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HISTOIRE - Retour sur la veillée de novembre : Raconte-moi Ath Laâziz !

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Une enrichissante soirée témoignage a été initiée chez les Aït-Laâziz (Bouira) à la veille de l’anniversaire du déclenchement de la guerre de Libération nationale. Les organisateurs, l’association «Iras», ont voulu casser la routine et susciter l’intérêt par le programme concocté à l’occasion. Pour ce faire, ils ont pensé à une veillée à l’ancienne. Du temps où, au clair de la lune, tout le monde se réunissait autour d’un conteur sur les rochers de Tajmaât, pour prendre leur envol dans une atmosphère envoûtante d’aventures où l’imaginaire se mêle au réel. Sauf que là, il s’agit de raconter aux gens la vraie histoire, la leur, celle de leur village, de leurs aïeux.

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Ils se sont donc penchés sur le passé de la région en se référant aux archives et autres vieux documents, en recueillant des témoignages et en consultant des spécialistes… Tout ce qui touche à l’histoire des Aït-Laâziz. Rien n’a été laissé au hasard. Et à côté de cela, l’organisation a été impeccable. Tout a été fait dans la simplicité, mais rien n’a été négligé. Moh Zaknoune, le trésorier de l’association, avait tout prévu : le cadre, le lieu, l’accueil, les photos, le thé, le café, les gâteaux traditionnels, le fameux couscous au poulet des grandes occasions…

Une histoire locale très mouvementée

La soirée a débuté vers 18h30. Djaafar Bouaoud, président de l’association en question, après la présentation de son association, des objectifs pour lesquels elle active et le programme de la soirée, passa la parole à Ahmed Kessouri, chercheur en histoire. Le conférencier, originaire des Aït-Laâziz, est déjà connu pour ses nombreux écrits sur la région. Pendant une heure de temps, il a revisité l’histoire ancienne des Aït-Laâziz, de l’antiquité jusqu’au 1er novembre 54. Méthodique et adepte d’un style simple et clair, il s’est arrêté à chaque événement, chaque lieu et chaque personnage importants.

Il raconte, par exemple, qu’après la seconde guerre mondiale, des professeurs de l’université d’Alger étaient venus à Aït Laâziz et y ont découvert les traces d’une ancienne piste muletière faite de petites pierres plates à la manière romaine, à l’Est du tombeau de Kahl-lssan (Chatbi). Elle reliait le versant nord du Djurdjura (Frikat) à la plaine de Bouira, en passant par Aït-Laâziz. Il rapporte aussi qu’au moyen-âge (la période islamique), les Aït-Laâziz avaient pris part à l’édification de la Kalâa des Béni Hammad (Msila) au 11e siècle. Il nous apprend également que la terre sur laquelle les Turcs ont bâti leur Bordj sur les hauteurs de Bouira, en 1542 (sous Hassan Korso), pour la sécurisation de la région et la collecte des impôts, appartenait aux Aït-Laâziz. Mais, ces derniers, dira le conférencier, comme beaucoup de tribus kabyles, sont demeurés indépendants, ils avaient leurs lois et coutumes ainsi que leur propre organisation sociale et politiqueautour de Tajmaât.

D’ailleurs, ils étaient souvent en conflit avec l’autorité turque, rappelle-t-il. A la fin de cette période, en 1830, les Aït-Laaziz ont traversé la Mitidja avec d’autres tribus kabyles, sous le commandement de Hadj Mohamed Ben Zaamoum (des Maâtkas) et M’Hamed ou-Moussa (des Aït-Lâaziz), pour prendre part à la défense d’Alger devant l’agression française. «Mais le mauvais commandement de Brahim-Agha (gendre du dey Hocine, désigné à la tête de l’armée à la dernière minute), avait tout fait capoter», détaille-t-il. D’ailleurs, les Français se sont emparés facilement de la ville.

Quant à la première apparition des Français sur le territoire des Aït-Laâziz, elle remonte à l’attaque ayant visé les arrières de la colonne expéditionnaire de l’Est, commandée par le général Bugeaud, au lieu-dit «Agbet-Lefrad» près d’Aomar (30 décembre 1842). Les Aït Laâziz avaient également tué le chef d’état-major de l’expédition, le colonel Leblanc, et récupéré des armes. Quelques jours après, pour les châtier, Bugeaud organisa une attaque (11 janvier 1843). Arrivé sur les hauteurs de Bouysenanène, il aperçoit des drapeaux blancs hissés dans tous les villages, les Aït-Laâziz ayant été surpris par l’ampleur de l’attaque. Le général Bugeaud exigea alors la remise de cinq chefs des leurs comme otages, 600 fusils et 6 000 Boudjous d’amende pour se retirer.

L’orateur rappelle aussi que l’Emir Abdelkader s’est déjà rendu dans la région. C’était en 1846. Il y désigna Ahmed-Ben-Salem comme son calife. Après un séjour de quinze jours, passés sur la colline de Sidi-Messaoud, chez les Aït-Laâziz, l’Emir quitta les lieux le 5 mars 1846 pour se diriger vers l’Ouest. Selon l’intervenant, le plus grand combat qui s’est déroulé sur le sol des Aït-Laâziz à ce moment-là, c’était celui dirigé par Mohamed Bouaoud dans la montagne, le 11 novembre 1845. En 1846, les Français se sont installés à Bouira et ont désigné Si-Bouzid Ben Ahmed comme Caïd de toute la région.

Le conférencier reviendra aussi sur l’insurrection de 1871 à laquelle les Aït-Laâziz ont activement pris part. Un grand combat a eu lieu d’ailleurs chez eux, plus précisément sur les hauteurs d’Ighil-Boumourène le 28 avril de cette même année, lors de laquelle 300 combattants kabyles périront. Les chefs des Aït-Laâziz à cette époque répondaient aux noms de Talhi, Said Oubelkacem, Arab Oubelkacem. L’intervenant fait un bond dans le temps et reviendra que l’apparition du PPA à Bouira, après la seconde guerre mondiale. Il raconte que des éléments des Aït-Laâziz avaient participé à la création de sa première cellule dans un petit local en ville, situé dans l’ancienne rue de France. Pour résumer, enfin, le conférencier rappellera que le 1er novembre n’est pas tombé du ciel, mais fut un long processus de luttes et de militantisme ayant conduit au déclenchement de la révolution en 1954.

Une grande figure de la résistance dans la région

Djaafar Bouaoud reprendra la parole pour donner des détails sur l’insurrection de Mohamed Bouaoud. Cette grande figure de la résistance, hélas méconnue, avait mené une grande lutte contre le colonialisme. Bouaoud a même combattu aux cotés de Boumaâza, dans l’ouest du pays, puis dans la Mitidja, avec Ben-Salem et l’Émir-Abdelkader, avant d’entreprendre sa propre insurrection en 1845 chez les Aït-Laâziz et l’étendre sur une grande partie de la Kabylie et Jijel, jusqu’à sa mort dans un combat à Béni-Menacer. Et pour appuyer ses propos, Djaafar Bouaoud mettra à la disposition des présents des documents sur le sujet. Un débat riche et très animé clôtura cette première partie de la soirée.

Une réconciliation symbolique

Après le dîner, Saïd Bouzid des Aït Hmidane et Rabah Berkane de Aïn Turk, deux anciens Moudjahidine de deux tendances révolutionnaires différentes, se sont retrouvés et ont livré leurs témoignages. Le premier est un ancien condamné à mort du FLN/ALN sauvé in extremis de l’exécution à la faveur de la signature des accords d’Évian. L’autre est un ancien militant du PPA, puis du MNA, qui est demeuré fidèle à Messali Hadj. Saïd Bouzid, 84 ans mais paraissant beaucoup moins, raconte d’abord ses premiers pas dans l’engagement révolutionnaire : «J’étais adolescent et mon père se moquait de moi… ‘’De quel nationalisme parles-tu ? me disait-il, occupe toi plutôt de tes chèvres’’. Un jour, je l’ai dénoncé et l’ALN débarqua chez nous. Mon père a eu la peur de sa vie. Depuis, j’ai eu la paix…».

Il a raconté aussi, non sans une pointe d’humour, son activité pendant la révolution, son arrestation, son procès, sa condamnation à mort et les interrogatoires qu’il a subis par les Français. Un peu diminué physiquement mais la mémoire vive, Ammi Rabah, lui, n’a pas eu beaucoup de chance. Il a rejoint lui aussi la lutte très jeune, a milité et fait un travail de liaison. Il a côtoyé de grands noms de la révolution, comme le colonel Mohammedi Saïd et Gherbi Guemraoui, qui est tombé d’ailleurs au champ d’honneur en sa présence en 1955. L’un reconnu et décoré, l’autre oublié, nos deux Moudjahidine ont tenu à être là ce soir-là pour revenir ensemble sur leurs deux parcours individuels différents mais de même lutte.

C’étaient aussi de belles retrouvailles entre anciens combattants qui ont rappelé leurs souvenirs communs, en appelant à une «réconciliation générale entre toutes les tendances du mouvement national et toutes les sensibilités politiques d’aujourd’hui, pour la construction d’une nation forte et développée». Saïd Bouzid ironisera : «C’est Gamal Abdenacer et sa Ligue arabe qui nous ont éloignés l’un de l’autre». Pour terminer en beauté, un poète originaire d’Agouni-Gueghrane a agrémenté l’assistance de belles déclamations. Enfin, peu avant minuit, tout le monde s’était dirigée vers le siège de l’APC pour assister à la levée des couleurs.

Contribution de Hamid Belarbi.

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