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Virée pèlerinage aux Ouadhias : Sur la tombe de «Hamid Radio-N’Paris»…

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Au village Adrar Amellal du célèbre animateur «Hamid Radio-N’Paris», il fait beau. La vallée des Ouadhias, toute verdoyante, attire les regards en ce vendredi 12 mai, date choisie par le comité d’organisation de l’hommage à Chabane Hamici, connu sous le sobriquet «Hamid Radio-N’Paris».

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Arrivés à la sortie de la ville d’Iwadiyen, empruntant la RN30 vers Takhoukht, notre guide nous indique de prendre un chemin sinueux vers le lieu de la commémoration. C’est un chemin dont le bitume a entièrement disparu. Notre véhicule peine à «grimper» cette route rétrécie à plusieurs endroits.

«En 2017, Ouadhias-tribu n’a pas encore une route digne de ce nom», se plaindra un de nos accompagnateurs. Après plus d’une demi-heure, nous arrivons enfin au cimetière Jeddi Ahmed où repose Dda Hamid. Un groupe de villageois attendait l’arrivée des membres du comité qui ont prévu de déposer une gerbe de fleurs sur la tombe de l’ami de longue date de Slimane Azem, lui aussi natif de cette région. Profitant de ces instants d’attente, nous discutons avec M. Hachim Mohand Ouamar, l’ex-président du comité de village.

L’encerclement du village en 1956

Adrar Amellal fait partie de l’Aârch Iwadiyen de la confédération d’Ath Sedka. Celle-ci se compose de plusieurs tribus. C’est un versant montagneux peuplé actuellement de plus de 16 000 habitants. Tout comme les autres villages de Kabylie, Adrar Amellal s’est engagé activement dans la guerre de libération nationale.

«Entre le 13 et le 16 novembre 1956, toute cette région fut encerclée par l’armée coloniale. Elle affama la population durant des jours. Je me souviens que 89 personnes civiles enrôlées dans la lutte armée furent exécutées. Mon père fut abattu devant mes yeux», nous raconte avec amertume notre interlocuteur. Et de poursuivre : «Ils se vengèrent parce que les Moudjahidine avaient tendu une embuscade au lieutenant Jakot, premier responsable de la SAS–Iwadiyen. Le village a donné 28 martyrs durant les sept années de la guerre».

Une région à l’abandon

Les villageois se disent abandonnés à leur sort. L’un d’eux nous dira : «On dirait que nos gouvernants ne veulent pas le décollage économique de la région. Cette généreuse vallée, qui dans le temps produisait les plus belles figues d’Algérie, est encore en jachères, alors que nous pourrions exporter ce produit à l’étranger».

«Ouadhias-tribus est habitée par plus de 40% de jeunes. Ils sont malheureux. Il n’y a rien à gratter ici. Nombreux sont ceux qui tentent d’aller ailleurs non seulement en Algérie à la recherche d’un emploi mais beaucoup plus en Europe», déplore le même citoyen. «Nous avons des conduites d’eau, des conduites de gaz naturel… Mais nous n’avons encore ni eau ni gaz», regrette-t-il.

Qui est Jeddi Ahmed ?

Dans ce cimetière, il y a un grand mausolée dédié à Jeddi Ahmed. Nous demandons aux villageois de nous parler de lui. «Je ne peux vous répondre exactement. Il ne s’agit que d’hypothèses. Il n’y a aucune trace écrite à propos de ce saint», nous dira-t-on. On raconte que ce saint vénéré serait venu de l’actuel Sahara Occidental avec d’autres hommes religieux pour prêcher la bonne foi. Il était un adepte de la Tarika Errahmania. «Une fois, dit-on, la sécheresse avait sévi longtemps dans la région.

Comme ce marabout, Jeddi Ahmed, prônait un islam modéré loin de tout fanatisme, il alla dans la vallée pour faire l’Anzar (appel à la pluie). Beaucoup d’eau tomba du ciel. Et depuis ce jour-là il devint le saint d’Adrar Amellal», poursuit-il. Et un autre villageois intervint pour nous donner sa version des faits : «On raconte aussi que c’est suite à cet Anzar qu’il périt dans les crues. Il fut ramené ici dans ce cimetière où l’actuel mausolée fut construit à sa mémoire. D’ailleurs, il y a encore son tombeau à l’intérieur».

Nous apprendrons que depuis, à la veille de chaque saison des labours-semailles, une fête lui est dédiée à la fin du mois d’octobre avec Timechret. Pour notre premier interlocuteur, Jeddi Ahmed laissa six descendants répartis comme suit entre six tribus importantes : les Ath Ouali Brahim, les Ath Said, les Ath Ouadhi, les Ath Ziad, les Ath Boussaid et Ath Mesbahi.

Un phénomène inexplicable

Notre interlocuteur dit ensuite : «Il faut savoir que si une femme est stérile, elle vient passer une nuit ici dans le mausolée avec une vieille du village. On lui demande d’aller «voler» un morceau de viande qu’elle jettera à un animal qui la poursuivrait. Une année plus tard, elle enfantera». Selon un psychologue que ce citoyen a approché en Bretagne (France), ce phénomène s’expliquerait par un blocage psychologique vécu par le couple. «ça reste néanmoins un mystère», estime notre interlocuteur.

Un vibrant hommage à l’animateur «Radio-N’Paris»

Un comité de jeunes a rendu un vibrant hommage à Chabane Hamici dit «Hamid N’Radio Paris». En plus de la gerbe de fleurs déposée sur sa tombe au cimetière Jeddi Ahmed, son portrait trône, désormais, dans les sièges de l’association à Tagnits. Il y eut beaucoup de monde : des enfants, des femmes, des membres de sa famille et anciens auditeurs de son émission «Kabylie mon beau pays» à la Radio-Paris…

Cependant, le moment le plus émouvant fut celui où sa veuve Nadine Jeanne Marie Dufresne, dite Nadia, prit la parole pour lire une déclaration. «Hamid était l’ami de tous. Il aimait beaucoup sa Kabylie et tout son pays. C’était quelqu’un qui était heureux dans sa famille et avec ses amis. A sa mort, je pris la décision de l’enterrer à Jeddi Ahmed, auprès des siens, dans la terre dont il portait toujours, dans sa poche, une poignée que sa mère lui avait envoyé pour lui porter bonheur.

Je suis très contente d’être avec vous et de vivre ces moments à Jeddi Ahmed. Tanemirt n’wen», dit la Française que l’époux avait habituée à ses traditions kabyles, souvent avec d’autres compatriotes à l’exemple de feu Slimane Azem avec lequel la famille de Chabane Hamici avait beaucoup de liens amicaux et fraternels. D’autres témoignages ont suivi durant l’après-midi de vendredi, puis une projection d’un film documentaire sur son parcours et sa brillante carrière, ainsi que des activités diverses durant la journée de samedi.

Qui est Chabane Hamici ?

Il est né le 28 janvier 1929 aux Ouadhias. En 1950, comme beaucoup de jeunes de sa génération, il prit le chemin de l’émigration pour subvenir aux besoins de sa famille. Dès qu’il atterrit sur le territoire du colonisateur, il fut embauché à «l’hôtel des touristes» au 80 Rue Blomet, dans le 15e arrondissement. Six ans après, il exerça le métier de pigiste, puis il devint successivement commentateur politique, journaliste, producteur et animateur de l’émission «Kabylie mon beau pays» diffusée par Radio-Paris.

Il eut l’occasion d’inviter de grands chanteurs tels Dda Slimane Azem et Cheikh El Hasnaoui. En 1960, il épousa une Française, Nadine Jeanne Marie (Nadia) qui le soutint dans son militantisme pour la cause amazighe, notamment après la création de l’Académie Berbère (Agraw Imazighène) chez Taous Amrouche, en compagnie de Bessaoud Mohand Arab, M. Hannouz et Mouloud Kaned, avec la collaboration de Français. Il devint secrétaire général de cette académie. En plus de son militantisme, Chabane Hamici anima des galas organisés par l’Académie Nerbère en 1969 et 1970.

Malheureusement, à la fleur de l’âge, le 26 Novembre 1972, alors qu’il n’avait que 43 ans, il fut victime d’un accident vasculaire cérébral (AVC) qui le plongea dans un coma profond. Il rendit l’âme à l’hôpital Eaubonne dans le Val d’Oise dans la région parisienne. Son corps fut rapatrié quelques jours plus tard dans son pays pour être inhumé au cimetière Jeddi Ahmed. On dit que son émission fut arrêtée par l’ex-président de la République Française, Valéry Giscard D’Estaing en commun accord avec feu Houari Boumédiene lors de la visite du Président français en Algérie en 1974.

Cela fait maintenant 45 ans depuis sa mort subite, et avant ces hommages des 12 et 13 mai, deux autres hommages lui avaient été rendus : en 1995, c’était le MCB-coordination nationale qui s’était recueilli sur sa tombe et en 2016, comme cette année 2017, c’est un groupe de jeunes des Ouadhias qui organisa le second recueillement à la mémoire de Chabane Hamici.

Reportage réalisé par Amar Ouramdane

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