L’Histoire retiendra le sacrifice énorme en vies humaines de la population algérienne, durant cette période du mois de mai 45, qui a atteint les 45 000 martyrs. Leur malheur est d’avoir revendiqué un droit, le plus indéniable, à savoir la liberté à l’instar des peuples du monde qui ont apporté leurs précieux concours à l’écrasement des forces hitlériennes, dont des contingents de combattants algériens ont participé massivement aux côtés de l’armée française.
Mais aussitôt que le conflit prit fin, les défenseurs de la politique coloniale en Algérie qui n’entendaient pas lâcher prise sur ce pays et affolés par la démonstration de force du peuple algérien en cette journée du 8 Mai 1945, donnèrent l’ordre de l’écraser par le sang. Le signal est donc donné à Kherrata où les forces coloniales mitraillèrent la foule dans les rues de la ville.
De son côté, la légion étrangère a précipité les Algériens arrêtés durant cette insurrection pour les emmener de force par moyens de camions militaires au niveau du pont du Chabet-el-Akra et les précipiter au fond du ravin. Des journées durant des pelotons d’exécution fusillent par groupes plusieurs Algériens raflés auparavant par l’armée et les milices constituées par les colons. Le génocide dont fut victime la population algérienne durant ce 8 Mai 45 et les semaines qui suivirent malgré son atrocité n’a fait que conforter les positions des nationalistes algériens qui ont définitivement opté pour une violence révolutionnaire seul moyen d’arracher la liberté.
Le fil des événements
Tout a commencé en cette triste date, jour de marché à Kherrata férié également pour l’occupation coloniale à la suite du cessez-le-feu en fin de la deuxième guerre mondiale entre l’Allemagne et son allié l’Italie et la France et les siens d’autre part, c’était aussi d’après les témoignages recueillis, la veille du conseil de la révision de la classe de 1945. L’administrateur principal devait venir d’Ain-EL-Kébira vers Kherrata. Arrivé à une trentaine de kilomètres de la ville sur la RN.9, un groupe d’Algériens armés arrêta le chef de la commune administrative lui bloquant le passage.
Après un échange de propos, il fut abattu de quelques balles. La nouvelle de l’assassinat fut aussitôt apprise par la population de Kherrata par l’intermédiaire des voyageurs d’un car qui s’est arrêté sur les lieux de l’embuscade. Cette «nouvelle» fut aussitôt répandue à travers la ville et douars. Des contacts entre responsables du mouvement nationaliste ont eu lieu aussitôt pour prendre les mesures qui s’imposent pour parer à toute action répressive de la part des forces coloniales en signe de représailles.
C’est ainsi que des habitants de environs se sont préparés à encercler la ville de Kherrata avant le lever du jour, mais durant cette même période, les colons n’ont pas dormi eux aussi, en se préparant également pour faire face à d’éventuelles attaques de la part des Algériens à partir du château appartenant à un colon, situé au sud de la ville, à la villa «Dussaix» et à la brigade de la gendarmerie où de nombreux européens et leurs familles se sont réfugies. À l’aune de cette même journée, des centaines d’Algériens avaient encerclé le centre de la ville, des groupes de «choc» ont été constitués, l’un était chargé de se procurer du carburant entreposé dans un garage que l’on remettrait à un autre groupe chargé d’incendier certains immeubles officiels, tels que le bureau de poste, le tribunal, d’encercler des résidences appartenant aux colons.
Et enfin le dernier a été chargé de contacter la population du douar «Riff» actuellement relevant de la commune de Taskriout pour bloquer la route par des troncs d’arbres sur la RN9 dans les gorges du Chabet-el-Akra à hauteur de la source de «Laânser-Azegza» pour empêcher tout passage de véhicules militaires susceptibles d’être appelés en renfort par l’armée coloniale vers Kherrata.
Entre-temps, des opérations menées par des Algériens ont commencé à travers la ville. C’est ainsi que le tribunal a été brulé pour récupérer des armes saisies et déposées par les autorités françaises. Un coup de feu a été tiré sur le boulanger Grammand qui fut abattu devant son local commercial, puis ce fut autour du juge de paix tué sur le balcon de son logement et enfin le tour du postier.
Massacres à grande échelle
Devant l’ampleur des événements, les autorités coloniales ont fait appel à un arsenal de guerre à partir de Sétif situé à une soixantaine de kilomètres de Kherrata. Dès l’entrée de la ville, des ordres lui ont été donnés d’ouvrir le feu sur les Algériens, avant d’incendier les habitations les douars limitrophes. Dans les centres de colonisation et localités avoisinantes, la nouvelle des heurts qui ont eu lieu au centre de la ville provoqua des incidents plus graves, les informations se propageaient plus vite, la situation devenait incontrôlable.
Des cris scandaient «Vengez nos frères», «Luttons pour la liberté et l’indépendance de notre pays» tels étaient les mots d’ordre répandus à travers la ville et les douars. Ces évènements étaient interprétés par l’oppresseur comme un véritable soulèvement. Devant l’ampleur de ces manifestations, des milliers d’Algériens ont été tués par l’armée coloniale qui tirait sur la foule sans épargner les femmes, enfants et vieillards. La section d’artillerie a pour sa part effectué des tirs de jour comme de nuit dans des zones soupçonnées les plus dangereuses.
Durant ces évènements, des opérations d’extermination ont été entreprises faisant des milliers de victimes parmi la population algérienne. Il y a eu lieu également l’aviation qui a opéré des raids incendiant plusieurs habitations dans les douars appuyée par la légion étrangère qui a participé à ces massacres de masse. Pour marquer ses actes odieux commis à Kherrata, elle a gravé son symbole tristement célèbre sur le flanc d’une montagne des gorges du Chabet-el-Akra encore visible de loin, en forme d’une grenade.
Kherrata fut le théâtre d’une extermination de la population par les forces de l’occupation, elle garde encore les souvenirs d’une répression aveugle à travers les témoignages des victimes de ces atrocités dont certaines sont encore vivantes, d’autres mortes malheureusement. La population a subi il y a 74 ans ce qu’il y a lieu d’appeler la réaction du colonialisme face à une population sans arme qui a été sauvagement réprimée pour avoir réclamé pacifiquement le droit à la liberté à l’instar des autres pays épris de justice et de dignité à travers le monde.
Les forces coloniales étaient insuffisantes pour faire face à ce mouvement insurrectionnel, pris de panique, elles entreprirent des opérations de répression aveugle contre les manifestants à la charge des milices organisées par les colons quelles que soient leurs tendances politiques. Ces milices se sont vu confier, outre la garde des points stratégiques dans la ville de Kherrata, l’organisation de patrouilles pour veiller aux aguets en participant parallèlement aux cotés de la gendarmerie aux opérations de dégagement des centres assiégés par les manifestants.
Mais cette milice ne se limite pas seulement aux activités qui lui ont été confiées, puisqu’elle se livra en outre à des représailles contre la population algérienne et à des exécutions sommaires de suspects. Dans les rues, rivières, buissons, oueds, sentiers et dans les ravins gisaient des corps sans vies. Plusieurs Algériens soupçonnés d’être les instigateurs du mouvement insurrectionnel ont été arrêtés. Beaucoup d’entre eux sont faits prisonniers et déplacés par la légion étrangère pour les exécuter sur les bordures du pont des gorges de Kherrata dont les points de chute des corps se trouvent au fond du ravin.
Parmi les victimes figurent l’une des personnalités influente du mouvement nationaliste algérien exécutée avec ses deux fils. Des massacres de masses furent suivis d’appels lancés par les autorités françaises pour tenter de rassembler les «refugiés» leur garantissant la vie sauve.
Exténuée, meurtrie, épuisée, la population algérienne se rendit en ville où elle fut parquée dans un centre de concentration comme des animaux à proximité de l’oued-Agrioune sis au centre de la ville, dans des conditions inhumaines à cela s’ajoutent d’autres souffrances liées à l’épuisement, la faim, la soif, les blessures subies ……une masse populaire qui était sous la surveillance étroite des forces coloniales au sein de laquelle un triage des patriotes a été effectué pour arrêter les suspects dont certains d’entre eux ont été exécutés sur place tels que des membres de la famille Bessouh et plusieurs personnes suspectes. D’autres prisonniers ont été déplacés à la brigade de gendarmerie où ils furent torturés à mort en citant notamment la famille Allik.
Plus vulnérables ont été les enfants, les femmes et vieillards, qui sont restés durant cette journée sans manger ni boire et qui ont connu le plus grand nombre de victimes face à cette vague de répression, d’intimidations et de violences, de coups et blessures de la part de l’armée coloniale. Parallèlement à cette vague de répression aveugle, l’appareil judiciaire de l’occupant se mit en branle pour identifier et arrêter plusieurs figures du mouvement insurrectionnel qui a eu lieu à Kherrata et c’est ainsi que plusieurs d’entre eux ont été jugés et condamnés à mort puis transférés à travers les différentes prisons existantes à l’époque coloniale.
Il s’agit notamment des prisonniers politiques : Bekhouche Lahcène (décédé dernièrement), Amrane Messaoud, Ramli Rabah, Manadi Arezki, Aissaoui Messaoud, Aid Ali, Saal Layachi et autres… qui ont été incarcérés pendant plusieurs années et n’ont pu être libérés qu’après l’indépendance de notre pays en 1962.
S Zidane.

