Le gouffre de Sidi-Aissa Bouzrou sera-t-il exploré un jour?

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A un peu plus de deux kilomètres à l’ouest de Tighilt-Bougueni, se dresse, au sommet de la colline, un monticule de grosses roches grises, posées les unes sur les autres comme si elles tombaient du ciel. 

Ces grosses pierres ressemblent beaucoup à celles du Mont Hira où a été divulgué au prophète Mohamed (QSL), les saints versets du Coran, d’autant plus qu’on y trouve une grotte et un gouffre. Ce lieu, appelé Sidi Aissa Bouzrou, n’est accessible, à partir du chemin communal qui débouche à Tamdikt, sur la RN 68, que par un chemin muletier ou pédestre au milieu d’une dense végétation et en traversant le hameau des « Zaibet”qui fut jadis leur sanctuaire mais que les générations actuelles ignorent. L’endroit est en effet laissé à l’abandon, bien que les vestiges d’une grande maison, tombée en ruines, attestent d’une ancienne activité sociale et familiale. Une tombe y est également visible, ce serait celle du saint Sidi-Aissa ou de son fils, mais personne parmi nos accompagnateurs n’en connaît la vraie histoire.

L’histoire ignorée

De tous les vieux villageois interrogés, aucun n’a été capable de dire quelques mots sur ce personnage. « Nos aïeux n’étaient pas aussi cultivés que maintenant, ils étaient même complètement illettrés. Même de nos jours, si vous prenez n’importe quel citoyen, il ne pourra pas écrire une phrase sur la vie de son grand-père ou même père. Pis, je connais des fils de chouhadas qui courent derrière les avantages et les rentes, sans connaître ne serait-ce que le lieu, la bataille où sont tombés leurs pères, ou quelle arme ils avaient à la main. Et vous venez nous reprocher notre ignorance concernant des choses qui ont eu lieu voilà peut-être des siècles. Ne parlons pas de l’histoire de l’Algérie », nous rétorque ce jeune accompagnateur.

Qui était  Sidi-Aissa 

En consultant plusieurs ouvrages historiques sur la Kabylie, il ne fait aucun doute que ce « Sidi Aissa » est du douar Beni Khelfoune et qu’il s’est réfugié à M’Kira pour échapper aux Turcs. C’est ainsi qu’en 1814, Aomar Agha imposa aux Beni Khelfoune de lui payer, pour les efforts de guerre, un fusil et dix réaux par maison. Les Beni Khalfoune avaient promis tout ce que l’Agha avait voulu, pendant qu’il les menaçait avec sa colonne, mais lorsqu’il se fut éloigné ils changèrent d’avis et refusèrent de s’exécuter; ils étaient poussés en cela par les Flissas, qui avaient promis de les soutenir contre le gouvernement turc.

Une année après, soit en 1815, n’ayant pas de forces suffisantes pour attaquer les Flissas, Aomar Agha se tourna donc, vers les Beni Kalfoune pour leur faire payer les frais de guerre qui leur avait été imposés une année auparavant.

Il  les attaqua par le versant nord de leur montagne pendant que les contingents des Beni Djaoud attaquaient par les Beni Nzar. Les deux troupes firent leur jonction au village d’Ammara, qui était habité par le caïd de la tribu Ali Ben Aïssa. Ce village se défendit bravement, mais il fut néanmoins vaincu et Ali Aïssa fut décapité. Les Beni-Khalfoune déclarèrent alors leur soumission et payèrent la contribution de guerre qui leur avait été imposée. Il est fort probable qu’après le forfait des soldats turcs contre la population des Beni-Khelfoune, le reste de la famille de Ali Ben Aissa avait trouvé refuge à M’Kira où habitaient les familles de Hadj  Allel, si Ahmed ou Saadi et beaucoup plus nombreuse et puissante celle des Ben Zamoum .

Le sanctuaire 

Devenu un véritable sanctuaire pour, notamment les femmes de nombreux villages de M’Kira, elles lui rendaient visites lors des fêtes religieuses ou emmenaient leurs enfants malades pour les guérir. « Bien après notre indépendance, les médecins étaient rares en Kabylie. Le premier à s’installer à M’Kira fut le docteur Rachid  Asselah. Lorsqu’on retourne jusqu’en 1700, 1800 et 1900, il n’y avait que les guérisseurs et ceux qui avaient la baraka de Dieu pour les guérir », nous déclare Hamid, l’un de nos accompagnateurs. On n’hésitait, en effet pas à faire venir un bébé ou un enfant, atteints de maladies graves, et de les faire passer sept fois par-dessus et par-dessous une grosse pierre, soutenue par deux autres, l’ensemble formant une voûte. Comme dans tous les sanctuaires, les visiteurs venaient avec l’espoir de trouver un réconfort et une solution aux soucis qui ne manquaient pas en ce temps, où l’ignorance, la misère, le mal-vivre  se disputaient aux maladies  et autres calamités. Ce lieu a été complètement déserté à partir de la fin des années soixante, alors que juste après l’indépendance, deux pièces ont été réhabilitées, d’autant plus que pendant la révolution, juste après la fin de l’opération « Jumelles », l’armée française, par le biais d’un groupe de harkis, y avait installé un camp d’où ils pouvaient surveiller à des dizaines de kilomètres à la ronde, du fait que c’est une crête qui se trouve à plus de 600 mètres d’altitude . En effet, du haut de ce monticule, on peut voir au Sud, non seulement toute la basse M’Kira mais également le douar Beni Khelfoun, et si ce n’est la chaîne montagneuse, la vue s’étendra bien au-delà. A l’est, la ville de Boumerdès, toute blanche, bordée par la mer semble plus proche et la ville de Thénia semble être à un jet de pierres. Au Nord, Timezrit, plus haute, couvre la vue. Son mausolée se confond maintenant avec les roulottes du campement de l’ANP alors qu’à l’Est, le panorama est aussi féerique avec comme tableau de fond la montagne du Djurdjura.

La réunion de 1955

Assis à l’extérieur du café située un peu plus bas, appelé « Harchaou », Aami Ahmed, octogénaire analphabète, ne s’était jamais interrogé sur les origines de « Sidi Aissa Bouzrou » :

« Je sais simplement que lorsque j’étais enfant, j’accompagnais ma pauvre mère qui déposait une maigre offrande pour avoir la baraka mais je n’y voyais que des femmes, les hommes n’y allaient jamais sauf peut être en de rares occasions », nous avoue notre interlocuteur, qui n’hésitera pas à nous parler d’un événement qui reste vivace dans la mémoire des vieux de M’Kira mais que les jeunes ignorent. Il s’agit des manifestations de 1955. « La dernière fois où je suis monté à Sidi Aissa, c’était au mois de septembre ou octobre de l’année 1955. Quelques jours auparavant, des bruits avaient couru que des armes allaient être distribuées à Bou Gaoua, qui se trouve, je crois, derrière Timezrit. Ce jour-là tous les villageois, hommes, femmes et enfants, sont sortis sur les chemins en criant : « Sou Ghalzim ig Dhalbala magar thed Avou Gaoua ! » (Avec pioche et pelle, rendez-vous à Bou Gaoua ! ». Les gens marchaient, sans savoir où aller puis revenaient en sens inverse jusqu’au moment où apparurent, dans le ciel, deux avions qui tirèrent quelques rafales sur la foule. Tout le monde s’était mis alors à courir dans toutes les directions. Trois martyrs sont tombés ce jour-là et on dénombra plusieurs blessés. Le soir, les hommes furent conviés à une réunion avec les moudjahidines à « Sidi-Aissa Bouzrou ». Je me souviens que les maquisards venaient d’Aït Khelfoune et celui qui avait parlé était un arabe Il nous avait expliqué que ces manifestations n’étaient pas initiées par eux mais par des traîtres à la solde des Français. Ne prenant pas garde, ceux qui étaient déjà armés, mais inconnus jusqu’à ce jour-là se sont fait découvrir en sortant au grand jour avec les manifestants. Il ajouta avant de partir, que, dorénavant, seule l’ALN décidera des actions à mener », conclut Aami Ahmed que tout le groupe remercia pour ce petit cours d’histoire locale. 

Le gouffre 

L’existence de ce gouffre n’a pas cessé de faire couler beaucoup de salive depuis des lustres, mais rares sont les personnes qui ont pu percer le mystère. Certaines personnes ont dit y être descendus à quelques mètres et qu’elles y avaient trouvé de l’eau et des roseaux, ni plus ni moins. D’autres en revanche soutiennent que ce grand orifice déboucherait au village Imaandène qui se trouve sur la colline opposée. Comme ce travail d’exploration exige non seulement un matériel adéquat et des spécialistes, tels les spéléologues, il reste aux associations et aux autorités de la localité de M’Kira de lever le voile sur le secret de ce lieu.

   

Essaid Mouas  

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