Ali Zamoum, l’éternel révolutionnaire

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Ali Zamoum est mort le 28 août 2004 et enterré à Ighil Imoula où il naquit un certain 20 octobre 1933. Quand on évoque la glorieuse révolution algérienne, celle de Novembre 1954, particulièrement les circonstances de son déclenchement, l’on ne peut ne pas mentionner et penser à certains lieux et noms étroitement liés à cet évènement qui représente un épisode important et fondateur de l’Algérie indépendante.

Ighil Imoula, un village de la région des Ouadhias, perché à quelque 700 m d’altitude à 40 km au Sud du chef-lieu de la wilaya de Tizi-Ouzou, se trouve être parmi ces lieux d’histoire, de mémoire, un haut lieu de lutte, un berceau de la révolution armée et un fief du mouvement national déjà du temps du PPA MTLD, avec ses dizaines de militants actifs. C’est un village aussi qui s’est fortement investi dans la préparation de la révolution armée avec des nationalistes menés dès le milieu des années quarante par Krim Belkacem qui a fait de ces lieux l’un de ses principaux quartiers généraux.

Ils sont nombreux les hommes, aussi valeureux les uns que les autres, dont les noms sont retenus par l’histoire. Cependant, un nom émerge du lot : Ali Zamoum, celui-là même qui a été chargé par Krim Belkacem, dont il était l’un des fidèles lieutenants, de dactylographier et de tirer la fameuse déclaration du 1er Novembre 1954, après que ce dernier eut hérité de la mission auprès du CRUA, dont il était l’un des membres. Krim voyait que ce personnage était si important à ses yeux qu’il s’exclama en ces termes lors de l’arrestation de Zammoum : «Décidemment, on ne prend que les meilleurs», propos rapportés par Hocine Zehouane dans la préface du livre de Rabah Zamoum, fils du colonel Mohamed Zamoum (Si Salah), intitulé «Ali Zamoum, le juste».

Dans ce qui suit, des témoignages de quelques acteurs, moins connus, mais qui contribuent à mieux faire connaître le militant depuis sa prime jeunesse. Il s’agit entre autres de sa femme, Nna Ouiza, de ses compagnons : El hadj Hocine Ouyad, Ali Sefal,… Des compagnons qui ont eu à partager et à croiser son itinéraire, avant, pendant et après l’indépendance. Rencontrés lors du dernier hommage qui lui a été rendu au niveau du siège de l’association «Tgmats», qu’il a lui-même fondée et présidée avant sa mort, ils ont été unanimes à mettre en exergue les qualités et les valeurs humaines et patriotiques qui ont été siennes et qui l’ont guidé le long de toute sa vie.

Na Ouiza, sa femme, se souvient parfaitement de ses moments où son mari se dévouait entièrement à la cause nationale. Du haut de ses 80 ans, elle ne perd pas une once de souvenirs de cette période. Elle relatera avec force détail ses parcours humaniste et révolutionnaire.

L’homme raconté par sa femme N’na Ouiza

«Il était orphelin de mère et de père dès sa tendre enfance, d’où son penchant à venir en aide aux démunis et à toute personne dans le besoin. Il s’était engagé très jeune et a épousé la cause du mouvement national très tôt en s’investissant dans la sensibilisation et le recrutement de militants, non seulement dans notre région, mais aussi ailleurs. Il parcourait presque toutes les régions du pays et était souvent absent à la maison. Je recevais à la maison familiale ses compagnons, entre autres, Ouamrane, Si Mouh Touil, Rabah Oukanane,

Si Said Oulmouhouv d’IghilBoulkadi, Akli D’Agouni Boufal… Quand le 1er Novembre est venu et la tâche du tirage de la déclaration du déclenchement de la révolution armée lui a été confiée, il était très investi et très enthousiaste et c’est lui qui a conduit le journaliste Mohamed Laichaoui à Ait Abdelmoumene puis à Ighil Imoula pour dactylographier puis tirer le document avec du matériel ramené d’Iazouzen, chez la famille de Abane Ramdane. Pendant sa période carcérale, il était toujours actif et il réussissait à rester en contact avec ses compagnons de combat, dont Rabah Ouakanane auquel je transmettais les lettres qu’il faisait parvenir de prison par le biais d’Akli d’Agouni Boufal.

Les lettres faisaient ensuite le chemin inverse vers lui en prison», racontera Na Ouiza. Elle nous apprendra le subterfuge qu’il utilisait pour que les lettres ne soient pas déchiffrées par l’ennemi. «Il écrivait les lettres avec du jus de citron et les feuilles paraissaient vierges. Elles n’étaient lisibles qu’à la lumière d’une lampe». À l’indépendance et après sa libération, notre interlocutrice racontera comment il fut obligé de démissionner de l’armée et du parti qu’il a réintégré à l’indépendance, puis de son poste de préfet de Tizi-Ouzou, n’ayant pu supporter et accepter les pratiques du régime qui étaient pour lui, «une trahison pour le serment de novembre et des chouhadas».

«Il était rentré en conflit avec les dirigeants de l’armée juste après l’indépendance en s’opposant à l’accaparement de villas à Bordj Menaiel par ses derniers, alors que lui voulait les attribuer aux familles veuves et aux orphelins des combattants morts au champ d’honneur. Nous avons du fuir de Bordj Menaiel vers Alger en passant par Cap Djinet parce qu’il était menacé de représailles par des militaires. La menace était tellement sérieuse et la fuite urgente que nous n’avons même pas pu récupérer nos affaires que nous avions laissées chez des voisins avec lesquels nous habitions dans une cité populaire.

Un autre jour, sur proposition de Si Moh Touil pour me faire établir une carte de Moudjahida, Ali est rentré dans une colère noire contre ce dernier, lui reprochant de penser à nos petites personnes au lieu de le faire pour les veuves et orphelins de la guerre de libération nationale. Il n’a jamais accepté un quelconque avantage et nous ne vivions que de son salaire. Jusqu’à présent, ni lui ni moi, ne touchons une retraite ou pension de Moudjahid. Présentement, je ne vis que grâce à sa retraite professionnelle», raconte Na Ouiza.

Quand Mitterrand animait un meeting sur la place de l’hôtel de ville de Tizi Ouzou…

L’Hadj L’Hocine Ouyad complète avec un autre témoignage : «Je l’ai connu en 1952, relation qui s’est consolidée et développée en 1953 quand son frère Mohamed était en prison à Tizi Ouzou avec d’autres compagnons d’Ighil Imoula, dont un autre militant connu, Slimane Mouh Ouslimane, pour le chef d’inculpation d’établissement de fausses cartes d’identité au profit de militants recherchés, dont Ali Mellah. C’était lui et Bessaoud Mohand Arav qui m’ont enrôlé dans le mouvement, alors que je n’avais que 16 ans. J’étais receveur dans le bus familial qu’Ali Zamoum prenait vers Tizi-Ouzou afin de rendre visite à son frère et à ses compagnons.

Je me souviendrai toujours qu’il était toujours actif. Flanqué de son inséparable burnous, il portait toujours un sac à dos contenant le journal «Algérie libre», organe à l’époque du PPA, qu’il vendait pour alimenter les comptes du parti et sensibiliser le peuple. Il me chargeait toujours de la vente d’une partie de la quantité qu’il avait sur lui Il était toujours derrière les actions de toute la région. Lors des élections, quand nous nous sommes levés le matin et que nous trouvions, par exemple, un écriteau appelant au boycott, tout le monde savait qu’Ali était passé par là.

Il rencontrait Krim, Ouamarane, Mouh Nachid, Sebti Meziane… et chez mon oncle, Ahcene Ath Larvi, à Oughris, du côté des Ath Zmenzer et où j’ai eu à côtoyer tous ces révolutionnaires. C’est là qu’ils se concertaient et prenaient les décisions sous le commandement de Krim. Quand François Mitterrand, ministre dans le gouvernement de Mendès France, a été en visite à Tizi-Ouzou, où il a tenu un meeting sur l’esplanade de l’Hôtel de ville, actuelle ancienne mairie, il m’a placé au devant et lui est resté en retrait et il notait sous son burnous tout ce que l’orateur disait. Il n’a raté aucun détail du discours destiné propagandiste.

Bien sûr, c’était dans le but de rendre compte à ses compagnons. Ali zamoum était un révolutionnaire hors pairs qui n’hésitait pas à narguer soldats français et colons. Il faisait preuve d’un courage et d’un engagement très peu égalés. Après l’indépendance, il a continué avec la même abnégation et à refusé de succomber aux champs des sirènes et aux avantages offerts pour son enrôlement dans le système. Il était incorruptible, modeste, humble, toujours aux côtés des démunis et au service de son peuple.» Sur son séjour carcéral en France où il était emprisonné à Rouen, Ali Sefal, son codétenu, souligne et confirme son esprit nationaliste.

«À la prison de Rouen, il avait toujours la même fougue et activait avec la même hargne. Il s’occupait et organisait les cours d’alphabétisation et l’instruction des prisonniers algériens et veillaient sur les cotisations. Il avait toujours plus d’un tour dans son sac en créant des problèmes qui lui valaient des jugements supplémentaires, synonymes d’une perte de temps dans l’espoir de retarder son exécution, étant un condamné à mort».

Rabah A.

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