Une féerie de la nature

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Dès sa sortie de la périphérie de la ville de Bouira, l'autoroute Est-Ouest s'enfonce dans la grande pinède qui s'étale langoureusement sur les montagnes des Bibans, traversant les régions de Sebkha, Beni Mansour et Ouannougha, puis traçant son passage dans les Portes de Fer et déviant vers le nord, laissant les villes d'El M'hir et Mansourah au sud.

L’autoroute ne rejoint l’ancienne route nationale n°5 qu’à Al Achir, soit 11 km avant la ville de Bordj Bou Arréridj. À ce niveau, l’autoroute contourne BBA par le nord pour poursuivre son tracé vers Sétif. La circulation est intense. À ce niveau, le paysage est une véritable féerie; c’est à couper le souffle. Le vertige que donne la crête acérée des Azerous n’a d’égal que la chute brutale de la falaise dans le cours d’eau de Chebba. L’homme se sent véritablement tout modeste devant la grandeur et la beauté de la nature.

Pinèdes, escarpements, failles, plis géologiques ondulés, sont autant d’éléments qui ne peuvent laisser indifférent le visiteur de ces lieux bénis. Il est vrai que les ombres au tableau existent. Ce sont ces traces d’incendies de forêts et de bosquets qui ont durement affecté le patrimoine sylvestre au cours de ces dernières années. La régénération se fait lentement et elle risque, chaque été d’être remise en cause. Les points noirs, ce sont aussi ces décharges sauvages comme en connaît l’Algérie un peu partout, y compris dans les fossés de route et à la périphérie de petites villes censées être un modèle de propreté.

Ici, on est complètement écrasé par l’immensité du relief et la grandeur de ses éléments. Entre la station thermale de Hammam El Bibane, située dans un bas-fond de vallée, à proximité de l’autoroute, à 500 m d’altitude, et les sommets immédiats (Bouktone, Djidjaïa), la dénivelée dépasse 500 m. Plus loin, à l’horizon de Mansourah, le sommet qui domine cette ville est haut de 1862 m. La calotte neigeuse recouvrant ce sommet apparaît de loin et envoie son froid glacial à plusieurs kilomètre à la ronde. Le stress de la sécheresse de décembre et janvier dernier est vite oublié malgré l’insuffisance des précipitations. En tous cas, les grandes rivières, à l’image d’Oued Messisi, se sont remises à envoyer le son de l’écume des eaux se frayant leur chemin au milieu des gros galets.

Dans le centre-ville de Mansourah, l’heure est au burnous et à la kachabia. La charmante et vieille cité de Mansourah, adossée à un flanc schisteux de la montagne du même nom, perd de son faste à vue d’œil. Pourtant, elle recèle bien des coins et des quartiers gardant une beauté discrète. Mais, ils ne peuvent résister trop longtemps à l’anarchie urbanistique qui guette l’ensemble du périmètre urbain. L’on rappelle souvent ici la vague de populations rurales qui avaient fui leurs foyers pendant la décennie du terrorisme. Elles avaient bradé maisons et cheptels pour louer des bicoques ici, à El Achir ou dans la ville de Bordj Bou Arréridj. Ce phénomène n’est pas resté sans effet sur le paysage général des centres urbains, lesquels se sont beaucoup ruralisés. Il est vrai que, à la faveur de certaines mesures incitatives de la part des pouvoirs publics, une partie des anciens « expatriés » dans les villes ont pu rejoindre leurs hameaux. De nouveaux logements ruraux parsèment le territoire de plusieurs communes, faisant sentir, à Bendaoud, à Beni Ougaga et à Ath Sidi Braham, que « la vie est de retour ».

L’autoroute: un nouvel élément du décor

À Mansourah, des habitants regrettent que l’autoroute ait eu un tracé qui l’éloigne de leur ville et de l’ancienne route nationale. En effet, la nouvelle infrastructure passe derrière la grande montagne de M’Zita, se dirige sur le village Zenouna et rejoint la RN5 à El Achir. Cependant, l’ancienne route nationale est devenue plus fluide et plus pittoresque, avec ses sinuosités montantes vers le village d’Aïn Defla, suivant le cours de l’oued Messissi, jusqu’à l’ouverture d’un nouvel espace, vaste et sans fin, celui des Hauts Plateaux annonçant la ville de Bordj Bou Arréridj. C’est un espace qui dessine un autre champ de vision que ne peuvent arrêter que les hauts sommets de la Medjena, au nord, et les escarpements de djebel Maâdid, au sud, dans le territoire de la wilaya de M’Sila.

Si la route nationale n°5 allant d’Alger à Bordj Bou Arréridj a montré aujourd’hui ses limites, appelant d’autres infrastructures comme l’autoroute, il n’en demeure pas moins qu’elle a une histoire ancrée dans la vie des populations depuis… l’antiquité. Car, même si elle fut réalisée avec des normes modernes par l’administration française, son tracé remonte à l’ancienne Numidie. En tant que voie de vallée suivant la vallée de l’Isser, la vallée de la haute Soummam, puis le cours de l’oued Amarigh (qui deviendra, plus à l’est, oued El M’hir), son tracé offrait aux habitants de la région plus de facilité pour l’ouverture et l’aménagement. La voie romaine qui lui est parallèle, la route départementale n°20 venant de Berrouaghia et qui rejoint la RN05 à El M’hir, a été réalisée tardivement par les légionnaires romains pour fuir les foudres des soldats berbères de la vallée (voir à ce propos l’ouvrage de Marc Côte: « Algérie, l’espace retourné »-éditions Flammarion 1988). Les limites administratives entre la wilaya de Bouira et la wilaya de Bordj Bou Arréridj sont « noyées » dans un relief tourmenté celui des Portes de Fer.

La commune d’Ath Mansour termine le territoire de Bouira, tandis que la commune d’Ath Sidi Braham annonce le territoire de Bordj Bou Arréridj. Réellement, on est ici au carrefour de trois wilayas. La troisième, à savoir Béjaïa, de par ses deux communes, Boudjelil et Ighil Ali, pénètre, elle aussi dans le massif des Bibans. Un massif qui porte bien son nom du fait que, au niveau des Portes de Fer, c’est une porte qui s’ouvre dans le corps de la montagne pour laisser passer l’oued Chebba, la RN5 et, maintenant, l’autoroute. C’est une grande anfractuosité de la montagne sous forme de portes. En 1839, le général Valée, voulant se rendre avec ses troupes à Constantine, eut d’immenses difficultés à franchir ce défilé naturel, « un défilé propice aux embuscades que même les légions romaines avaient hésité à franchir (…) Les falaises sont inaccessibles en raison de leur verticalité et de leurs aspérités », note Vincent Doumerc dans son article intitulé « L’armée française au cœur de la conquête de l’Algérie ». Outre la grande résistance populaire que les populations avaient déployée ici contre le passage des troupes françaises, le lieu est aussi connu depuis longtemps pour les barrages que des bandits d’honneur dressaient aux percepteurs d’impôts turcs venant d’Alger vers Constantine ou l’inverse. Ces percepteurs ne pouvaient poursuivre leur chemin qu’après avoir payé une sorte une dîme, sorte de « péage », correspondant à un droit de passage.

La source thermale de Hammam El Bibane

C’est au point de chute de la crête maîtresse de la chaîne des Bibans qu’apparaît la source thermale de Hammam El Bibane. À 500 m des lieux et au bas d’Aïn Sidi Ahmed, des eaux chaudes et sulfureuses jaillissent des entrailles de la terre à une température dépassant les 60 degrés. Après un abandon presque total pendant les années d’insécurité la station a été réhabilitée. Des visiteurs et curistes viennent de toutes les régions environnantes pour se faire soigner d’une affection dermique, respiratoire ou vasculaire, et pour changer d’air dans un endroit pittoresque et dont malheureusement peu de gens soupçonnent l’existence.

À cet endroit où se resserre le relief, la vallée de l’oued Chebba se rétrécit à vue d’œil. Les files de voitures deviennent un peu plus dense; le gros de la circulation est supporté par l’autoroute qui passe au-dessus, via un pont. Une sorte de pénombre vient recouvrir les petits rais de lumière filtrés par les échancrures des falaises élancées dans le ciel. Un peu plus loin, même si la pente des falaises perd de son vertige, les flancs montueux continuent à régner en maître, supportant des maquis clairsemés au bout desquels des sommets décharnés par l’érosion pendent par-dessus la vallée qu’ils marquent bien par le jeu infini des ombres.

Adrar Boughioul dresse à notre gauche sa belle croupe, légèrement herbue, mais souvent rocailleuse. Sur notre droite, une vaste vallée ouvre sa voie vers les Ath Sidi Braham, une commune bénéficiant d’une grande aura morale et spirituelle. Quelques kilomètres plus loin, en quittant l’autoroute pour la RN5, la ville d’El M’hir apparaît; et avec elle, souffle un air de relative liberté tellement le tortueux passage des Portes de Fer avait fermé les horizons et réduit le champ de vision. El M’hir s’appelait, pendant la colonisation, M’zita-gare. Le mont M’Zita, dominant le village par le nord, est situé à 1 457 m d’altitude. Un vent glacial est envoyé vers la vallée, et tout El M’hir s’est atterré d’autant plus qu’au sud-est, un autre sommet, celui de Mansourah, fait régner des températures glaciales dans toutes les bourgades environnantes.

Le marché hebdomadaire se fait maigre. Hormis les forains de Bendaoud et de Beni Ouagag et les marchands locaux, les autres hésitent par ce temps de pluie et de froid glacial. La navette de taxis entre El M’hir et Tazmalt (dans la wilaya de Bejaïa) ne cesse pourtant pas. Une relation « intime » existe entre les deux villes sur le plan commercial et des échanges. Au carrefour des trois wilayas, BBA, Bouira et Béjaïa, le massif des Bibans regorge de sites féériques, de tableaux naturels d’une majestueuse beauté et de traces d’une histoire tumultueuse du pays. Un grand effort de vulgarisation et de médiatisation est bien nécessaire pour faire connaître la région aussi bien aux citoyens des autres régions du pays qu’aux touristes étrangers.

Amar Naït Messaoud

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