Ce mal qui ronge les femmes

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A Tizi Ouzou, à l’instar des autres régions du pays et même au-delà des frontières, ces femmes sont nombreuses, même si elles sont rares celles qui osent dénoncer. Elles subissent ces violences quotidiennement, pour la plupart. Quand l’atteinte n’est pas physique, elle devient verbale. On a droit à tous les noms d’oiseau. Pourvu que ces femmes soient blessées et rabaissées. Il ne faut pas qu’elles relèvent la tête. Surtout pas. Sinon, elles auraient bien l’occasion de se rendre compte de leur mal. Il faut les isoler.

Les hommes à l’origine de leur mal se débrouillent toujours pour les isoler de leur environnement familial et amical. Plus elles sont seules, plus elles sont vulnérables et passives, expliquent les spécialistes. Elles se croient responsables de toutes les tares du monde et derrière toutes les catastrophes de la terre. Le plus dangereux, c’est qu’elles se sentent, dans la plupart des cas, responsables de leur situation. Elles pensent dans la majorité des cas mériter le traitement qui leur est infligé. Elles estiment, donc, que la correction est méritée. « J’ai une amie, pourtant instruite, qui tait le traitement que lui inflige son mari depuis plus de deux ans. Elle lui trouve toujours des excuses.

Elle explique d’ailleurs toujours les corrections de son mari comme une suite logique aux bêtises qu’elle a pu commettre. Eh quelles bêtises ? Oublier le lait sur le feu ! Un fait banal chez certains, peut devenir prétexte à donner des coups pour le mari de mon amie. Et le plus grave c’est qu’elle dit toujours que c’est de sa faute. Qu’il ne fallait pas qu’elle le fasse. Nous avons essayé avec d’autres amies de la convaincre de l’enfer qu’elle vit, en vain. Elle ne veut rien entendre. Elle dit qu’il a la tête bourrée à cause de son travail et qu’il a besoin de la vider », nous confie Aldjia, 58 ans, secrétaire chez un notaire de la ville. Si le mari de l’amie de Aldjia a besoin d’un “sac de boxe” pour se défouler, il semblerait qu’il ne soit pas le seul.

Les chiffres nous font défaut à Tizi-Ouzou mais il semblerait qu’ils sont effrayants au niveau national. En 2006, il a été révélé par le ministère chargé de la Famille et de la Condition féminine, que plus de 80% des femmes mariées subissent des violences de la part de leurs conjoints. C’est la forme de violence la plus courante, ou peut-être la plus dénoncée. A l’époque, les associations féministes se sont alarmées et ont dénoncé. Peu ont bougé. A Tizi Ouzou, les associations et organismes sensibles à ce fléau se comptent sur les doigts de la main. Mais celles qui activent pour le soutien de la femme en détresse s’attèlent à en faire leur cheval de bataille.

Le hic, c’est le manque de communication. Ces organismes ne médiatisent pas souvent leurs activités. « Nous ne savons pas trop où aller en cas de pépin. Nous sommes entre deux feux. Rester et subir ou sortir et faire face à l’inconnu. Je préfère les coups que je connais déjà à ce qui m’attend dans la rue », nous dit Samira, femme au foyer. Rencontrée dans la salle d’attente d’un dermatologue du centre-ville, cette femme subit presque quotidiennement les foudre sde son mari.

« Je n’ai pas où aller. Et il le sait bien. Et surtout il en profite. Il sait que je n’ai plus ma place chez mes parents. Surtout pas avec trois enfants, dont un handicapé moteur. Mes belles sœurs me boufferaient crue si je retournais chez mes parents. Je n’ai même pas un revenu régulier pour prétendre à l’indépendance. Mon mari se saoule la gueule chaque soir. Il ne débourse que le strict minimum pour les besoins de la maison et les soins des enfants. Pour la visite de ma fille chez le dermatologue, un luxe pour mon mari, j’ai dû demander l’aide de ma sœur. Mais toujours est-il que c’est mieux que chez mes parents. Si j’avais la chance de travailler, j’aurai quitté cet enfer depuis bien longtemps », conclut-elle. Le qu’en dira-t-on et le regard que porte la société kabyle sur les femmes divorcées bloquent bien de femmes à faire le pas vers la « liberté », à aspirer à une vie meilleure où coups et insultes seront à jamais bannis. Une femme qui rate son mariage est une femme « morte », pour reprendre les termes utilisés par Youcef, 34 ans, vendeur dans une quincaillerie. « Je n’adresse plus la parole à ma cousine paternelle, qui vit avec nous, depuis plus de 4 ans.

Exactement depuis qu’elle a été répudiée par son mari. C’est devenu une charge pour nous avec sa fille, étant donné qu’elle est orpheline. Autant je peux gober la charge financière autant je ne peux pas avaler la responsabilité d’une femme divorcée à la maison. Notre société est dure. Je lui en veux parce que c’est elle la fautive dans son histoire avec son mari. Elle dit que son mari l’insultait sans cesse devant sa belle-famille et même des étrangers.

Et elle l’a forcé à la répudier. Je ne peux pas la comprendre, il ne l’a jamais touché. Il ne la battait même pas », dit-il. Comme quoi, la violence doit impérativement faire partie de la vie de tout couple. La cousine devait subir les injures répétitives de son mari au détriment de sa dignité et celle de sa fille, sous prétexte qu’il ne la battait pas ! Il est à signaler, à ce propos, la tendance des parents à ne plus accepter de prendre en charge les filles divorcées et leurs progénitures, sous prétexte de la cherté de la vie.

Aussi, il faut dire que les hommes se permettent ces dépassements, parce que justement la société le leur permet. Tout est permis. Et les hommes ne sont pas les seuls à permettre à leurs compères les hommes. Les femmes aussi, par l’éducation qu’elles donnent à leurs enfants, sont responsables des « droits » que décrochent les hommes auprès de leurs femmes. Qui n’a pas entendu un jour une maman dire à sa fille de s’armer de patience devant le plus violent des hommes, au risque de sa vie, au lieu de l’encourager à sortir de ses griffes. Il ne leur vient jamais à l’esprit que les coups peuvent être mortels.

« C’est par son éducation qu’il devient ce qu’il est. Il faut commencer à inculquer à nos enfants, les garçons notamment, le respect d’autrui. Il faut bannir à jamais la différence que les parents font entre leurs enfants, notamment entre filles et garçons. Si tout un chacun fait attention à ce qu’il inculque à son enfant, nous nous en sortirons un jour. Sinon la situation ne fera qu’empirer pour la femme », explique M.B, étudiante en 3ème année de droit. « Ichvah fellas dharguez » pour le garçon, « Dhyaâr » pour la fille.

Qui n’a pas eu affaire à ce genre de commentaires ? L’éducation est-elle le seul moyen d’apprendre aux hommes à respecter les femmes et surtout de ne plus se défouler sur elles ? Certainement pas. « Mon mari ne m’a jamais blessé avec une parole. En 30 ans de mariage, il n’a jamais levé la main sur moi, ni ne m’a vexée. Mon mari décédé, j’ai essayé tant bien que mal d’assurer une éducation parfaite à mes enfants, tout en me basant sur le mémoire de leur père. Je crois avoir réussi avec certains mais pas avec d’autres. L’année dernière, alors que nous passions quelques jours ensemble mon fils ma belle fille et moi, j’ai été surprise un matin par le visage bouffi de ma belle-fille.

Quand je lui ai demandé ce qu’elle avait, elle a éclaté en sanglots. Mon fils l’avait battue dans la nuit. Et il parait que ce n’était pas la première fois. J’ai été très déçue. J’ai fait une scène à mon fils et l’ai menacé de ne plus adresser la parole s’il le refait encore. Depuis, ma belle-fille dit qu’il se retient souvent. J’espère qu’il ne le fait pas seulement pour moi. et qu’il le fait par respect à sa femme. Je n’arrête pas de me dire que j’ai élevé un monstre et de m’en vouloir à mort alors que je crois être étrangère à ce trait de caractère de mon fils », nous confie Nna Ouardia, 70 ans. Elle conclut que le fait qu’un homme batte sa femme n’est autre qu’un signe de lâcheté. On ne bat pas plus faible que soi, dit-elle.

Sommes-nous une société violente, qui justifie la violence ? Les chiffres avancés par de nombreuses associations des droits de l’homme et des associations féministes montrent que c’est le cas. Des centaines de milliers de femmes subissent régulièrement des violences de la part de leurs conjoints. Le constat est là, évident mais la solution reste floue. Que faut-il faire pour que la maltraitance faite aux femmes cesse ? Quels sont les recours face à cet enfer ? Le débat est toujours de mise. La sensibilisation reste, pour l’instant, le seul moyen utilisé pour défendre ces milliers de femmes maltraitées et blessées au plus profond de leur être. On nous saoule chaque année, à chaque fête de la femme, seul jour d’ailleurs où l’on pense à la femme battue, avec des discours à dormir debout sur les mesures à prendre pour la protection des femmes violentées, sans résultat. Certaines associations nous assomment avec leurs réflexions, leurs commentaires, chiffres et soi-disant recherches, mais oublient ces derniers le temps d’une année encore. Rien de concret sur le terrain. Que des interrogations sans réponses. Que des discours sans actions sur le terrain. Fort heureusement, ce n’est pas le cas de tous les organismes. Des organismes internationaux ont même développé une stratégie de formation et de sensibilisation des volontaires aux droits économiques sociaux et culturels en 2007. Mais concrètement, aide-t-on assez ces femmes ? Les informons-nous suffisamment sur leurs droits et la démarche à suivre pour fuir cet enfer où elles se débattent pour la plupart depuis des années ? Car ces femmes ne dénoncent dans la majorité des cas que des années après le début de leurs sévices. Certains organismes à Tizi-Ouzou se sont attelés à faire de la protection de la femme violentée leur souci majeur. C’est le cas de l’Association culturelle Amusnaw qui a crée il y a trois ans déjà, une cellule d’écoute pour les femmes violentées et les enfants maltraités.

SOS Thafath

Une équipe composée d’écoutantes, de psychologue et d’avocats, qui activent à titre bénévole d’ailleurs, s’est engagée à combattre concrètement cette violence à l’égard des femmes. Des femmes sont battues et maltraitées parce que tout simplement elles sont femmes et vouées à la violence dans une société d’homme.

La cellule d’écoute SOS Thafath avec Faroudja Moussaoui à sa tête, aspire par tous les moyens légaux, à aider ces femmes à rompre le silence, de leur offrir toute l’assistance psychologique et juridique dont ces victimes ont besoin. L’équipe de SOS Thafath essaie d’abord de faire prendre conscience du mal qui ronge ces femmes. Elle leur fait comprendre que leur situation est inacceptable et injustifiée. L’équipe œuvre à rendre la dignité à ces femmes qui ne savent, pour la plupart, même plus ce que ce mot signifie à force de maltraitance et de sévices. L’équipe de la cellule, à travers des conventions avec d’autres organismes, notamment de formation, tente de permettre à ces femmes de développer des initiatives et des activités favorisant leur autonomie et engageant leur responsabilité. Permettre l’insertion de ces femmes constitue l’une des étapes les plus difficiles de la mission de SOS Thafath. Cette cellule, conçue pour les femmes et enfants victimes de violences, reçoit des centaines d’appels quotidiens. Deux numéros sont à la disposition des citoyennes et citoyens persécutés.

Et ce 24h/24h et 7j/7j. Une écoutante est toujours là pour répondre aux plaintes des victimes de violences. Au moindre signe de détresse, l’équipe répond. Il suffit d’envoyer un texto ou même de « bipper », les deux numéros pour que l’écoutante rappelle pour guider la victime. « Nous rappelons toujours les gens, quelle que soit l’heure de l’appel. Je prend le téléphone mobile avec moi pour être joignable à tout moment de la journée et de la nuit », nous dit une des écoutantes.

Il s’agit selon elle, de pas moins d’une trentaine d’appels mensuels dénonçant des violences conjugales. Dans la majorité des cas, l’écoutante tranquillise la victime dans un premier temps. Ensuite, elle l’oriente vers la psychologue si c’est nécessaire. Puis l’équipe la convoque avec son mari pour une confrontation. Une manière de tenter la réconciliation et de sensibiliser le mari quant aux droits de sa femme notamment en termes de respect. Cette étape passée, la victime est orientée vers un avocat pour lui expliquer ses droits, si elle désire déposer plainte ou se séparer de son conjoint. « Les séances de réconciliation sont toujours bénéfiques. Nous n’avons jamais eu de cas de mari qui n’ait pas reconnu son tort et qui n’ait pas promis d’arrêter de frapper sa femme », nous dit une des écoutantes.

Dans d’autres cas, cette étape est grillée. Il s’agit de cas de violence extrême. Les victimes sont prises en charge psychologiquement et orientées juridiquement. Ces victimes trouvent refuge dans les maisons de vieillesse au niveau de Tizi-Ouzou ou d’Alger. Une fois placées, les femmes désirant avoir une activité professionnelle sont orientées vers le monde du travail. L’organisme leur fournit toute l’aide nécessaire dans ce sens.

Des programmes de formation sont également conçus pour permettre à ces femmes, qui ont dit stop aux coups, de meilleure insertions dans le monde du travail et dans la société. Pour permettre cela, SOS Thafath a signé une convention avec un organisme de formation étatique dans la wilaya de Tizi-Ouzou. Ce sont pas moins de 10 femmes qui ont bénéficié de formations en 2007. Au niveau du siège de SOS Thafath, un programme d’alphabétisation a été élaboré pour permettre aux moins chanceuse de mieux gérer leur quotidien et d’avoir accès à l’écriture et la lecture.

Ce sont des femmes déterminées qui arrivent au siège de l’association, selon les membres de SOS Thafath. Généralement, elles ne sont pas à leurs premiers coups. Elles viennent blessées et épuisées. Rares sont celles qui abandonnent l’idée de dire enfin non aux coups. Malheureusement, dans quelques cas, les femmes abandonnent leur plainte. Elles sont 5% à se rétracter, selon un membre de l’association. « Elles abandonnent dès qu’on leur explique ce qui les attend. Le fait qu’elles doivent quitter leurs maris et déposer plainte contre lui pour violence. Nous faisons tout pour les rassurer mais nous sommes obligés de leur expliquer ce qui les attend et les éventuelles complications auxquelles elles doivent faire face. Elles prennent peur et renoncent », nous explique-t-elle.

Heureusement que la majorité des femmes vont jusqu’au bout de leur démarche. Pour faire connaître SOS Thafath, des affiches ont été placardées dans tous les endroits en relation avec ces femmes en souffrance afin de toucher le maximum. Ces affiches se sont retrouvées sur les murs des cabinets d’avocats, de médecins légistes, de psychologues, centres de formation et en milieu hospitaliers, des mois durant. Des spots publicitaires passent toujours sur les ondes de la Chaîne II. Des efforts qui ont apporté leurs fruits dès la première année de l’existence de cette cellule d’écoute. De la femme, « condamnée à mort » par sa famille, dont le seul tort a été de chanter dans une émission de radio à la femme torturée quotidiennement pour des motifs futiles, à celle jetée dans la rue sans raison valable, le téléphone n’arrête pas de sonner et les locaux de l’association ne désemplissent jamais. L’association est également derrière l’initiative du « Bus des droits humains ».

Il s’agit là d’un projet soutenu par la Commission européenne. Un bus avec à son bord des animateurs généralement bénévoles, sillonne les localités pour sensibiliser les citoyens quant aux violences infligées aux femmes et aux enfants. Un projet dont le but essentiel est de contribuer à l’amélioration de la condition de la femme et de l’enfant, le recensement des cas de violences, attirer l’attention des autorités compétentes sur la situation de la femme et de l’enfant et les amener à appliquer les lois aptes à les protéger. Il faut dire que des cas de violences sur enfants sont souvent décelés quand une maman maltraitée est reçue dans l’enceinte de l’organisme. Aucun appel, par contre ne dénonce des cas de maltraitance contre les enfants même si ils existent. Les enfants sont pris en charge par des psychologues. Nous reverrons ce sujet plus en détail dans d’autres éditions.

Ceci dit, si des associations activent et se démènent pour aider les femmes et le enfants en grande détresse, qu’en est-il des lois qui les protégent. En dehors des récentes modifications introduite au niveau du Code de la famille, la loi reste floue concernant les peines à l’encontre d’un mari violent. Il faut dire que nous ne sommes pas les seuls retardataires en la matière.

Contrairement à ce que l’on pense, ce n’est qu’en 2005 qu’un texte de loi a été proposé prévoyant de condamner à trois ans de prison les auteurs de violences conjugales et de reconnaître les viols entre conjoints. Contrairement à ce que l’on pense également, la violence conjugale n’est pas propre à la Kabylie, ni à l’Algérie. Il semblerait que la brutalité soit la première cause d’invalidité et de mortalité pour les Européennes de 16 à 44 ans, avant le cancer ou les accidents de la route. Plus de 600 femmes meurent chaque année. Cela fait deux par jour. Effrayant non ?! Quand on les entend parler de nous et leur air scandalisés devant nos chiffres on est tenté d’être content de les égaler au moins dans ce domaine. Mais dès qu’on voit la détresse des femmes et leur mal-être face à ce fléau, on dit qu’il ne devrait plus jamais y avoir de violence contre les femmes.

Samia A-B.

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