Comment dépasser la politique de prestige ?

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Et puis, comme l’a souvent répété le président de la République, Alger, ce n’est pas l’Algérie. Dans l’arrière-pays montagneux et sur les vastes steppes, les populations suivent béatement les programmes des chaînes satellitaires (…) Aucune activité culturelle ou pédagogique notable n’est menée pour leur apprendre que, dans certains cas, leur village est un site historique, les arbres qui surplombent leurs maisons, comme le cèdre et le pin noir, sont des espèces rares et uniques en Afrique du Nord.

Par Amar Naït Messaoud

La manifestation « Tlemcen, capitale de la culture islamique » se termine cette semaine sur un air festif local après avoir fait défiler des délégations étrangères (artistes, écrivains,…), abrité des colloques et fait éditer des livres et des prospectus. Une année d’activité culturelle ciblant une ville du pays, qui aura consommé un budget colossal, ne peut visiblement pas- quels que soient le prestige dont elle est ornée et l’intensité par laquelle elle est menée- étendre son aura et ses bienfaits à l’ensemble des populations ou des régions d’Algérie. Il en a été presque de même, en 2007, avec l’autre manifestation « Alger, capitale de la culture arabe » dont le prestige arboré à l’époque a laissé peu de vestiges dans les mémoires ou dans la dynamique culturelle, atonie culturelle devrions-nous dire, qui a suivi la fin de la fête.

Si les mots pouvaient suppléer aux frustrations de la jeunesse algérienne et combler la vacuité ambiante qui, chaque jour, les pousse un peu plus vers des horizons et des rivages de désespoir, nous serions déjà avec toutes les bruyantes et dispendieuses manifestations culturelles que nous avons connues au cours de ces dernières années (festivals, échanges de semaines culturelles entre wilayas,…) loin de ces abysses dans lesquels toute la communauté a été plongée sans repères ni balises. En effet ce ne sont pas les superlatifs qui manquent pour qualifier les grandes réalisations de l’Algérie ; on a eu affaire au plus grand complexe industriel d’Afrique, au plus important programme de développement depuis l’Indépendance et au plus long viaduc du Maghreb. Les responsables algériens ne sont pas avares en matière de superlatifs, relatifs ou absolus. La manifestation menée pendant douze mois sous le label « Alger, capitale de la culture arabe » a été qualifié de ‘’plus grande manifestation culturelle qu’ait organisée l’Algérie indépendante’’. On remarquera que, d’emblée, une telle assertion a une consonance de déjà-entendu.

Que n’a-t-on pas vanté et porté aux nues le Festival panafricain qui s’est déroulé dans la capitale algérienne à la fin des années soixante et pendant lequel la grande dame de la culture algérienne et kabyle, Taos Amrouche, fut éconduite presque manu militari et interdite de scène. Ce festival a même été élevé au rang d’opération mythique qui n’a pas eu d’antécédent et dont on ne pouvait jamais reproduire l’éclat et le prestige, même si notre pays en accueillit une deuxième édition en 2009. Le mot est lâché ! Le prestige. Tous nos responsables qui ont eu les charges de la gestion des valeurs symboliques et idéologiques de notre pays ont tenu à ce qu’ils marquent de leurs empreintes leur passage dans les hautes sphères de la décision. Certes, dans l’absolu, la préoccupation peut être saine et faire partie d’une passion, d’un idéal et d’un dévouement respectable à une cause, une idée ou un projet qui s’adresserait aux générations montantes et même à la future humanité. Cela est arrivé dans les siècles passés chez les vieilles nations d’Europe et continue à avoir des prolongements dans la vie moderne : le festival de musique de Bayreuth, le Salon du livre de Frankfort, le Festival de Leipzig, la bibliothèque Mitterrand, la nouvelle bibliothèque d’Alexandrie,…etc. Ces manifestations et ces lieux de culture sont non seulement intégrés dans la vie sociale des peuples concernés mais, mieux, ils sont devenus de véritables institutions. Cependant, et malgré le prestige et l’aura dont ils bénéficient, ils ne peuvent remplacer la permanence du fait culturel ni les instituions et les industries culturelles qui lui sont intimement liées.

À première vue- et dans le contexte du désert culturel qui assomme notre pays depuis des lustres-, on ne pourra faire la fine bouche devant aucune initiative qui viendrait secouer et réveiller nos consciences engourdies et notre sensibilité émoussée par la perte des repères élémentaires du sens et de l’esthétique. Néanmoins, force est d’avouer que les différentes manifestations culturelles imposantes organisées presque régulièrement par l’État algérien ne pourront acquérir un sens et faire valoir un quelconque impact que si elles sont conçues comme ébauche et prémices à un réveil culturel de grande ampleur où tous les domaines de la culture seront investis. Et puis, comme l’a souvent répété le président de la République, Alger, ce n’est pas l’Algérie. Dans le fin fond du pays, dans l’arrière-pays montagneux et sur les vastes steppes, les populations suivent béatement les programmes des chaînes satellitaires, s’y projettent et vivent le ‘’bonheur’’ par procuration. Aucune activité culturelle ou pédagogique notable n’est menée pour leur apprendre que, dans certains cas, leur village est un site historique, les arbres qui surplombent leurs maisons, comme le cèdre et le pin noir, sont des espèces rares et uniques en Afrique du Nord. Bref, aucun travail de sensibilisation n’est fait pour faire découvrir aux gens que la vraie culture, ils l’a portent en eux. Il suffit de creuser un peu dans les tréfonds de la mémoire et de mettre en valeur nos propres rythmes pour ouvrir de multiples chantiers conduisant à la redécouverte de soi. Aucune politique de prestige ne saurait, en revanche, y mener.

A. N. M.

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