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La place de la religion dans le nouvel ordre politique : La voie étroite d’un renouveau citoyen

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A trois mois des législatives algériennes, un indicible remue-ménage et un inédit flottement caractérisent la vie politique du pays. C’est, en effet, à la veille de ce scrutin que de nouvelles formations politiques sont agréées et des congrès constitutifs sont tenus. Vingt ans après les fatidiques élections de décembre 1991 qui ont vie l’aile radicale de l’islamisme arriver aux portes du pouvoir, la leçon ne semble pas être complètement tirée des errements qui ont permis une telle mésaventure.

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Pour certains observateurs, l’on risque de revenir à la case de départ avec l’éventualité d’une défection des démocrates et d’une probable abstention des électeurs. Les islamistes semblent se préparer autrement, c’est-à-dire en essayant de créer une alliance bénie par des personnalités religieuses des Ulémas algériens et d’autres personnalités au charisme supposé porteur.

En tout cas, le débat politique et la gestion de la Cité semblent ne pas acquérir encore la maturité nécessaire et les moyens de se soustraire à la donne religieuse. C’est aussi un problème profondément lié au niveau culturel, au degré d’alphabétisation et à la maturation des luttes sociales.

A l’échelle régionale, la majorité des analyses se rapportant aux révoltes et révolutions populaires ayant eu lieu depuis le début de l’année 2011 sous le nom générique et flatteur de « Printemps arabe » marginalisent, et parfois excluent carrément, la part de la mouvance islamiste dans ces mouvements, alors que l’un des ‘’croque-mitaines’’ des dictateurs régnant depuis des décennies sur les pays concernés était le danger islamiste. De ce fait, ces tyrans, se présentaient comme le seul rempart contre les tentations théocratiques qui travaillent la société et la classe politique. Sans doute, la réalité de la fin du danger intégriste devrait être nuancée. Juste après la chute de certains dictateurs arabes, la résurgence de cette mouvance, comme en Tunis et en Egypte, ne fait plus mystère, vu qu’elle est passée aux commandes de l’appareil parlementaire. Les résultats des législatives marocaines n’ont pas dérogé à ce vent d’ « islamisation » rampante.

Il y a quelques mois, des actes graves destinés à signaler solennellement la force du courant intégriste ont été commis contre des synagogues à Tunis et contre des églises au Caire. Les choses semblent plus ‘’claires’’ au Yémen. Le président Ali Abdallah Salah, ayant abandonné le pouvoir après des massacres commis sur les populations civiles, le courant islamiste se signale par ses organisations armées liées à un vieux système tribal. L’un des idéologues attitrés de cette mouvance au Yémen est fort connu en Algérie puisqu’il a longtemps officié à la télévision algérienne. Il s’agit, comme on le devine de Cheikh Zendani qui ‘’crevait’’ l’écran de l’ENTV, pendant les années quatre-vingt du siècle dernier, par ses prêches enflammés et ses ‘’leçons de choses’’ aussi vénéneuses que subversives.

Un pays malade de sa religion

Ce que vivra l’Algérie quelques années plus tard comme subversion terroriste alimentée par des contingents de jeunes ‘’décérébrés’’ est grandement nourri par cette période de faste rentier où l’Algérie officielle avait ouvert ses portes à tous les charlatans religieux, dussent-ils venir de l’autre bout du monde et interdits dans leurs propres pays. La chute aux enfers de l’école algérienne a constitué elle-aussi un des fertiles viviers de l’extrémisme religieux et du repli identitaire.

Lorsque, au début des années 1990, le destin sécuritaire et politique de l’Algérie allait prendre un virage fatal, l’intellectuel Mostefa Lacheraf traitera dans la presse des aspects politiques, sociologiques et historiques de la société algérienne qui ont permis de telles dérives. Il intitulera une de ses études par une assertion qui a valeur de diagnostic : ‘’un pays malade de sa religion’’. En effet, les déviations du mode de gouvernement, les errements économiques permis par la rente pétrolière, les injustices sociales et le sous-développement culturel, bref, toute cette ‘’mixture’’ prête à un emploi détonnant a pu avoir des expressions, des prolongements, des réactions intimement liés à la religion ; à tel point que la religion, éloignée de son existence intrinsèque et autonome (comme spiritualité en soi) a pu prendre la forme quasi exclusive d’une position ou d’une réaction à un ordre politique ou économique donné. En tout cas, depuis le début des années de feu et de sang qui ont marqué l’histoire contemporaine de l’Algérie, l’islam est vécu par de larges franges de la société moins comme spiritualité couronnant et parachevant une existence matérielle ou physique que comme un faire-valoir, une Némésis sociale et, in fine, un formalisme soumis à tous les aléas porteurs de multiples déviations, d’écarts et d’interprétations fantaisistes.

La faillite des idéologies qui ont soutenu les systèmes totalitaires, d’une part, et, d’autre part, l’arrogance du grand capital, deux processus d’évolution sociale des temps modernes qui ont laissé peu de place pour le rôle des structures familiales et qui ont induit un délitement irrémédiable de toutes les solidarités traditionnelles (par l’accélération de la rupture de l’ordre tribal, l’encouragement de l’exode rural, l’urbanisation incontrôlée et la consécration du salariat comme unique mode d’acquisition de revenus), ont contribué grandement au processus de délitement culturel et de la régression touchant les valeurs fondamentales de l’individu. Le cas de l’Algérie et de la plupart des pays du tiers-monde ayant subi une sauvage colonisation présente cette spécificité de voir les valeurs culturelles du pays dévoyées et devenir objet de dérision et de complexe. Le complexe du colonisé profondément examiné par Ibn Khaldoun- selon le contexte de l’époque- et revisité par l’intellectuel tunisien Albert Memmi, a indéniablement entraîné des replis identitaires ravageurs qui font miroiter une sorte de ‘’bonheur utérin’’ à retrouver le paradis perdu et à le reconquérir par le retour aux mythiques origines où régnaient ‘’justice, pureté et béatitude’’. La perte des repères culturels et sociaux s’accentua avec les indépendances où les désenchantements et les désillusions n’ont d’égal que l’espoir d’un bonheur messianique entretenu par la lutte contre les forces d’occupation.

Le tremplin idéal

À l’échelle du pays, l’exaltation de la bigoterie et l’exercice du prosélytisme à tout va ont trouvé dans l’orientation rentière de l’économie et dans la gestion chaotique des affaires publiques le tremplin idéal.

Ayant perdu les repères culturels qui font l’authenticité algérienne, la nouvelle génération se trouve, à son corps défendant, coincée entre une modernité mal assumée- où seuls les ersatz du développement lui sont accessibles- et une tradition qui s’effiloche à vue d’œil et qui, par une dérive sémantique, prend le nom de ‘’salafia’’.

Au lendemain de l’Indépendance, le déficit de la conscience culturelle au sein des structures de la révolution a trouvé son prolongement dans le nouvel État indépendant. En place et lieu d’une politique culturelle solide qui s’appuierait sur la promotion de l’école, de l’industrie cinématographique, de l’encouragement du théâtre, de la culture musicale et muséale, du livre et de la lecture, l’on a eu droit à une démagogie populiste faite d’une mixture de socialisme de caserne et de bâthisme. Le vide culturel qui s’est greffé à une situation dramatique d’analphabétisme héritée de la colonisation ont crée une si parfaite et morbide connexion avec la gestion clientéliste de la rente pétrolière que même le simple bon sens populaire et les vieilles valeurs de moralité et de probité ont fini par être discrédités et mis au rebut.

Dans son ouvrage intitulé Vocation de l’Islam, publié aux éditions du Seuil en 1957, Malek Bennabi écrit : « Une civilisation trouve son équilibre entre le spirituel et le quantitatif, entre la finalité et la causalité. Aussitôt que l’équilibre est rompu dans un sens ou dans l’autre, c’est la chute verticale. La civilisation musulmane perdit son équilibre au moment où elle n’observa plus ce juste rapport entre la science et la conscience, entre les données matérielles et l’ordre spirituel : elle sombra dans la pure anarchie métaphysique, dans le chaos maraboutique, qui ont fait sa décadence ».

Les avatars d’une recherche boiteuse de la modernité ne manquent pas de révéler des relents d’une impuissance qui trouve ses origines dans une gouvernance qui n’arrive pas encore à se départir définitivement des réflexes de l’unicité de penser et d’être, et qui peine également à se désengluer d’une gestion rentière de la société ; deux phénomènes qui, par une dangereuse et mortelle imbrication, ont installé depuis plus de quatre décennies régression sociale, désordre économique et atonie culturelle.

L’un des outils les plus insidieusement puissants de cette mise sous scellés des aspirations de la société à un développement harmonieux qui puisse concilier authenticité et exigences de la modernité c’est assurément l’usage qui est fait de la religion. La vision et la pratique d’un islam serein et tolérant tel qu’il était vécu par nos ancêtres ont été fondamentalement chamboulées au profit d’une ‘’solution labellisée’’ importée d’autres horizons et d’autres époques. Ce qui a donné les résultats que l’on connaît : une montée en puissance du fondamentalisme politiquement structuré et qui a tenté de saper les fondements de la république sociale et démocratique dont l’orientation a été annoncée par la révolution de novembre 1954; une régression culturelle dont le moteur principal se trouve être le ravalement des programmes scolaires et universitaires ; des visions et pratiques d’un autre âge instillées dans le corps de la société au cours des quinze dernières années.

Polémiques, fitnas et climat d’inquisition

En 2009, une polémique éclata suite à la ‘’résurgence’’ presque inattendue de la zaouia allaouia de Mostaganem. Après qu’elle fût muselée depuis le règne de Boumediene (son cheikh fut emprisonné à Jijel), elle est revenue en grandes pompes avec un séminaire international sur le soufisme qui réunit près de 6 000 participants. Ce rendez-vous studieux- suivi d’un livre de l’actuel cheikh de la zaouia, Khaled Bentounès, et de déclarations de ce même responsable à propos du port du hidjab- a allumé une certaine ‘’fitna’’ dans les milieux conservateurs/islamistes et dans certaines rédactions de journaux rappelant quelques moments tristes d’intolérance et d’inquisition qu’a connus notre pays dans un passé pas très lointain.

Sur un autre plan, les péripéties et les rebondissements cycliques des événements ayant eu lieu au cours de l’année 2008 dans la vallée du M’Zab, principalement à Beriane, devraient interpeller les élites et les franges les plus éclairées du pouvoir politique quant aux animosités et frictions persistantes entre deux communautés religieuses- ibadite et malékite- que, pourtant, tout aurait dû réunir dans cette belle et rude vallée du M’zab. Des apprentis-sorciers jouent assurément avec le sentiment religieux de la population. Ce jeu dangereux n’a apparemment pas été appréhendé dans toute sa dimension par les pouvoirs publics puisque, dans les cercles officiels, l’on parle parfois de conflit entre deux communautés, d’un mouvement de jeunes qui a débordé…etc. Lors d’un forum organisé par le journal ‘’El Khabar’’ en 2009 avec des membres représentatifs de la communauté mozabite, ces derniers ont soulevé un problème logique et inattendu à la fois : ils réclament au ministère de l’Éducation nationale l’introduction de l’enseignement du rite ibadite à l’école publique ; une revendication qui rejoint réellement les multiples aspirations démocratiques de la société où le droit à la différence est censé participer aussi à l’unité de la Nation dans sa diversité.

L’inculture dominante, les manipulations de tous bords et les intérêts rentiers liés à l’exercice du pouvoir ont, par une infernale logique, secrété leurs terribles Torquemada. Néanmoins, pour avoir trop joué avec la ‘’cartographie’’ religieuse et/ou ethnique, certains idéologues ont tout simplement été à l’origine de l’embrasement de leur pays. Le Rwanda, le Nigeria et le Liban sont les tristes exemples de la deuxième moitié du 20e siècle, sans parler des guerres intestines en Irak qui ont fait ‘’durer le plaisir’’ des Américains et donné consistance à leurs infinie convoitise et vorace appétit.

Quel ne fut l’adhésion de l’élite du pays lorsque le président Bouteflika, aux premières années de son règne, fit revivre une convivialité que l’on croyait enterrée pour de bon où Saint-Augustin et les Juifs d’Algérie avaient, momentanément il est vrai, repris droit de cité dans une patrie qui fut la leur. Le climat qui prévalait à l’époque avait même intégré cet effort de réappropriation de certains pans de notre histoire dans la grande réconciliation nationale prônée par le président. C’est ainsi que Hadj Messali, Ferhat Abbas et d’autres figures de l’histoire nationale firent leur réapparition et de leurs noms furent baptisés des rues, des places ou des aéroports. De même que fut levé le tabou qui a pesé pendant des décennies sur l’usage de la langue française en Algérie.

Après l’ouverture de telles brèches, la société ne comprend plus comment on a pu installer un autre climat d’inquisition depuis le début des années 2000. Des campagnes médiatiques ou provenant de certains officiels à échéances presque régulières ont visé ce qui est exagérément appelé les ‘’campagnes d’évangélisation’’ ciblant la jeunesse de notre pays.

Un cadre de connaissances à subvertir

La régression culturelle qui a rendu possible une appréhension peu saine du fait religieux en Algérie est une donnée patente qui a pris racine dans la société au moins depuis les deux dernières décennies. Parlant de l’enseignement universitaire en Algérie, l’islamologue algérien Mohamed Arkoun constate que « l’arabisation qui a été très poussée par exemple en Algérie a abouti à une coupure de nos étudiants par rapport à toutes les publications qui se font dans les langues européennes. Si un étudiant algérien veut s’informer sur l’état actuel de l’anthropologie, il doit connaître l’anglais, le français, l’allemand, éventuellement l’italien et l’espagnol, parce que dans la bibliothèque en langue arabe, il n’y a rien à cet égard » (El Watan du 18 novembre 1992).

Dans ces ouvrages relatifs à la pensée islamique, M.Arkoun a essayé de confronter les faits et les idées de l’histoire religieuse aux données actuelles des sciences sociales et humaines (anthropologie, sociologie, économie, psychosociologie, …). L’appréhension de l’Islam fondée uniquement sur la Révélation coranique et l’enseignement du Prophète nous remet, du point de vue de la psychologie de la connaissance, dans le contexte de la connaissance mythique « L’histoire que nous sommes en train de vivre crée une nouvelle situation pour toutes les cultures du monde », affirme-t-il dans un entretien avec le journal ‘’Réalités-Tunisie’’ d’octobre 2005, en ajoutant : « Si l’Islam veut s’inscrire dans cette nouvelle histoire, il faut absolument qu’il bouleverse et subvertisse intellectuellement et scientifiquement tout le cadre traditionnel hérité du passé (…) L’histoire que nous vivons est une histoire de rupture totale non seulement avec les passés des religions, mais aussi avec la modernité. On n’est plus dans la modernité en marche conquérante et innovante sur laquelle nous avons vécu jusqu’au 11 septembre 2001. Le 11 septembre est une date-repère. C’est un fracas considérable à la fois pour une prise de conscience qui n’a pas eu lieu, côté musulman, mais qui n’a pas eu lieu, non plus, en Occident ».

En intervenant dans les débats publics, Mohamed Arkoun, né en 1928 à Ath Yanni, agrégé d’arabe et professeur d’islamologie, apporte un autre ‘’son de cloche’’ par rapport à l’unanimisme ravageur et médiocre qui prévaut dans le domaine de la réflexion sur l’islam en ces temps pleins d’incertitudes. La cohabitation de l’islam avec les autres cultures et religions se pose avec acuité. « C’est en Algérie que la révolution ‘’socialiste’’ a fait les ravages les plus étendus en détruisant les bases terriennes, agricoles de la culture paysanne et les cadres de la connaissance et de la vie urbaine, déjà fortement perturbés durant la période coloniale. C’est là qu’il faut saisir la naissance et la propagation d’un phénomène socioculturel général à toutes les sociétés du tiers-monde après les indépendances : le populisme dévastateur des villes et des campagnes, de la culture populaire et des cultures savantes, des solidarités traditionnelles et des codes ethnico-religieux régulateurs à tous les niveaux de l’existence des groupes. L’expression actuelle de ce que les acteurs sociaux appellent ‘’l’Islam’’ est, en fait, un discours populiste qui atteste, dans sa forme linguistique, dans ses contenus imaginaires et mythologiques, dans les conduites véhémentes, incohérentes qu’il inspire, la pulvérisation des cadres sociaux, des codes de l’honneur, des registres sémantiques, des lexiques réglés, des calendriers, des rituels, des célébrations, des liens de parenté ou de proximité sociale. Bref, de tout ce qui conférait un ethos, un visage, une cohésion, une mémoire et un sens de l’avenir à la société », écrira-t-il dans ‘’Le Monde diplomatique’’ de mars 1992.

Désuète casuistique

Dans la situation d’atonie culturelle comme celle qui règne dans notre pays, et qui fait que le débat et la confrontation civilisée n’ont pas encore acquis leurs lettres de noblesse pour lancer et faire éclore les grandes idées, il n’était pas étonnant que l’un des forums de l’ENTV auquel était convié le ministre des Affaires religieuses en 2009 débordât sur ce qui est désormais appelé- par machiavélisme politique ou par paresse intellectuelle- ‘’campagne d’évangélisation’’. Ayant commencé à saisir la dimension réelle de ce harcèlement, de larges franges de la jeunesse ont une légitime tendance à assimiler tout ce boucan à une insidieuse entreprise de diversion qui détournerait la jeunesse de ses objectifs de libération et de promotion sociale et qui détournerait aussi les pouvoir publics de leurs responsabilités à l’endroit de la société. Cet abcès de fixation par lequel des journaux remplissent leurs colonnes en période de dèche finit par exaspérer les plus patients des citoyens, rongés qu’ils sont par une régression sociale qui n’admet aucune espèce de coupable diversion, d’inutile coquetterie ou de complexe casuistique. Cette exaspération nous rappelle celle d’un révolutionnaire, membre du Groupe des 22, Mohamed Mechati, qui, en septembre 2005, en arriva à faire publier dans la presse un appel aux intellectuels algériens pour faire aboutir le principe de la séparation du religieux et du politique dans la vie publique nationale.

Cet appel solennel et pathétique tomba au moment où les Algériens étaient invités à se prononcer sur le projet de Charte pour la paix et la réconciliation nationale proposée à l’époque par le président de la République. Ce fut un appel désespéré et empreint de quelque ingénuité du fait qu’il ne s’encombrait pas de vision politicienne. La tonalité respire une profonde sincérité et exprime le cri du cœur d’un nationaliste écœuré et excédé par l’instrumentalisation de la religion à des fins politiques. Il se voulait direct et simple : « Le fait d’ériger l’islam en religion d’État est une aberration, une erreur monumentale qui, pratiquement, assure le droit à celui qui est au pouvoir d’user et d’abuser en bonne conscience. L’islam ne doit pas être la religion de l’État. Il ne peut pas être la religion de l’État », déclarait Mohamed Mechati. Il rappela des faits d’histoire où les trois premiers khalifes de l’Islam ont été assassinés pour des raisons politiques.

Plusieurs textes fondamentaux de l’État algérien, tout en édictant que l’Islam est la religion de l’État, ne cessent de faire prendre garde à l’utilisation de la religion à des fins politiques.

L’interdiction de l’instrumentalisation de la religion, telle qu’elle est édictée par exemple par la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, aurait pu devenir une mesure à la fois juste et historique mais dont la portée et la validité pratique ne seraient assurées que lorsque l’État lui-même aura été libéré de la matrice idéologique qui a rendu possible un exercice de la politique sur des bases religieuses. Cette matrice, on la retrouve dans les programmes scolaires et dans l’usage que fait l’État lui-même de la religion.

Au lieu, comme l’exige la modernité politique, que les acteurs politiques s’affrontent sur l’arène à base de programmes sociaux et économiques, l’on se trouve réduit à jouer à ‘’qui est plus musulman que l’autre ?’’ et ‘’qui est sur la vraie voie de l’islam ?’’. L’Islam étant religion d’État, les organisations politiques en compétition se sentent en droit de proposer, à qui mieux mieux, de prendre en charge un élément fondamental des attributs de l’État.

Comme le constate l’auteur Mohamed Mechati, le ver est dans le fruit. L’argument est mal fondé de vouloir interdire aux autres ce dont nous nous arrogeons le droit d’user et d’abuser. La gestion moderne de l’économie et de la société- que la mondialisation en cours est en train de baliser- proscrit toute forme de traitement et de distinction sur la base de la religion. Le peuple ne devrait pas être pris en tant que magma de croyants mais en tant que citoyens affranchis.

Quant à s’adresser aux intellectuels, comme l’a fait Mechati, pour prendre en charge une noble notion qui a pour nom la laïcité il y a peut-être lieu de rappeler ici le poids négligeable de l’ ‘’intelligentsia’’ algérienne au sein de la société. Des raisons historiques ont fait que cette couche est laminée : les purges de la révolution, la prise du pouvoir dès l’indépendance par une caste et, enfin, la série d’assassinats commis par les intégristes sur la fine fleur de la culture algérienne dans les années 1990.

Le déterminisme historique au rebut

Au début de l’ ‘’ouverture démocratique’’ de 1989, des partis et personnalités se réclamant de la mouvance démocratique avaient lancé le débat sur la laïcité. Mais, c’était compter sans les pesanteurs et les retards historiques qui ont obéré les chances de l’éclosion d’un vrai débat, et surtout sans les manœuvres interlopes qui préparaient le courant intégriste à la gestion des affaires du pays. Il n’en demeure pas moins que, quels que soient les retards et les incompréhensions qui en graveraient le processus, l’avenir de la gestion des affaires publiques et de la promotion de la citoyenneté passera indubitablement par la sécularisation de l’acte et de la conduite politiques

La politique étant, étymologiquement, l’art de gérer la cité il serait sans doute malaisé de trouver des ‘’recettes’’ toutes faites dans les Écritures saintes de toutes les religions pour réussir un tel exercice. Au contraire, des tentatives de fonder la gestion politique d’une cité ou d’un pays sur des bases religieuses ont donné naissance à diverses perversions, à maints anathèmes et différentes guerres.

Les épreuves que sont en train d’endurer les peuples musulmans du Maroc jusqu’en Indonésie relèvent-elles des lois terrestres dictées par le mouvement de l’histoire et les rapports de forces en présence ou seraient-elles une conséquence d’hypothétiques ordonnances célestes ? Cette question posée il y a des années par des politologues et autres analystes au sujet de la ‘’solution islamique’’ proposée aux Algériens après les événements d’octobre 1988 (Laâdi Lahouari, Mohamed Harbi, Mostefa Lacheraf,…) se retrouve encore au cœur des débats charriés par la déception des peuples et la défaite des élites face à l’inexorable marche de l’histoire qui fortifie les forts et se gausse allègrement des faibles.

Les justifications à l’emporte-pièce avancées par les adeptes de la paresse intellectuelle quant au retard historique enregistrés par ces pays- dont pourtant une grande partie est noyée et engluée dans la rente pétrolière- relèvent plus de la mystique que de la rationalité. Ce serait, à leur yeux, la ‘’tiédeur’’ de la foi des musulmans qui les a empêchés de se mettre au diapason du développement mondial ! Il est probable qu’il n’y a pas meilleur argument pour occulter les affres de l’histoire coloniale, l’exploitation des peuples à l’échelle des continents et même les tyrannies actuelles par lesquelles les gouvernants tiennent en laisse leurs peuples. La misère, l’ignorance et le sous-développement ne sont pas le propre des pays musulmans ; ils sont le ‘’destin’’ commun de tous les pays dits du tiers-monde.

Il est regrettable que notre jeunesse ait recours à des prédicateurs demi-clercs trônant sur les plateaux des chaînes de télévisions arabes pour se tracer un chemin et une conduite sur la terre d’Algérie. Une grande partie de l’élite algérienne, capable d’éclairer les jeunes sur les données spirituelles de l’Islam et la manière de les accorder avec une complexe modernité ayant des dimensions mondiales, n’a malheureusement pas pu faire passer son message pour diverses raisons historiques, politiques et même culturelles. En tout cas, la problématique des intellectuels algériens dans leur relation avec la société demeure un sujet complexe et ouvert à toutes sortes de débats et de réflexions

Amar Naït Messaoud

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