AHMED ALLILECHE, conservateur divisionnaire au Parc national du Djurdjura : « Le Parc est l’affaire de tous »

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Le Parc national du Djurdjura, couvrant les wilayas de Bouira et Tizi-Ouzou, d’une superficie de 18 500 hectares, est une aire protégée

et de surcroît une réserve biosphère reconnue par l’UNESCO, en 1997. Il a été créé en 1983 et regorge d’espèces endémiques rares, inscrites

sur la liste de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature). Cela lui a valu cette distinction et une classification comme zone importante sur les plantes, zone-clé pour la biodiversité et aussi site d’intérêt faunistique.

En ce début de la saison estivale, M. Allilèche Ahmed, en sa qualité de Conservateur chargé du Département animation et vulgarisation, au Parc national du Djurdjura, revient dans cet entretien sur plusieurs points.

La Dépêche de Kabylie : Pouvez-vous faire une description sommaire du Parc national du Djurdjura ?

Ahmed Allilèche : Comme tout le monde le sait, le Parc national du Djurdjura est reconnu comme une aire protégée et a été aussi classé comme réserve biosphère. Ses forêts jouent un très grand rôle, notamment en offrant des biens et des services éco systémiques considérables.

Je citerai, par exemple, la protection du sol contre l’érosion et les crues, la prédisposition au divertissement et à la récréation (randonnées et sports de montagne), l’adoucissement du climat, en tant que poumon de la région, l’accueil du grand public. Il offre aussi des opportunités de recherche, en tant que laboratoire à ciel ouvert, pour les différentes institutions.

Le Parc national du Djurdjura est aussi connu pour ses espèces animales endémiques rares, inscrites sur la liste rouge de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature).

Quels sont, selon vous, les dangers qui guettent ce parc ?

Dans cette intervention, je me baserai surtout sur les incendies et leurs conséquences, en fonction de leur intensité et de la fréquence du passage du feu et de la combustibilité du peuplement… Il y a un grand risque d’avoir des situations de catastrophes écologiques irrémédiables avec, bien sûr, une altération profonde des écosystèmes, l’extinction d’espèces endémiques et vulnérables, la destruction des habitats de faune…

Qu’est-il prévu pour éviter tout cela ?

On ne cesse de répéter que le Parc national du Djurdjura est l’affaire de tous. Dans cette optique, comme chaque année, du 1er juin au 31 octobre, une campagne de sensibilisation et d’intervention contre les incendies de forêts est lancée.

Pour cette année, il semble qu’une prise de conscience avérée soit grandement affichée par la communauté. J’ai remarqué que ce sujet est inscrit comme un leitmotiv dans les réunions officielles et les discours des collectivités, particulièrement l’administration forestière. La Direction générale des forêts a élaboré un média planning de sensibilisation et de suivi sur les feux de forêt.

Cette même direction, avec ses partenaires et les citoyens, sont conscients de la valeur inestimable de ce patrimoine et des dangers qui le guettent.

Y a-t-il une stratégie particulière pour éviter les catastrophes liées aux incendies ?

Bien évidemment. Pour cette année, la stratégie de prévention et de lutte anti-incendie est améliorée de manière claire et définie, via un plan de préservation où tout le monde est appelé à intervenir.

C’est-à-dire ?

La stratégie adoptée consiste en une campagne de communication sur les origines éventuelles des feux et les risques graves encourus. Le PND, en collaboration avec les Conservations des forêts et les unités de la Protection civile de Tizi-Ouzou et de Bouira, les APC et les Daïras concernées, sans oublier la société civile et les populations locales, vont lutter ensemble contre le déclenchement des feux de forêts (éclosion et propagation) avec une alerte précoce et une arrivée rapide de tous les services concernés.

Il y a lieu d’informer et de faire connaître aux populations locales et riveraines, notamment, et aux visiteurs, la richesse naturelle aussi bien floristique, faunistique que paysagère du PND. Ensuite, faire comprendre et faire aimer aux riverains, en particulier, l’importance de ce patrimoine et les sensibiliser de façon persuasive. Enfin, faire adhérer le citoyen à notre cause, en lui faisant changer d’attitude et de comportement et en développant chez lui le comportement d’éco-citoyen.

Quels sont les autres supports utilisés pour atteindre les objectifs assignés à votre campagne ?

Actuellement, une communication de masse de type mix-communication est appliquée aussi bien sur les sites d’accueil, les routes nationales, les médias que sur les réseaux sociaux, en particulier Facebook.

Nous nous sommes basés sur une sensibilisation convaincante avec, surtout, le choix des slogans et spots, qui ne sont pas fortuits.

Le message doit être accessible et sensationnel avec un pouvoir de séduction et de persuasion à la hauteur des objectifs à atteindre.  Sur le terrain, des opérations sylvicoles, comme l’étalage artificiel et le débroussaillage de bandes forestières longeant les routes à grande circulation, en particulier, ont porté des fruits.

Nous encourageons également la Direction des travaux publics, qui procède au curage des fossés et au désherbage des talus, afin de minimiser les départs de feu.

Qu’en est-il des moyens mis en œuvre pour ce faire ?

Énormément de moyens ont été mobilisés pour la protection des forêts contre les incendies. Cependant, beaucoup reste à faire. Au PND, au niveau de chaque secteur, la préparation des outillages manuels est déjà prête.

La dotation en équipements d’extinction du feu par l’eau, comme véhicules station d’une capacité de 500 litres, est un appui considérable. Sur un autre volet, un système d’alerte et de communication par des postes radio a été accordé aux secteurs des versants sud et nord du Parc.

Par ailleurs, des points d’eau et des bâches à eau ont été installés. En plus de cela, des brigades d’appoint, en tournées permanentes, seront déployées pour dissuader les pyromanes.

Avec cet ambitieux plan d’action, y a-t-il un espoir d’avoir un été sans incendies ?

En dépit de ces efforts et de la volonté affichée pour minimiser les incendies, il faut admettre que la tâche est très ardue à cause des nombreuses embûches, notamment la nature accidentée du terrain qui freine l’intervention rapide et efficace des sapeurs-pompiers et des gardes-forestiers surtout du côté de Tala Guilef, sachant que l’unité de la Protection civile est implantée aux Ouadhias.

Cet éloignement favorise la propagation des flammes surtout si l’alerte est tardive sans oublier les conditions météorologiques caniculaires, particulièrement le sirocco qui souffle en été sur la région, en provenance de Bouira, au moment des grandes canicules.

Dans le secteur d’Ath Ouabane, le départ en retraite de la plupart du personnel aguerri est une contrainte de taille dans la gestion de ce plan anti-incendie.

La sur-fréquentation du Djurdjura est dans beaucoup de cas la cause de départs de feux à cause des barbecues et des feux de camp allumés par sur place par les campeurs, comme c’est le cas à la forêt de Tigounatine (Tikjda), transformée en un lieu de camping illicite.

Pour toutes ces raisons, le risque 0 n’existe pas mais il peut être réduit. Nous souhaitons que nos campagnes de sensibilisation aient les résultats escomptés.

Est-ce suffisant pour couvrir un vaste territoire comme celui-ci ?

Non, car, en perspective, si réellement il existe une volonté de gestion du plan anti-incendie, il est nécessaire de revoir la stratégie de préservation du patrimoine forestier, qui exige davantage d’efficacité, et ce par le renforcement des moyens et des mécanismes d’intervention.

Pouvez-vous être plus explicite ?

Il faut, par exemple, la mobilisation des matériels aussi bien terrestres qu’aériens. A ce propos, une convention entre le ministère de la Défense nationale et l’administration forestière ainsi que la Protection civile, afin d’utiliser les bombardiers d’eau et des équipes héliportées pour appuyer les soldats du feu, sera une solution efficace.

Il faudra, par ailleurs, rehausser le niveau d’alerte au moment des périodes de risque maximal, en répandant l’information météorologique au moment opportun.

Au Djurdjura, il est indispensable d’ériger des tours de gué équipées en jumelles et talkie-walkie pour assurer une détection précoce et, par ricochet, une intervention initiale prompte.

On vous laisse le soin de conclure…

J’espère avoir répondu à toutes les interrogations. Je souhaite aussi que nos objectifs soient atteints à travers ces campagnes de sensibilisation.

A la fin de chaque campagne anti-incendie, une évaluation est faite sur l’état des lieux. La comparaison avec celle de l’année d’avant nous permet d’identifier les failles et de mettre en exergue les points positifs. Je tiens également à remercier tous nos partenaires, qui nous aident beaucoup.

Leur implication avec la population sera une manière de les intégrer à l’avenir dans la gestion du patrimoine forestier, en tant que partie prenante. Je vous remercie de m’avoir ouvert vos colonnes pour exposer ce sujet d’une importance capitale.

Entretien réalisé par Amar Ouramdane

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