«Ni extrémiste ni larbin du pouvoir»

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Idir, rencontré à la veille du mémorable concert de Yennayer 2019 à Bercy en compagnie d’Aït Menguellet et Mohamed Allaoua, avait accordé un dernier entretien fleuve plein de confessions à la Dépêche de Kabylie. On ne se lasse pas de le relire…

La Dépêche de Kabylie : Actualité oblige, l’événement que vous préparez c’est «1, 2, 3 Kabylie», le 12 janvier prochain à Bercy…

Idir : Comme je l’ai dit auparavant, je pense qu’il s’agit là d’un spectacle peu commun, et dans sa réalisation et dans la qualité de ses artistes, mais aussi dans son caractère évènementiel. J’avoue que j’ai été réticent à ce concept de 1, 2, 3 Kabylie, puisqu’on a l’impression de suivre 1, 2, 3 Soleil, je n’aime pas trop me sentir derrière, à suivre, mais bon… Du moment qu’on a jugé (les promoteurs) que c’est là un concept qui porterait sur le plan communication, je me suis dit bon bah…

Cela étant, c’est une joie pour moi d’être à un événement comme ça avec des talents tels que Mohamed Allaoua ou encore Lounis Aït Menguellet. Je considère aussi que c’est là un événement exceptionnel dans la mesure o&ugrave,; de toute l’Histoire de la chanson kabyle, on n’a jamais été dans une salle aussi grande (Accor Hôtels Arena d’une capacité de 20 000 places). Et si l’événement est en passe d’avoir lieu, c’est grâce à Habib et Omar Alliche qui sont venus nous voir, ensemble et séparément, pour voir le bien-fondé de leur idée. J’ai dit oui car j’ai senti qu’il y a de l’audace dans cette envie de porter notre chanson dans ce temple de la musique, c’est quelque chose d’extraordinaire. Ce sera un beau Yennayer, sans doute différent des autres.

Et comment ça va se passer concrètement ? Vous allez chanter ensemble ou chacun viendra faire son numéro en solo ?

C’est vrai que nous sommes, tous les trois, différents dans nos styles. Maintenant, est-ce qu’on peut imaginer venir à trois chanter et puis repartir chacun chez soi, alors que c’est cette idée d’unité qui prévaut dans le concept ? Donc, au moins, on ne peut pas, disons, finir sans chanter quelque chose ensemble. C’est la moindre des choses. On pourrait même commencer ensemble… On n’en est pas encore à ces détails, mais une chose est sûre, à ce qu’on m’a dit, ce sera un spectacle lumineux. Les promoteurs promettent beaucoup de surprises.

Votre dernier grand concert remonte à la double sortie à la Coupole d’Alger pour Yennayer 2018…

Tout à fait. Auparavant, j’avais déclaré sur les télés algériennes que le jour où Tamazight serait langue officielle, je viendrais chanter. Et j’ai donc fait suivre l’acte à la parole.

Mais une tournée devait suivre à travers plusieurs villes du pays…

Effectivement, il était question d’une tournée qui allait suivre. On l’avait d’ailleurs projetée pour le printemps suivant. Mais finalement, il n’y a rien qui a suivi. En dehors des inaugurations ou je ne sais quelles autres cérémonies auxquelles on m’appelait, on n’a plus reparlé de la tournée.

Donc, le contact a été rompu du côté de l’ONDA ?

Je dirais des deux côtés pour être honnête. Moi, comme je ne recevais plus d’appels et qu’entre temps j’avais mon programme à mettre en place en dehors de cette tournée… Et puis, il faut dire aussi que j’ai bien senti que l’intendance ne suivait pas. On a dû se dire après coup que c’était très fastidieux à faire, car c’est sûr qu’une tournée ce n’est pas rien, c’est beaucoup de chose à mettre en place, d’autres à gérer… Et puis on n’est pas sûrs de ne pas être guettés par des parties, notamment extrémistes qui seraient tentées d’entacher l’évènement ou peut-être de personnes de pouvoir en quête de récupération.

Donc, c’est resté à ce stade de réflexion : Y aller ou pas…

Oui, si on peut dire ça comme ça. Cela dit, je dois noter que j’ai eu entre temps, vers le début de l’été, un appel du directeur de l’ONDA, M. Bencheikh. Il m’a proposé de rentrer pour participer à une sorte de concept appelé « L’Algérie en fête », très originale comme idée diront certains. Mais je me suis rendu compte qu’on voulait me faire participer avec une brochette de Cheb&hellip,; Kader Japonais… Alors, je lui ai répliqué que si je devais faire un come-back, ça devrait être le retour d’Idir avant tout. Ce n’est pas que je refuse de chanter avec d’autres artistes de divers horizons, pas du tout, mais ça devrait se faire dans un deuxième temps. Avant ça, on doit donner la suite prévue aux deux spectacles de la Coupole et concrétiser la tournée annoncée.

Pourtant, des villes et des dates, même approximatives, avaient été annoncées lors de la conférence de presse tenue à Alger…

Effectivement, c’est une réalité qui a été discutée et des accords de principe avaient été scellés. A mon avis, et sans vouloir heurter les uns ou les autres, c’est dû à un manque de coordination et même de cohérence. Si on considère que c’est moi qui n’ai pas fait preuve par exemple de grand enthousiasme, c’est parce que je ne suis pas maître de mon programme et je dois honorer les dates qui tombent ici en France ou ailleurs. Mais sinon, à aucun moment je n’ai refusé de chanter dans mon pays, malgré tout ce qui s’est passé.

Et la position du ministre de la Culture dans tout ça ? Il a pourtant déclaré vous avoir eu au téléphone ?

Effectivement, il m’appelle de temps en temps, mais dans cette affaire, lui, il n’a jamais pris position ou quoi que ce soit. On a sympathisé, il est vrai, il m’a paru de loin plus mûr et plus sérieux que les idéologues d’antan, mais au risque de me tromper, mon interlocuteur dans cette affaire de tournée c’est l’ONDA et pas quelqu’un d’autre. Heureusement d’ailleurs, car si ce n’était pas l’ONDA, je n’aurais jamais accepté, surtout pas pour aller chanter sous l’égide de X ou Y. Je suis comme ça, envers et contre tout. Mais au risque de me répéter, j’ai dit OK pour cette tournée selon le plan qui a été établi pour le retour d’Idir qui doit se faire dans certaines conditions. On avait conclu que je devais aller à Oran, Tlemcen, Constantine, Annaba, chez les M’Zab, chez les Chaouis, à Tamanrasset, pourquoi pas d’autres escales aussi, et bien sûr finir en Kabylie.

Face à ce couac, certaines voix n’ont pas hésité à établir une liaison entre ce coup d’arrêt et les futures échéances électorales…

Non ! Mais qu’est-ce que j’ai à voir moi là-dedans? Je ne suis pas assez con à mon âge pour aller servir la soupe à X ou à Y. Je le ferais pour ? Pour de l’argent ? J’en ai. Je ne le répéterai jamais assez : je ne suis ni un soutien des extrémistes, ni un larbin du pouvoir, je suis un Amazigh. Et je ne me suis jamais renié. Même à la Coupole, je l’ai dit et c’était retransmis en direct à la télévision algérienne : Il ne peut y avoir d’Algérie sans Tamazight. A ceux qui en doutent, je dirai : je me suis fait sans vous et je continuerai à me faire sans vous.

À qui vous adressez-vous par ces propos ?

A ceux qui me ciblent gratuitement et tentent désespérément de m’atteindre. Il y a déjà ces petits jaloux qui n’ont pas apprécié les deux Coupoles. Et ça contrecarrait surtout certains projets d’indépendantistes, parce que ça leur gâchait toutes les combines. Il leur était difficile d’admettre que tout ce qui a été mijoté soit foulé au sol par tant de monde, tant d’adhésion et de mobilisation qu’ont suscitées les deux concerts. Et qu’on n’aille pas chercher midi à quatorze heures, car cela ne veut pas dire que je me suis rangé dans l’autre camp. J’avais dit auparavant que quand Tamazight deviendra langue officielle, je viendrai chanter et c’est ce que j’ai fait une fois la condition satisfaite. Je ne suis pas un homme politique et je défie quiconque de mettre sur la table la moindre once de preuve qui affecterait mon continuel engagement pour la cause.

On sent que vous êtes très touché ?

Mais comment ne pas l’être face à cet acharnement. Mais je suis surtout perturbé qu’il (Allusion à Ferhat) sache tout ce qui se passe, ce que je subis et qu’il ne fasse rien pour que ça s’estompe. Et puis j’irai plus loin, celui qui ne dit rien consent. Face à ça, je prends tout le monde à témoin sur le fait que j’ai toujours plaidé pour qu’on le laisse s’exprimer. Mais eux à ce moment-là ils avaient profité pour mener leur propagande et répandre qu’Idir appelle à rejoindre Ferhat. Non! Je n’ai jamais dit ça. Mais j’ai bien dit : laissez-le s’exprimer ! Mais pourquoi, lui, ne fait-il rien?

On était invités par l’ONDA, c’était une rencontre où on avait célébré les droits d’auteurs à l’échelle continentale, il y avait Sellal qui était venu me saluer, c’est tout de même le Premier ministre et moi Idir, et c’est plus civilisé d’échanger une poignée de main que des coups de pied. Et au jour d’aujourd’hui, je me rends compte qu’on me dit : «Si tu n’es pas avec nous, c’est que tu es contre nous», et c’est justement là le fascisme pourtant tant décrié. Mais cette indépendance qu’ils réclament, ils ne vont pas m’obliger à y adhérer ! Si j’aime l’Algérie, je ne dois rien à personne et si je déteste l’Algérie, je ne dois rien à personne non plus. J’ai été insulté gratuitement par des gens qui ont fait des raccourcis. Franchement, aller jusqu’à m’accuser de soutenir un cinquième mandat ! Mais où va-t-on comme ça ?

Avez-vous des contacts directs avec Ferhat ?

Ferhat m’envoie des bonjours, je dirai presque chaque jour. Je garde dans mon portable certains de ses SMS où il me gratifie d’adjectifs comme « Tu es le plus beau », « Tu es le meilleur »… Mais en parallèle, ils savent que leurs desseins sont contrariés par ma position et que je risque d’être victorieux dans la psychologie générale, alors que moi je ne cherche rien. Maintenant, qu’eux veuillent laisser choir l’Algérie pour ne s’en tenir qu’à la Kabylie, je leur dirai : d’un, qui vous a mandatés ? Et de deux, avez-vous un jour consulté les gens, le peuple pour discuter votre projet ? Y a-t-il un cahier des charges fixé ? Pas que je sache, ça s’est toujours limité à «Mass Asselway a dit» et ça s’arrête là. Et quand vous posez une objection, ils vous placent en cible. Mais sont-ils conscients que ces raccourcis qu’ils adoptent pour dénigrer untel ou untel sont très dangereux ? Cela étant, j’aime bien Ferhat l’artiste et je lui reconnais un certain courage.

Revenons à vos projets artistiques, il était question de faire venir avec vous en Algérie Bruel, Le Forestier… Tout serait-il remis en cause avec la tournée restée sans suite ?

C’est l’autre conséquence du fait que les choses n’ont pas fonctionné comme il fallait. Déjà qu’Aznavour, que Dieu ait son âme, n’est plus parmi nous, pour le reste, il y a beaucoup à dire sur ce sujet. Car, certains devaient déjà être avec moi à la Coupole, mais…

Mais quoi ?

Bah ! Ils n’ont pas pu être là pas parce qu’ils ne voulaient pas mais à cause de quiproquos entre les managers de ces artistes français et les interlocuteurs de l’ONDA. Ce fut là d’ailleurs le premier indice qui m’a fait comprendre qu’on n’était pas encore prêts pour le reste. Et je me suis senti gêné devant ces artistes.

Mais c’est quoi exactement ces quiproquos ?

Ça a commencé par une sordide histoire de billets d’avion. Certains devaient décoller de Marseille, on leur a envoyé des départs de Paris et vice versa. C’est une organisation approximative qui a donné lieu à une confusion que j’espère n’a pas été préméditée. Heureusement, j’ai été réconforté, par la suite, par des messages sympas de quasiment tout le monde.

Quels sont les artistes qui étaient normalement partants ?

Concernant Aznavour, il ne pouvait pas, mais je citerai parmi ceux qui ont donné leur OK Maxime Le Forestier, Gérard Le Normand et Patrick Bruel même s’il est dans une posture délicate par rapport aux autres… Bon, l’essentiel n’est pas dans la liste mais dans ces interférences qui ont fait capoter la démarche. Mais pour moi, il ne pouvait y avoir d’autres interlocuteurs que l’ONDA, et j’ai de très bonnes relations avec Bencheikh. Maintenant, si lui est contredit, ce n’est pas de son fait, lui il ne voit aucun inconvénient à ce qu’ils viennent tous, mais quand l’intendance ne suit pas…

Mais au jour d’aujourd’hui, est-ce que le projet tient toujours et est-ce que sa relance est possible ?

Je ne peux franchement rien dire. C’est vrai que personne n’a été tué dans cette affaire, mais quelque chose s’est vraiment cassé. Moi même je ne pourrais pas faire comme si de rien n’était, aller revoir aussi facilement tous ces artistes de renommée mondiale et leur dire : aller venez !

Mais est-ce toute la tournée qui est remise en cause ou juste la venue de ces artistes qui allaient, il est vrai, rajouter un cran à l’évènement ?

Non, pour moi la tournée est maintenue, pourvu qu’on puisse se mettre d’accord et arriver à caser tous les concerts et convenir de dates qui arrangeraient tout le monde. Et comme ça doit se passer en plein air généralement, on sera condamnés à prévoir ça en un moment de l’année où la météo est clémente.

Donc, a priori, ce serait éventuellement pour l’été prochain…

Peut-être. Je l’espère en tous les cas.

On sent bien que votre retour lors des deux concerts de la Coupole vous a laissé comme un goût d’inachevé…

Oui, je l’avoue. J’ai été à Alger et je ne peux pas dire que j’ai été mal accueilli, bien au contraire. Avec le concert en direct à la télé, ils ont entendu ce qu’ils ont entendu. Il y a aussi ce fait que je voulais montrer qu’on pouvait être Kabyle dans d’autres régions du pays qu’en Kabylie et dans la capitale, et qu’on pouvait être Algérien en Kabylie, c’est ce que je voulais, parce que je pense que ce pays mérite qu’on pense à lui de manière artistique et émotionnelle. J’allais peut-être réussir un challenge de communion à travers différentes régions du pays, mais j’ai découvert que tout le monde n’arrivait pas à digérer l’idée.

Et pourquoi donc ?

Eh bien, à défaut de preuves sur tout ce dont on m’a accusé, je serai indulgent envers ces sources du mal et dirai juste qu’elles sont sans doute mues par une jalousie maladive.

Et pour la production, seriez-vous sur le chantier d’un autre album ?

Ce n’est pas le cas et je pense bien que c’est fini pour moi sur ce plan-là. Franchement, il y a déjà la santé et l’âge et puis, avec tout le respect que j’ai envers le large public auquel je suis reconnaissant, pourquoi chanter du moment que rien ne trouve grâce aux yeux de certains ?

Donc plus de nouvel album ?

Non, je ne le pense pas.

Et votre relation avec votre producteur Sony ?

ça ne tient qu’à moi, à tout moment où je voudrais produire…

Avez-vous des textes que vous gardez toujours et qui ne sont pas encore enregistrés ?

Non, parce que l’idée d’arrêter me taraudait depuis un certain temps déjà. Je dirai même que ça remonte à bien avant la sortie du dernier album. Là je suis, comme on dit, en train d’expédier les affaires courantes, et je peux peut-être continuer à faire mon métier, faire des spectacles que ce soit en Algérie ou ici en France, comme je le fais d’habitude, mais pour le reste, je n’y pense plus.

Je conçois mal que quelqu’un me dicte la manière avec laquelle je dois militer, j’ai mes convictions et elles seules me guident. Le militantisme, ce n’est pas au crépuscule de ma vie qu’on me dictera quoi faire. Pour Tamazight, j’ai mené le combat et je continuerai à le mener comme je le conçois moi, selon ma conviction profonde qui n’a rien à voir avec le mercantilisme politique de ces nouveaux héros arrivistes, et je pense tout de même avoir contribué à hisser cette question du mieux que j’ai pu en dépit de ces insultes. Une chose est sûre, je ne rends pas les armes, je continuerai à dire et à faire. Et puis si plus tard l’envie ou le besoin de faire un album me vient, je ne me gênerai pas, je le ferai.

Sinon, Ath Yenni, vous y allez souvent ?

Oui et non. A vrai dire, ma dernière visite au village remonte à janvier dernier lorsque j’ai été voir la chorale des filles qui ont participé aux spectacles de la Coupole. Mais je compte bien y retourner, je pense même à refaire la maison. Je le ferai, ne serait-ce que vis à vis de mes défunts parents. J’aime la Kabylie et j’ai une estime particulière pour nos vieux. Tout le contraire de ces amalgameurs et chevaliers de l’inutile du moment.

Avant de finir, peut-être un mot sur votre fille Thanina, de plus en plus présente avec vous, sur les scènes notamment. C’est votre souhait de la mettre dans le bain ?

C’est à elle de voir. Maintenant, ce n’est pas évident, car même si elle peut chanter en kabyle, elle ne parle pas la langue, si vous voyez ce que je veux dire. Quand on n’a pas été élevé dans une maison en pierres et en argile, couverte de tuiles, ce n’est pas évident de ressentir certaines choses, donc ça ne passerait pas. C’est pour ça que je lui dis : fais ce que bon te semble et laisse faire les choses comme elles viennent. Et je vous concède une information, elle est justement en train de préparer un disque que je trouve vraiment bien mais pas nécessairement en kabyle. Elle a commencé exactement il y a de cela une semaine, elle est à son deuxième titre en maquette et Valérie Michelin lui propose déjà une tentative avec Sony. Maintenant on verra ce que ça va donner.

Mais y retrouvera-t-on la touche d’Idir ?

Forcément, mais c’est ce qu’elle a voulu faire elle.

Y aura-t-il tout de même des chansons en kabyle dans cet album ?

Mais bien sûr.

Donc, même si vous comptez arrêter, vous continuerez à écrire, au moins pour votre fille…

Exact oui, et même pourquoi pas pour d’autres artistes éventuellement ! Il y a encore beaucoup de choses à faire dans la chanson kabyle. On est sclérosés. On se débat dans la gadoue. Car il y a ceux qui font et ceux qui parlent, et malheureusement les premiers ne sont pas nombreux.

Interview réalisée à Paris par Djaffar Chilab.

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