La grève, le lait à 100 DA et les yeux du poète

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Par Ali Boudjelil

S’il y a bien des gens que la grève rend heureux et riches, ce sont bien les marchands de fruits et légumes. Tant mieux pour eux et tant pis pour la plèbe ! Si vous n’avez pas acheté avant-hier la tomate à 50 DA, voudriez-vous bien, s’il vous plaît, l’enfoncer dans votre couffin à 150 dinars ? Il n’est pas dans ce propos de lister tous les légumes et fruits en hausse, qui, s’ils étaient nantis de l’organe d’hilarité, en riraient à pleines dents.

Certes, les grasses bourses se feront un plaisir d’exhiber le fruit de leur moindre effort en dépensant sans compter pour se pourvoir du lait à 100 dinars le litre, elles qui ont toujours peur de finir dans les hasards incertains. Mais les maigres bourses, talonnées de près par les moyennes, se contenteront, après avoir scruté le ciel et imploré le Ciel, d’un petit sac de semoule et de quelques petits kilos de farine pour subsister jusqu’à la saison nouvelle et de lorgner vers d’autres wilayas qui, elles, n’ont rien entendu de cette grève, pour s’approvisionner en denrées de base subventionnées.

Puisque les transports s’arrêteront de transporter ceux qui seront astreints à être présents à l’heure et à l’endroit où le sort les eût jetés, il serait judicieux de ne pas feindre de voir que bien des machines huilées cesseront de fonctionner et de craindre que les conséquences qui en découleront soient plus que fâcheuses. Le gréviste d’une mairie se réjouit de trouver l’infirmier l’accueillir et le boulanger le servir. Mais qu’en serait-il s’il tout le monde se refusait à faire son devoir, à accomplir la tâche qui lui donne une place dans sa société ?

Y a-t-il lieu de s’enorgueillir de fomenter une grève dans sa seule région pour tenter d’arracher des droits dont jouiraient d’autres qui, d’ailleurs, ne l’entendent guère de cette oreille ? Les grévistes «du cartable» en savent quelque chose, hélas. Le combat est certes noble, goûter à son fruit est le vœu de tout ou un chacun. L’histoire le retiendra.

Elle retiendra aussi que la Kabylie, belle et rebelle, a un amour démesuré avec l’étendue de l’Algérie qu’elle veut tout aussi belle. Il reste à espérer que ce débrayage sera accompagné du seul bon sens qui voudrait que ne soient pas vécus des incidents irréparables, tout comme il conviendrait de souhaiter que ceux qui auront à suivre ce spectacle de ville morte prennent les résolutions qui s’imposent, tout en interrogeant leur présent. Le 12 décembre donnera certainement naissance à une nouvelle donne et les éclaircies d’hiver feront sans aucun doute dessiner de beaux nuages dans le ciel d’Algérie que les yeux du poète ne se lasseront pas d’admirer.

A. B.

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