Misère en haute montagne

Partager

Aït Ali, un village de l’Aarch d’Aït Kouffi relevant de la commune de Boghni, au Sud du chef-lieu de la wilaya de Tizi Ouzou, manque de tout.

Dans cette bourgade totalisant plus de 1000 habitants, le dénuement est criant. C’est à croire que ce village n’est pas encore libéré du joug du colonialisme français. 52 ans après l’indépendance, ce hameau attend toujours de bénéficier, à l’instar de tous les autres villages, des commodités les plus élémentaires. Pour rejoindre Aït Ali à partir du chef-lieu communal de Boghni, il n’y a guerre le choix, il faut prendre la route desservant Aït Mendès et Aït Kouffi, la montée est bien entendu inévitable. En compagnie du vice président du comité dudit village et d’un autre villageois, et à bord d’une Peugeot 504, on entame ce voyage de 12 kilomètres, une distance que l’on peut parcourir en un quart d’heure, mais, là nous avons mis 45 longues minutes. En sortant de Boghni, il faut bifurquer à droite au niveau du carrefour tout près du lycée, le chemin est jusque là en bon état. Plus on avance, il se rétrécie. Les abords sont jonchés de déchets et de détritus, c’est dire que l’environnement ne va pas bien dans cette région sise au beau milieu du parc national du Djurdjura. La voiture commence déjà à ralentir à partir du lieu-dit Larba, et la montée devient de plus en plus raide. Les virages sont serrés et nombreux, notre chauffeur est sommé de klaxonner avant d’amorcer un virage, car l’étroitesse de la chaussée risque de provoquer une collision avec les véhicules venant en sens inverse. Par ici, le décor est paradisiaque, la nature est généreuse. Les forêts de chênes, d’olivier, les broussailles, les collines et les falaises offrent un décor féérique. A partir du village Ighzer Nechbel, c’est le chaos. La première vitesse est imposée, la route devient subitement une piste rocailleuse. La voiture sautille, secousse et trouve des difficultés à rouler sur ce chemin creusé dans la roche dans les années 1930. Nous avons marqué un arrêt pour nous voir la dégradation et la dangerosité de ce chemin aux ravins vertigineux. A la moindre fausse manœuvre, le véhicule peut se retrouver au bas de la falaise et il n’y aura aucune chance de survie. De quoi donner des sueurs froides !

Un café maure, une épicerie et… c’est tout !

En arrivant à Tinzart, une source naturelle importante qui jaillit de la roche, les lieux sont pittoresques. Cette source alimentait autre fois la station hydroélectrique d’Ighzer Nechbel, qui produisait de l’électricité mais qui est, aujourd’hui, à l’arrêt. Cet endroit, où la fraîcheur est présente à longueur de l’année, aurait pu être viabilisé pour attirer les touristes en quête de beauté de calme et de nature vierge et à l’état sauvage, mais, hélas, rien n’est fait. A quelques centaines de mètres de là on arrive au village après 45 minutes de route. Le constat est lamentable. Dans ce village comptant 1000 habitants, on ne recense qu’un petit café maure et une épicerie des plus modestes. «Nous n’avons que ce café pour nous retrouver et passer nos longues journées creuses à jouer aux dominos et aux cartes», dira un jeune villageois. Un autre enchaînera dans le même ordre d’idée : «sous des cieux plus clément, un village de 1000 habitants est automatiquement doté de toutes les commodités. Une maison de jeunes, une aire de jeux, un cybercafé et tout le reste. Chez nous et comme vous pouvez le constater, nous continuons de vivre comme au temps de la France coloniale. Par ici, les bienfaits de l’indépendance ne sont pas encore passés. On nous a oubliés, pourtant cette région a été le bastion de la révolution et le refuge des combattants de l’ALN».

Une « presque » salle de soins quand même

Dans ce village perdu au beau milieu de la montagne, il n’existe qu’une petite école primaire qui accueille environ 70 élèves, tous du village. Les collégiens et les lycéens sont toujours obligés de rejoindre le chef-lieu communal de Boghni pour poursuivre leur scolarité. Le ramassage scolaire est toujours perturbé car les véhicules de l’APC tombent souvent en panne. Du coup, les adolescents sont sommés de prendre le transport privé. «Nos collégiens et lycéens poursuivent leur scolarité à Boghni. Le ramassage scolaire n’est assuré qu’occasionnellement, car le bus tombe souvent en panne. Le transport coûte trop cher. Les élèves doivent payer 50 DA à l’aller et 50 DA au retour. Les écoliers issus de familles modestes font la moitié du chemin à pied, jusqu’au village voisin D’Ighzer Nechbel pour économiser 40 DA en aller et retour», dira un autre membre du comité de village. Pour ce qui est de la salle de soins, un simple local tenu par un infirmier du village, elle se trouve dans un état lamentable. Le local est délabré les fenêtres sont cassées et la conduite d’eau l’alimentant est vétuste. Les sédiments de calcaire sur les murs en disent long sur la vétusté de la salle. « Les moyens dont dispose l’infirmier sont rudimentaires (Alcool, pansements, compresses et produits de désinfection), et les soins prodigués sont élémentaires. « Les services de la santé peuvent au moins nous envoyer, de temps à autre, un médecin et un dentiste pour consulter les habitants », demandera un villageois. Concernant le côté culturel, un local a été construit par l’APC mais il n’a pas été équipé et aucun gardien n’y a été affecté. La dégradation et le vandalisme ont provoqué sa mise à mort. Par ici, aucun bureau de poste et aucune antenne administrative ne sont disponibles, il faut toujours se rendre à Boghni pour toute opération postale ou tout papier administratif.

L’eau rationnée, été comme hiver

Dans ce village, la seule satisfaction vient du réseau électrique qui est presque généralisé. Il n’y a que les nouvelles habitations qui ne sont pas encore raccordées. Le réseau de l’AEP est vétuste et en acier. Le seul château d’eau, alimentant le village, est fissuré et de faible capacité nous précise-t-on. La distribution de l’eau est rationnée hiver comme été. Le PEHD n’a pas le droit de cité dans ce bourg. Le réseau du gaz naturel, bien qu’inscrit, n’est pas encore en cours de réalisation, pourtant, nous dit-on, l’entreprise retenue a reçu l’ordre de service, mais elle ne daigne pas entamer le chantier. «Par ici, les hivers sont très rigoureux, et la neige est toujours présente. Lors des dernières intempéries de février 2012, nous sommes restés isolés pendant un mois. Personne n’a pu sortir du village. Pour nous chauffer, il fallait abattre des arbres. Les autorités sont donc interpellées en vue de faire le nécessaire pour démarrer le chantier du gaz naturel», réclame-t-on. Côté assainissement, c’est un désastre écologique. Le réseau, réalisé à la fin des années 80, est devenu vétuste par la force du temps et du manque d’entretien. Les eaux usées coulent à ciel ouvert en plusieurs endroits, à l’image de Tansawt, Tala Bwada et Ath Tarmoul. Dans ces lieux, l’air est irrespirable, les odeurs sont nauséabondes et la pestilence sévit. Les oliveraies sont menacées par une pollution certaine. L’entreprise engagée pour effectuer les travaux de réparation tarde à faire son travail. Pour terminer, force est de reconnaître que, dans ce village, les manques sont nombreux. Le quotidien des habitants est très difficile. D’ailleurs, les plus aisés optent pour l’exode. Les responsables compétents sont appelés à faire le nécessaire pour viabiliser davantage ce village de haute montagne.

Hocine T

Partager