La guerre froide de l’eau

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Les sources d’eau en pleine montagne ont toujours été jalousement préservées et entretenues par les populations qui s’y alimentaient.

Aujourd’hui encore, des personnes ne veulent pas voir ces sources disparaître ou être détournées de leur vocation ancestrale, c’est-à-dire alimenter les canaux d’irrigations et servir à l’agriculture pastorale. C’est le cas de la source de Tinzar qui s’écoule en contrebas d’Amoudjeh, une colline majestueuse au piedmont du chapeau du gendarme, non loin de la station climatique de Tikjda. Cette source a une caractéristique assez particulière : ses eaux proviennent directement de deux cavités ressemblant à des narines sur un immense rocher en forme de nez. D’où son appellation en kabyle Tinza.

Captage de sources tous azimuts

Cette source de Tinzar, qui se trouve au cœur du Parc National du Djurdjura, serait sur le point d’être canalisée au profit des citoyens de Slim, commune de Haizer. Une localité qui aurait dû être alimentée à partir de la source Oussarour se trouvant à proximité de Mimouna, dans la même commune. Mais voilà certains propriétaires terriens ont refusé que les canalisations traversent leurs propriétés. De ce fait, l’option de canaliser la source Tinzar aurait été adoptée. Mais les travaux ont été bloqués par les membres de l’association Thaouyalt d’El asnam, «à temps», revendiquent-ils. Ladite association se déclare à l’avant-garde de la préservation de l’environnement et pour le repeuplement des hameaux avoisinants d’Ath Haggoun, dans la commune d’El Esnam, et qu’il ne s’agit pas de s’opposer au captage de cette source juste pour s’opposer : «Nous sommes conscients que les villageois de Slim ont besoin d’être alimentés en eau, à l’instar de tous les Algériens, mais d’autres solutions existent. Le barrage de Tilesdit est limitrophe et il y a une possibilité de les y raccorder. Il existe par ailleurs plusieurs sources dans la commune de Haïzer qui ne dépendent pas du Parc National du Djurdjura. Les initiateurs de ce projet ont recouru à la solution la plus facile. Nous tenons à ce que cette source séculaire retrouve sa vocation d’antan au profit des villageois d’Ath Haggoune», déclare M. Moumou, un des membres de cette association qui a déjà recueilli plusieurs centaines de signatures auprès des citoyens de la région.

Ath Haggoune, un village déserté

Si des documents historiques datant du 16ème siècle retracent encore l’existence de ce village (une copie est détenue par les membres de cette association), il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui, le retour des populations, qui ont vécu l’exode durant la décennie noire demeure assez complexe. En effet, même si des routes ont été refaites, des pistes agricoles tracées, le réseau électrique réhabilité, l’eau, facteur vital pour le développement d’une agriculture de montagne demeure une ressource rare. Seule la source de Tinzar alimentait l’ensemble des terres d’Ath Haggoune s’étendant sur plus de 500 hectares. «Dans les années 70 et jusque dans les années 90, nous cultivions des figues, des pêches et nos vergers étaient très bien entretenus. Sans parler du maraichage, du miel de nos ruchers et surtout de nos élevages ovins et bovins. Cette époque est hélas révolue. Mais aujourd’hui, avec les efforts de l’Etat pour la réhabilitation des routes et autres commodités, les habitants comptent revenir ici pour se réinstaller et développer des activités agro-pastorales. «Seule la source de Tinzar pourrait nous permettre de réaliser nos projets. Et cette source avait déjà été canalisée en 1830, comme l’atteste le canal d’irrigation datant de cette époque», dira M. Zane, membre de l’association Thaouyalt. Dans l’ancien village d’Ath Haggoune, on peut en effet voir les vestiges d’antan. Même des meules en pierre subsistent au milieu des ruines. «Il s’agit là des vestiges d’un ancien moulin à blé, preuve que la céréaliculture était prospère en ce temps-là», dira, en soupirante, M Boukamoum, un de nos accompagnateurs. Aux dires des membres de l’association Thaouyalt, qui misent beaucoup sur le retour des populations dans ces hameaux, il s’agit là également de faire découvrir les riches paysages de la région aux touristes qui fréquentent Tikjda. «Des habitations anciennes pourraient être retapées et servir ainsi de gîtes aux visiteurs. On gagnerait à faire connaitre cette destination. En outre, la source Tinzar est vraiment une curiosité de Dame Nature», espère M. Moumou.

Un réseau d’irrigation séculaire

Entre l’ancien village d’Ath Haggoune et la source de Tinzar, environ trois kilomètres de distance en longeant l’oued Tinzar sur une piste en cours de réalisation dont une partie est déjà bitumée. En ce début de décembre, plusieurs véhicules sont stationnés et des familles s’adonnent déjà la cueillette des olives. Pour nos accompagnateurs, cette région ne tarderait pas à être entièrement repeuplée pour peu que la politique du gouvernement suive avec la réhabilitation de la source de Tinzar au profit des riverains d’Ath Haggoune. Non loin de la source de Tinzar, une autre source appelée Hellal laisse couler son eau à proximité de Ldjamaâ, un mausolée entourée de tombes formant un petit cimetière : «Il n’est pas rare que les gens de la région viennent ici pour faire des offrandes et prier. Lainsser Hellal est alimenté à partir de Tinzar, et si cette dernière venait à être canalisée au profit de la localité de Slim, ce sont 3 châteaux d’eau situés plus bas qui seraient privés de ce précieux liquide et pas moins de 2 000 foyers qui seraient également confrontés à une crise d’eau potable», explique M. Boukamoum. Le canal d’irrigation séculaire qui achemine l’eau de la source de Tinzar vers les hameaux d’Ath Haggoune nécessite une sérieuse opération de rénovation, afin de retrouver sa vocation initiale. Les mauvaises herbes ont poussé tout le long de ce réseau et par endroits des éboulements ont causé des dégâts sur plusieurs dizaines de mètres. Ce canal qui prenait naissance en contrebas de la source desservait des hameaux situés à plusieurs kilomètres, mais faisait également office de réseau de… données ! C’est ce qu’affirment nos accompagnateurs en racontant une anecdote d’un genre assez particulier : «A l’époque, nos grands parents avaient de la famille établie dans les plaines, et lorsqu’ils éprouvaient le besoin de les voir pour les inviter à un diner ou un déjeuner, ils éviscéraient une bête et les boyaux étaient jetés dans le canal d’irrigation. En contrebas, les membres de la famille étaient ainsi avertis qu’ils étaient invités à une waâda».

Le retour aux sources conditionné par la sauvegarde de Tinzar

Nos accompagnateurs disent avoir frappé à toutes les portes et épuisé toutes les voies légales pour empêcher les travaux d’adduction de cette source de Tinzar vers le village de Slim. Cependant, même si le chef de daïra de Bechloul, fraîchement installé, affirme avoir pris connaissance de ce dossier, il n’en demeure pas moins qu’il se déclare impuissant et que le dossier est actuellement entre les mains du wali. «Dans la daïra de Haïzer, pas moins de cinq sources naturelles existent et peuvent desservir le village de Slim. On ne comprend pas pourquoi le choix s’est porté sur la source de Tinzar relevant de la commune d’El Esnam et de la daïra de Bechloul. Les autorités de Haïzer auraient pu procéder à la restauration et au réaménagement de l’ancienne source Thissergoui qui alimentait auparavant le village Slim ! C’est une aberration que de convoiter cette eau qui jaillit au cœur du Djurdjura et dont le PND est le garant. L’administration du PND qui est au courant de cette affaire nous a confié qu’elle ne pouvait pas agir tant que les travaux ne sont pas effectués sur son territoire. Mais là il sera trop tard. Le paysage aura été défiguré et la faune et la flore auront connu les pires altérations», déplore M. Zane de l’association Thaouyalt. Cette association justifie son opposition par des arguments tels : l’assèchement du cours d’eau Assif Tinzar alimentant la partie ouest de la commune d’El Esnam et le barrage de Tilesdit, le tarissement de la source Hellal alimentant 3 châteaux d’eau et une catastrophe écologique qui ne manquera pas de se produire en privant d’eau la faune et la flore et l’ensemble de la biosphère à l’intérieur du Parc National du Djurdjura.

Hafidh Bessaoudi

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