Entre pratique religieuse et autres…

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L’Aïd El Adha, la fête du sacrifice, le symbole de la piété et de la générosité, semble être sortie de sa conception purement religieuse et avoir acquis, depuis plusieurs années, une tendance commerciale très lucrative.

Et de ce fait, le mouton devient une ostentation et un spectacle. Pour le citoyen lambda, le mouton, dans ces circonstances, n’est plus qu’un mirage. «Achète le mouton, fais des méchouis, donne des aumônes et tu gagneras des hassanat. La première goutte de sang qui coule de ton mouton absoudra toute ta famille présente», ainsi ressasse-t-on à chaque Aïd. Mais à quel prix ? Toute personne possédant un petit capital se met dans le commerce des moutons à Béjaïa. C’est devenu l’activité de tous. A un mois de l’Aïd El Adha, des centaines de camions se dirigent vers les marchés de gros, direction les hauts plateaux ou le sud. Pour ces revendeurs, les prix sont très abordables là-bas et leur permettent de s’enrichir. Et la cherté du mouton est justifiée à chaque fois par la cherté de l’aliment pour bétail. En plus des marchés destinés à la vente du bétail, on trouve à chaque coin de rue un revendeur. Des gens empruntent de l’argent juste pour ce commerce temporel, mais apparemment ils y trouvent leur compte, vu le nombre de revendeurs qui augmente. Les familles, notamment celles à faible revenu, plumées par les dépenses faramineuses du mois de ramadhan, de l’Aid El Fitr puis par celles de la rentrée sociale et scolaire, reçoivent cet énième coup que leur assène l’Aïd El Adha. «Je peux me priver de tout pour faire plaisir à mes enfants qui tiennent beaucoup à leur mouton. Je le fais chaque année et je ne vais pas les en priver cette fois-ci quelles que soient les circonstances», nous déclare un père de famille accompagné de ses deux enfants. Il ajoutera : «Je perçois 30 000 dinars par mois et j’ai trois enfants scolarisés. Je dois leur acheter un trousseau scolaire, des vêtements pour la rentrée et un «agneau» pour l’Aïd. Même si une petite baisse des prix est enregistrée cette année, le contexte est toujours difficile. Vu les augmentations, tout cela me coûtera dans les 70 000 DA, l’équivalent de près de plus de deux mois de salaires. Et si je dois m’acquitter des factures d’électricité et d’eau, comment m’en sortirais-je ?». Après avoir acheté son mouton, il faudra aussi affuter ou renouveler son artillerie de couteaux, haches, scie de cuisine ainsi que les grilles, des pics à brochettes, acheter du charbon et des cordes. Des dépenses, encore des dépenses, qui accompagnent cette joie. Qui dit sacrifice, dit lieu du sacrifice. Ici tout espace est utilisé même les baignoires, les cours, les garages, les espaces verts, les couloirs, les trottoirs, les terrasses et les balcons. Mais où sont donc les abattoirs ?

Un programme d’abattage, spécial Aïd, doit être mis en place

A cause des prix élevés ou par choix, beaucoup de gens se contentent d’acheter de la viande et des abats. Mais d’où provient cette viande ? Et répond-elle aux normes d’hygiène requises ? Béjaïa dispose actuellement d’un réseau de 10 structures d’abattage dont 5 abattoirs industriels et 5 tueries, spécialisées dans le bovin, l’ovin et le caprin, d’où la nécessité d’installer d’autres abattoirs industriels au niveau de la wilaya dans l’objectif de balayer ces tueries anarchiques qui ne répondent aucunement aux normes d’hygiène et qui échappent souvent au contrôle vétérinaire. La wilaya de Béjaïa s’est dotée d’un nouvel abattoir industriel ovin, bovin, caprin, à Bouhiane, commune de Melbou, situé à 30 km à l’est du chef-lieu de la wilaya, réceptionné en décembre 2015. Cet abattoir est l’aboutissement d’un financement privé qui a coûté près de 34,9 millions de dinars. Cette structure équipée d’un matériel moderne a une capacité de production de deux tonnes de viande rouge par jour. Un bon élan pour le processus de modernisation de la filière qui ambitionne d’augmenter le nombre d’abattoirs modernes afin de supplanter les tueries dont les services agricoles ordonnent souvent la fermeture pour non conformité aux normes d’hygiène. Abattage, conditionnement et distribution conformes aux normes internationales, sont indispensables pour offrir un produit de qualité au citoyen. M. Khelifa Messaoud, propriétaire et représentant de cet abattoir, nous raconte ses péripéties pour pouvoir concrétiser ce projet : «Je me suis déplacé un peu partout en l’Algérie, j’ai fait pratiquement toutes les wilayas, mais je n’ai pas trouvé vraiment d’abattoir de ce genre. J’ai trouvé des systèmes datant des années 70. Donc, ce n’étaient pas vraiment des abattoirs qui disposaient d’un matériel sophistiqué. J’ai vu aussi les abattoirs communaux qui n’ont que des murs. En 2013, j’ai été mis en contact avec la société installée en France qui m’a donné beaucoup d’idées. C’est à partir de là que j’ai eu l’idée d’installer un abattoir industriel qui répondrait aux normes internationales». Il explique : «L’opération d’abattage passe par plusieurs étapes. Nous avons d’abord l’abattage, ensuite le dépeçage, l’éviscération et le découpage. Après l’inspection, c’est soit la sortie directe de viande pour la commercialisation soit le conditionnement dans les chambres froides. Ce genre de projets d’investissement permet, une fois en service, en plus de mettre fin aux abattoirs non conformes aux normes sanitaires, de générer de nombreux emplois». Il ajoute : «Cependant, parmi les contraintes rencontrées, nous citerons l’absence du matériel en Algérie, surtout de pièces de rechange pour le système de sécurité dont est doté l’abattoir. Autrefois, pour faire tomber un bovin de 4 à 5 quintaux, il fallait 5 à 6 personnes, mais actuellement, une personne peut s’occuper de la tâche». C’est un abattoir récent qui a été ouvert au mois de décembre dernier et qui est réellement conforme aux normes internationales. Le problème qu’on rencontrait avant et qu’on n’a plus actuellement est celui de l’eau. Je travaille actuellement dans le confort, vu la disponibilité de l’eau. Aussi, c’est un abattoir qui dispose d’une chaîne qui fait que toute la carcasse arrive dehors sans effort. Donc, on peut dire qu’on a toutes les commodités pour travailler à l’aise», apprend-on de Mme Bentabak Leila, inspectrice vétérinaire au niveau de la subdivision de Souk El Thénine.

Les bouchers satisfaits

Les bouchers que nous avons rencontrés ont affiché une complète satisfaction quant aux conditions d’hygiène, au conditionnement mais aussi à l’accessibilité. «Nous avons là un abattoir sophistiqué bien propre, un bon conditionnement, un bon espace pour le stationnement et le chargement, la disponibilité de l’eau pour le nettoyage des abats, ainsi que des vétérinaires qui sont à notre entière disposition», nous dira l’un des bouchers rencontrés sur place. «L’abattoir dispose aussi de chambres froides pour le stockage des viandes et puis il est ouvert toute la journée. Nous sommes vraiment très satisfaits de cet abattoir», ajoute un autre boucher venu d’Aokas. «Nous voudrions juste que l’Etat installe d’autres abattoirs de ce genre au niveau de toutes les communes pour satisfaire les besoins de tous les bouchers», souhaitera un autre.

Une tauromachie à l’algérienne

Des centaines de béliers destinés au sacrifice se transforment en taureaux de combat. Des spectacles sont offerts à l’air libre ou dans des stades. Les béliers vainqueurs se revendent à des prix exorbitants et les paris rapportent énormément d’argent. C’est ce que ces jeunes appellent «faire une bonne affaire». Acheter un bélier à 70 000 DA pour le revendre parfois entre 400 000 et 800 000 DA ‼ ! Ceci permettra à ces jeunes d’acheter un autre mouton pour le sacrifice et d’encaisser une marge colossale. Les combats de moutons prennent de plus en plus d’ampleur dans notre société surtout à Béjaïa. Ces «gladiateurs» portent des noms très connus par les adeptes de ces spectacles : «gladiateur», «scorpion», «timsah», etc. Ces spectacles deviennent plus fréquents à l’approche de l’Aïd, car beaucoup de jeunes font participer leur mouton de l’Aïd aux combats. Des paris accompagnent ces spectacles. Un bélier de combat peut valoir entre 500 000 DA et 900 000 DA et plus. Cependant, le prix du bélier perdant, s’il reste toujours en vie, fait une chute libre. De cette chute, profitent d’autres jeunes, et le mouton de combat est destiné au sacrifice. Un éleveur nous dit qu’on lui a proposé plus de 900 000 DA pour son bélier. Un autre nous vante les performances de son bélier qui, selon lui, est invincible. «Mon bélier n’a jamais perdu un combat». Des jeunes, des petits enfants et des adultes surtout viennent assister à ces spectacles. Ils viennent juste pour regarder, mais sont souvent tentés de miser sur leur favori. L’élevage des moutons de combat demande beaucoup d’attention et de soins pour ces éleveurs. C’est une passion. Néanmoins, face à ces spectacles, de nombreux citoyens, choqués de la manière avec laquelle ces moutons sont traités, nous révèlent : «Ce sont des spectacles barbares, c’est vraiment atroce cette souffrance qu’on leur inflige. Il faut mettre fin à ces tortures».

Les rues se transforment en un immense abattoir-dépotoir

L’agression contre l’environnement commence bien avant le jour «J», un mois à l’avance, à cause des vendeurs de foin et des revendeurs de moutons installés anarchiquement un peu partout, transformant certaines rues en écuries. Les odeurs nauséabondes attirent les mouches, et c’est le calvaire pour les habitants de ces rues-là. Après le jour «J», on balance n’importe où cornes, toisons et déchets. Par manque d’espace ou pour garder sa maison propre, beaucoup préfèrent égorger leur mouton dehors, et les rues se transforment en toile peinte en sang rouge vif puis noir coagulé. Les restes osseux et les surplus graisseux attirent alors chats et chiens errants.

Mechmeche Salima

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