix est accueilli avec un grand enthousiasme tant au Maroc que dans les autres régions de Tamazgha et par la diaspora.

Ce sera le 1er congrès à se dérouler dans un pays de Tamazgha. Quelle est la réaction des autorités marocaines ? Avez-vous les autorisations nécessaires ?Non, c’est le deuxième congrès en terre amazighe puisque le premier a eu lieu en 1997 à Tafira, aux îles Canaries. C’est néanmoins le premier qui se déroulera dans un pays de Tamazgha continentale et cela suscite déjà une grande joie chez les militants et les citoyens amazighs. Nous n’avons jamais enregistré autant de demandes de participation. Ce sera un moment fort en émotions, celles des retrouvailles d’une famille dispersée et du sentiment d’aller dans le sens de la récupération de la souveraineté du peuple amazigh. Quant aux autorités marocaines, la législation prévoit que nous devions les informer en temps opportun et c’est ce que nous avons fait. Le congrès du CMA sera organisé comme d’habitude, avec nos propres moyens, en toute indépendance et en toute légalité. Conformément au droit national et international, les autorités marocaines sont tenues de respecter et même de protéger notre liberté et notre droit de réunion pacifique.

Le CMA aborde ses 10 ans d’existence. Quel bilan allez-vous présenter à ce congrès ?Le CMA n’a que 10 ans. Bien avant lui, beaucoup d’autres mouvements et organisations amazighs ont travaillé dans le même sens. On peut noter quelques acquis, des avancées, mais globalement la situation n’est guère satisfaisante. Parfois, il y a même des reculs. Le déni accable toujours notre langue et notre culture, les interdits et la répression continuent de nous frapper impitoyablement et la marginalisation maintient nos régions dans la misère. Plus que jamais, le combat doit se poursuivre avec courage et obstination pour exiger le respect plein et entier de nos droits individuels et collectifs.Dans ses missions de rassembler les Imazighen et porter leur cause sur la scène internationale, le CMA progresse mais là aussi, de manière insuffisante. Je constate amèrement que dans l’espace méditerranéen qui nous concerne, nous sommes le peuple le plus ignoré parce que nous avons trop longtemps négligé cette dimension internationale. Nous sommes loin derrière les Catalans, les Basques, les Kurdes ou même les Corses. Le CMA tente de faire entendre la problématique amazighe à tous les niveaux : il interpelle les instances internationales (ONU, UE…), se saisit des instruments juridiques internationaux et travaille en partenariat avec d’autres ONG et d’autres peuples, notamment dans l’espace euro-méditerranéen. Mais notre travail a besoin d’être étoffé, approfondi et poursuivi avec une grande ténacité et régularité. Je compte beaucoup sur le prochain congrès pour renforcer nos structures afin de pouvoir faire face avec davantage d’efficacité aux tâches d’une grande ampleur qui nous attendent.

Le CMA a été très présent sur la scène internationale lors du Printemps de Kabylie en 2001, depuis, votre rôle s’est, semble-t-il, effacé ? Quelle en est la raison ?Lors du Printemps noir de Kabylie, nos frères tombaient par centaines, morts et blessés. Il y avait urgence et nous nous sommes effectivement mobilisés pour à la fois exprimer notre solidarité et dénoncer le massacre. Nous avons porté le problème au niveau le plus haut des Nations unies et de l’Union européenne. Et nous ne pouvions pas faire moins. Mais le CMA s’est mobilisé de la même manière en faveur de nos frères Chaouis des Aurès lorsqu’ils ont été agressés puis violemment réprimés en mai-juin 2003 à Tkout. Concernant le Maroc, nous avons rédigé deux rapports remis aux organismes compétents des Nations unies, l’un sur les discriminations anti-amazighes et l’autre sur les droits du peuple amazigh de ce pays. Nous avons soutenu les étudiants du Mouvement culturel d’Agadir, de Imteghren (Errachidia) et de Marrakech, lorsqu’ils ont été attaqués par la police ou par les groupes panarabistes. Je me suis rendu dans plusieurs régions du Maroc et en particulier chez nos frères Rifains victimes du séisme qui a frappé leur région en février 2004 et avons appelé à l’aide internationale et avons insisté pour que celle-ci soit distribuée directement aux populations. A chaque fois que nous avions pris connaissance d’un problème grave qui a touché les Amazighs, partout où ils vivent, nous avons aussitôt alerté les instances compétentes au niveau international ainsi que les ONG spécialisées.

Certains disent que la CMA est absent sur le terrain. Qu’en dites-vous ?Disons plutôt que le CMA n’a pas été à la hauteur de ses ambitions. J’en suis conscient. Les gens attendent beaucoup de nous et ils ont raison. Il faut que l’on apprenne à travailler plus et mieux. C’est pour cela que je compte faire des propositions au prochain congrès afin d’élargir et de renforcer les composantes de notre organisation. Jusqu’à maintenant, seules les associations avaient le droit d’adhérer au CMA. Je vais proposer que des personnalités (universitaires, journalistes, industriels, écrivains, artistes, militants reconnus…) puissent intégrer le CMA à titre individuel. En tout état de cause, dans un esprit fraternel, la “maison CMA” reste ouverte à toute potentialité souhaitant contribuer à faire triompher ensemble, nos justes et légitimes droits.

Qu’est-ce que vous attendez de la prochaine assemblée générale du CMA et des défis qu’elle devrait relever ?Ces 4 assises revêtent symboliquement une importance cruciale. Nous attendons 500 délégué (e)s de toutes les régions de Tamazgha et de la diaspora, qui s’apprêtent à converger vers Nador et plus de 50 invité (e)s représentant les organisations internationales (ONU, UE, UA, Unesco), les peuples amis, les ONG, etc. Le premier défi sera de faire en sorte que ce congrès se déroule dans de bonnes conditions. Et pour cela, nous comptons sur la vigilance et le sens des responsabilités de chaque délégué (e). Le second défi est d’élargir notre base militante tout en rajeunissant et en féminisant nos instances. Un effort particulier sera fait pour que les prochaines instances du CMA intègrent davantage de femmes et de jeunes. Le troisième défi est de resserrer nos rangs autour de la définition des valeurs et d’un projet communs à tous les Amazigh(e)s. Cela sera formalisé dans ce que nous avons convenu d’appeler la “Charte amazighe” dont un avant-projet sera soumis au débat public.Je suis persuadé que ce 4e congrès sera un événement exceptionnel qui marquera significativement l’histoire des Amazighs. Je suis sûr que nos frères Rifains sauront se surpasser pour offrir le meilleur accueil aux Amazighs de toutes les régions et à tous nos amis.

Entretien réalisé par Khaled Zahem

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