Smoking, voile transparent, limousine… ou le nouveau mariage “importé” des Kabyles

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Reportage réalisé par Djaffar Chilab

La parabole, le numérique, le Dvix, le portable, l’Internet… ont fait des avancées et des ravages dans la société. C’est selon le côté duquel on se met. En Kabylie, la mutation est bouleversante. Pas du tout habituée à ce côté très ouvert, la région semble subir un grand choc amplifié par la frustration ambiante jusque-là. La crise, la cherté de la vie ont rendu les vieux parents… plus « civilisés ». Plus tolérants. La maman, sans… la moustache, est moins hypocrite, dans l’affaire. Elle n’hésite plus à inciter sa fille à se mettre à la mode et à prendre son sac « comme toutes les autres » pour se « débrouiller » un mari ! Les habits sont parfois plus extravagants, pour ne pas dire vulgaires chez les filles de Tizi que celles de Paris. C’est peut-être là les aléas d’un temps qui va à cent à l’heure. Et la Kabylie semble s’y être embarquée peut-être maladroitement, à l’image d’un adolescent qui s’est mis sur la queue d’un âne en furie. Comme dirait Fellag, la carcasse est habillée occidentale mais l’esprit est resté farouchement algérien.

C’est le grand paradoxe. Chez les garçons comme chez les filles. Le père ou le frère voit bien, par exemple, sa fille ou sa sœur sortir le matin superbement moulée dans son semblant de fin pantalon et body à devanture généreuse, mais ils n’admettront jamais la croiser avec son mec… Et pourtant si elle fait autant d’efforts ce n’est pas pour leurs beaux yeux quand même ! Et ils le savent ! Mais c’est comme ça. C’est là l’une des facettes de la modernité contrariée des Kabyles. Dans la vie de tous les jours ça a fini par donner le quotidien d’aujourd’hui : tout est permis loin du regard familial… Si la fille aboutit, dans sa quête, au mariage, c’est le… grand lot, le bac, la qualification aux éliminatoires jumelées des coupes d’Afrique et du monde, bref à chacun sa comparaison ! Et ça se fête !

Fini le temps où le mari s’infiltre d’une porte dérobée…

Pas comme avant non plus. Les fêtes ne pouvaient fatalement échapper à ce nouveau mode de vie. En effet, les mariages en Kabylie ont pris une tout autre tournure, ces dernières années. Désormais, l’heure est aux mutations. Les fêtes sont célébrées à l’occidentale…On est bien loin de la tradition du burnous d’antan. L’étalon a laissé place à la rutilante limousine. Les mariés ne sont plus… timides, aucune gêne devant papa et maman… On est franchement loin du temps où un furtif regard attendrissant à l’écran d’une télé créait la panique autour d’une table familiale… On se tape des fiançailles d’autres mœurs : on se coupe la pièce montée à deux : le couteau est tenu par la main de la fiancée qui est tenue par la main du fiancé. Le français n’est peut-être pas très correct mais l’essentiel est que l’image est bien décrite, et le message est parvenu… Et puis cette autre étape où le couple, comme dans un épisode des Feux de l’amour, se croise les bras pour s’échanger  » amoureusement  » deux cuillères du gâteau puis deux coupes de jus. Dans la scène, il ne manque que l’imam cool qui dirait : « Vous pouvez embrasser la mariée… ». C’est les nouvelles cérémonies des Kabyles… On semble en tout cas bien s’en accommoder. Et on y paye le prix fort pour ! Un mariage en Kabylie vaut pas moins de trente millions… C’est le minimum à payer pour une fête dite tout juste moyenne. Pas de bœuf à égorger dans ce cas-là. Une salle qui s’y prête est louée pour une moyenne de vingt mille dinars. La prise en charge de cinq cents services reviendrait à quelque vingt-cinq millions à raison de cinq cent dinars la personne. Le DJ est loué à près de dix milles dinars, selon sa renommée et la qualité du matériel. Autant de dinars sont nécessaires pour  » fleurir  » la voiture de la mariée prêtée au cousin ou au voisin. Pour ceux qui voient grand, le prix est triplé pour la location d’un bolide désormais disponible pour la circonstance… A Tizi, on loue presque le plus normalement du monde une limousine…

A Béjaïa aussi. ça c’est les grandes dépenses apparentes. A satisfaire le jour même de la fête… Sans compter le logement à acheter ou à retaper ne serait-ce qu’avec une couche de peinture, les meubles (la chambre à coucher) qui devraient suivre, le trousseau à offrir à la mariée, l’huile, les faux frais à gauche et à droite, la soirée musicale (un chanteur moyen se négocie à une moyenne de dix millions), le voyage de noces…

Aujourd’hui, autres temps, autres mœurs !

« Les temps ont vraiment changé ! Moi, je me souviens, mon père m’avait marié à 14 ans à dos d’un mulet, je n’avais auparavant jamais vu celui que je découvrais ce soir-là et qui deviendra mon mari. Quand je raconte encore l’histoire à mes petites filles, elles se moquent de leur grand-père en lui disant : on te l’a ramené comme un frigidaire dans un carton… » L’histoire est de N’na Ouerdia, une vieille grand-mère qui flanche sous le poids de ses soixante-neuf ans. « Je n’étais pas comme ça, à l’époque j’étais belle mais… Dans le temps, on n’allait pas automatiquement à l’école, c’était rare ! On ne pouvait pas sortir comme ça, seulement pour aller ramener l’eau de la fontaine ou chez la voisine d’à côté pour se faire prêter un tamis… D’ailleurs, les jeunes n’avaient que les fontaines pour guetter… Mais si on surprenait quelqu’un parler à une femme, ça pouvait aller jusqu’à un crime ! Et c’est arrivé ! » D’autres ont dû changer de région ou carrément de pays pour ce genre d’histoires. « Nous, le jour de la fête, on ne voyait pas les maris. Il sortaient, allaient dans les champs, loin de la maison pour éviter les regards, de rencontrer les proches. Ils ne rentraient voir la mariée qu’à la tombée de la nuit, emmitoufle dans un burnous, la tête sous la capuche… Les autres femmes, on les enfermait dans une autre cabane. Elles n’avaient pas le droit de sortir jusqu’au petit matin lorsque l’homme quittait la maison. Ils (les nouveaux mariés) sortaient avant le lever du jour, pour que personne ne les voie… Maintenant, le lendemain tu le vois s’exhiber avec des tas de brillant… sur le cou ». N’na Ouerdia assène ces propos avec la main sur la bouche pour cacher un rire d’une désabusée…

Mais cela ne semble plus la choquer. Elle a assisté à des scènes de ce genre, plusieurs fois. Acceptera t-elle de voir son petit-fils ou sa petite-fille dans une telle situation ? « Ils feront comme tout le monde, on ne peut que suivre. C’est leur temps… Aujourd’hui, la fille prend tout avec elle, ce n’est plus la même chose, moi on m’a fait débarquer avec une robe et une peau de mouton. Aujourd’hui, la fille prend parfois même des matelas, des meubles, il ne leur manque qu’à prendre un lavabo… » N’na Ouerdia, malgré son âge, ne manque pas d’humour pour autant et se hasarde sans complexe à quelques mots en français. Quand elle vous dit par exemple « Aroussou », il faut comprendre trousseau ; « Le gâteau aux escaliers », la pièce montée ; « Joker », disc-jockey… « Tout ça n’est pas de nos traditions ».

Elle a sans doute à moitié raison. Car, il faut bien couper la poire en deux, face à ces jeunes qui vivent un autre temps. Celui d’un monde réduit à un petit village… Tout se sait en un rien de temps. « La mode » traverse les frontières comme les pipis d’un vieux saoulard transpercent un « tchangay » bleu… L’effet string a atteint le Djurdjura. On l’exhibe même. Dans les marchés, il est désormais rare de trouver un jean…normal, pour fille, comme pour garçon. Tout ou presque est de taille basse… Pour les uns, « c’est un peu trop quand même ». D’autres répliquent en faisant référence à… 2009, pour expliquer toutes ces folies dans ces habits made in qui vous déshabillent plus qu’ils ne vous habillent, les nouvelles coupes de cheveux, le gel et toutes ces poitrines et fesses qui déambulent à volonté… Les jeunes d’aujourd’hui semblent prendre les choses… à la légère. Même le divorce. Les chiffres ont aussi changé : on se sépare plus de notre temps. Les statistiques sont édifiantes : près d’un cinquième des mariages scellés en été « explose »… dans l’hiver qui suit. Et pourtant c’est à cette période qu’on sent le plus le besoin de partager un lit…

D. C.

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