Mots et images en contrechamps

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n Par Amar Naït Messaoud

Les images du journal télévisé, les mots de la radio et la graphie des syntagmes du journal s’entrechoquent un moment dans la tête, suggèrent des situations, puis se défont et fondent dans l’anonymat des milliers de souvenirs. Il est possible-est c’est souvent le cas- qu’ils s’agrègent par la suite par bribes, par thèmes ou chronologiquement. Mais, une chose est sûre : il y a une sélection qui s’opère dans le cerveau, et ne sera gardé que ce qui aura marqué l’individu. La culture est quelque part définie de cette façon : c’est ce qui restera après qu’on aura tout oublié.

L’élaboration de l’information et sa transmission par n’importe quel canal étant en fait une mise en forme de faits et événements dans une version écrite, orale ou iconographique. La fidélité aux faits établis et l’objectivité dépendent aussi bien du support que du messager. Une information à laquelle manquerait l’évocation du contexte politique, social et culturel peut-elle être complète ? Des nouvelles non suivies de commentaires apportent-elles tout l’éclairage nécessaire à la compréhension des faits ? Mais, objectera-t-on, où se termine l’information et où commence le commentaire ? La première est sacrée, le second est libre.

À mi-chemin entre l’analyse et le commentaire-le choix des thèmes peut être jugé arbitraire-, nous essayerons dans ce modeste glossaire de rendre compte de quelques faits relatifs à l’actualité nationale immédiate ou des mois passés.

Brainstorming

Terme anglo-saxon propre à la technique de communication par un jeu de questions-réponses capable de générer un processus mental fructueux pour le sujet abordé. Il est traduit en français par “remue-méninge’’. Il a été introduit dans les bureaux du ministère de l’Information par M. Hachemi Djiar, ancien titulaire de ce poste.. À peine le monde de la presse avait-il commencé à se familiariser avec ce terme de “brainstorming’’ que ce département vit arriver à sa tête l’ancien secrétaire général de l’UNJA, M. Abderrazak Boukerzaza, qui était, jusque-là, ministre délégué à la Ville. L’instabilité des ministres n’étant pas un facteur d’encouragement ou de cohérence pour les départements concernés et les activités qu’ils gèrent, la corporation de la presse en a incontestablement connu d’autres.

Le nouveau ministre-délégué à la Communication, Azeddine Mihoubi, n’a pas encore montré de quoi sera empreinte la gestion de son département.

Mais, si l’on se souvient qu’il était secrétaire général de l’Union des écrivains algériens, il n’est pas à exclure que la littérature, ou du moins la culture prenne une place prépondérante sous son mandat. L’approche développée pendant son court mandat par Hachemi Djiar pour communiquer avec la presse et sa volonté affichée de faire participer les représentants de la presse aux grandes décisions concernant ce corps de métier marqueront, au moins pour un certain temps, les membres de cette corporation. Il faudra désormais ce poser la question de savoir si le département de la Communication, par-delà les concepts et les idéaux, saura encadrer et accompagner la presse indépendante dans son essor vers plus d’indépendance, de performance et de pédagogie par une gestion équitable de la manne publicitaire et des aides (fiscales, financières et autres) qui lui sont destinées. Le gouvernement pourra-t-il faire de la presse un compagnon de route, un contre-pouvoir par lequel se dessinera un jour la bonne gouvernance, et, surtout, pourra-t-il, en plus du lancement de nouvelles chaînes publiques, libérer le champ audiovisuel du monopole étatique désuet que l’Algérie est l’un des rares pays à subir encore en ce début du 3e millénaire ?

Cultes (gestion des)

Depuis le fameux inventaire des lieux de cultes chrétiens réclamé par le ministère des Affaires religieuses en 2005- et derrière lequel se cachait déjà une intention claire de “réprimer’’ les conversions dites massives des Algériens à la religion du Christ-, ce département ministériel n’a pas cessé de s’encombrer de projets de lois tendant à codifier la pratique du culte musulman, à mettre des commissions pour réguler la pratique des cultes non musulmans et à “mettre fin à l’anarchie des fetwas’’ d’importation ou de d’inspiration étrangère. Comme on ne manque pas de le constater, certaines décisions sont venues trop tardivement, c’est-à-dire après que notre jeunesse, via des émissaires orientaux et des émissions de télévision intégristes, eut été engluée dans une nouvelle “métaphysique’’ qui lui fait renier ses origines et les valeurs ancestrales de la société au point de déchirer la cellule familiale dans ce qu’elle a de plus précieux. On a même eu droit, en 2007, à une fetwa à califourchon entre le ridicule et la déraison. Elle a été prononcée par deux théologiens de l’université d’El Azhar : Ezzat Attia et Abdelmahdi Abdelkader. Ce décret religieux autorise deux personnes de sexes opposés- non mariés ensemble et qui ne sont pas proches parents- à se retrouver seuls dans un bureau à une seule condition : que la femme ait allaité cinq fois son collègue en lui donnant directement le sein. Quitte à ce que cela se fasse à l’âge adulte. Le journal égyptien “El Doustour’’ n’a pas cédé à la panique en faisant montre d’un humour réaliste et d’un esprit jouissif : «En vous rendant dans une administration publique, vous ne devriez pas être surpris si vous tombez un jour sur un fonctionnaire de 50 ans en train de téter sa collègue», écrit-il. Outre les chaînes satellitaires intégristes, la jeunesse algérienne subit aussi le matraquage des hebdos arabophones en couleur qui mêlent la libido avec une mystique à l’emporte-pièce. Sur ces points et sur bien d’autres encore, la réaction des autorités algériennes est souvent tardive, voire parfois inexistante. Dans la foulée, les responsables des Affaires religieuses semblent avoir les “pinceaux mêlés’’ en délirant sur une hypothétique campagne d’évangélisation qui viserait spécialement la Kabylie. Désormais, la pratique d’un culte autre que musulman (apprécions les contorsions sibyllines du style) est codifiée par le décret 07-158 du 27 mai 2007 qui prévoit l’installation d’une “Commission nationale des cultes’’. Cette dernière comporte des représentants de la Défense nationale, de l’Intérieur et des Collectivités locales, des Affaires étrangères, de la DGSN, de Commandement de la Gendarmerie nationale et de l’institution administrative des droits de l’Homme. On a plus affaire à une question de la sécurité de l’État qu’à la pratique du culte. Le chargé de communication des Affaires religieuses justifie ses mesures par la multiplication des actes de prosélytisme menés par des étrangers entrés en Algérie en tant que touristes ou journalistes. Là où certains pays ou organisations internationales voient une volonté de limitation de la liberté religieuse en Algérie, le ministère des Waqfs voit le «comblement d’un vide juridique» de façon à «veiller à l’ordre public (sic) et protéger la communauté étrangère de confession chrétienne (…) lors des manifestations religieuses. Il ne s’agit pas de textes de répression». Par ingénue déduction, la communauté algérienne de confession chrétienne- et elle existe, de l’aveu même du ministre du Culte- n’est pas concernée par de telles dispositions. On tombe à pic en contradiction avec l’intitulé du décret qui parle des cultes non musulmans sans précision de nationalité. Il faut dire que la gestion des pratiques religieuses a été décriée par le courant démocratique au courant de la décennie 1990. Tout à fait au début de l’ouverture politique, des partis et personnalités se réclamant de la démocratie avaient lancé le débat sur la laïcité. Mais, c’était compter sans les pesanteurs et les retards historiques qui ont obéré les chances de l’éclosion d’un vrai débat, et surtout sans les manœuvres scélérates qui préparaient le courant intégriste à la gestion des affaires du pays. À la veille du référendum sur la Charte sur la paix et la réconciliation nationale, M.Mohamed Mechati, ancien militant nationaliste et membre du groupe des 22, a lancé un appel solennel et pathétique par voie de presse à l’adresse des intellectuels algériens pour faire aboutir le principe de la séparation du religieux et du politique dans la vie publique nationale.

«Le fait d’ériger l’islam en religion d’État est une aberration, une erreur monumentale qui, pratiquement, assure le droit à celui qui est au pouvoir d’user et d’abuser en bonne conscience. L’islam ne doit pas être la religion de l’État. Il ne peut pas être la religion de l’État», déclare Mohamed Mechati, ajoutant : «il n’a pas suffi au pouvoir d’utiliser les mosquées et tous les médias de l’État en exclusivité ; il a fait ressusciter les zaouïas, il en a même créé de nouvelles avec le budget de l’État pour les besoins de sa politique».

Économie de guerre

Les années glorieuses d’une croissance mondiale frisant la surchauffe et connues en Algérie par la douce paresse, le farniente et la sécheresse intellectuelle malgré –ou à cause d’une rente pétrolière extraordinairement cotée- sont apparemment appelées à être suivies par des années de tension et de dèche été, autrement dit du recours à l’ “économie de guerre’’, concept hérité d’un ancien Premier ministre, Belaïd Abdesselam, qu’il a préconisé pour endiguer la crise économique du début des années 1990. L’auteur de cet énigmatique outil de gestion n’a pas fait dans l’économie de mots, en été 2007, pour régler des comptes avec ses anciens compagnons du gouvernement, si bien que la polémique a débordé le cadre de l’Internet, via lequel il (l’auteur) a lancé un livre, pour atterrir sur les bureaux des rédactions de journaux. Là on donna à la polémique le prolongement et la tournure qui sied. Les Algériens, écrasés par le temps qui passe, les ressacs d’une mer démontée, la hausse des prix et les rumeurs, n’ont pas eu le cœur à suivre un feuilleton dont on ne leur avait proposé que quelques feuillets. Il y a, comme cela, des personnages qui ne savent vivre et agir (ce dernier verbe paraît toutefois excessif dans le cas de figure qui nous occupe) que dans le passé. Passons !

Émeutes

La Pacte de paix que viennent de signer sous la forme d’une “feuille de route’’ les deux communautés de la vallée du M’Zab (Malékites et Ibadites) fait suite à une violence inouïe qu’a connue la ville de Beriane pendant plusieurs mois et où des morts ont été enregistrés. La culture de l’émeute est à ce point ancrée dans l’esprit de notre jeunesse qu’elle vient remplir le vide sidéral frappant cette frange importante de notre population en matière d’emploi, de loisirs et de divertissement. Outre une justice sociale de moins en moins repérable dans un contexte d’embellie financière jamais égalé auparavant, la culture du dialogue et de la communication entre gouvernants et gouvernés se trouve être la marchandise la plus rare dans le cosmos de la maison Algérie. Comme le développement est un tout insécable (niveau de vie, santé, culture, éducation,…), le sous-développement l’est d’autant. Et il est difficile de trouver meilleur concept pour qualifier ou caractériser cette situation d’anarchie où le citoyen se fait justice devant des canaux de dialogue qui n’ont jamais été bien exploités par les pouvoirs publics si, par malheur, ils ne les obturent pas. En tout cas, le “sang chaud’’ méditerranéen qui coule dans les veines des Algériens ne peut guère expliquer à lui seul la tendance à l’anarchie et à l’autodestruction. Face à l’opacité et au clientélisme qui caractérisent les actes d’intervention sociale de l’État (logements sociaux, soutiens à certaines catégories de citoyens, …) et devant la fermeture des horizons pour des milliers de jeunes sans qualification ou diplômés chômeurs, toutes les raisons sont les bienvenues pour en faire un tisonnier de la contestation : match de football (même si le club supporté en sort vainqueur), affichage de la liste des bénéficiaires de logements, recrutements sélectifs opérés par un entrepreneur- à qui, rappelons-le, on refuse le droit de ramener les ouvriers spécialisés qu’il a permanisés sur des chantiers relevant d’une autre commune ou wilaya-, absence d’éclairage public, détérioration de l’état de la route,…etc. Dans un pays où les canaux de communication sont rompus depuis longtemps- à supposer qu’ils aient un jour existé-, il est illusoire de s’attendre à des protestations “civilisées’’ ; car, outre l’absence de dialogue et de structuration efficace de la société civile susceptible de désamorcer ou, mieux encore, de prévenir de tels dérapages, les pouvoirs publics baignent jusqu’à présent dans une forme de déliquescence et d’apathie qui confinent la gestion du cadre de vie à une patente navigation à vue. Dans des situations aussi complexes et aussi fuyantes qui se posent en termes d’ordre public, il ne faut surtout pas s’étonner que des “mains invisibles’’ finissent par prendre en charge la protestation et donner la tournure qui “sied’’ à son contenu. Les manipulateurs ne sont malheureusement pas les payeurs. La démocratie, ce n’est pas seulement des rendez-vous électoraux, mais c’est aussi une culture et une justice sociale susceptibles de sublimer- au sens freudien- le potentiel de violence sociale en actes positifs de travail, de tolérance et de création à patrie d’origine.

Fatwa

La fatwa prononcée par deux éminences de l’université islamique d’El Azhar, Ezzat Attia et Abdelmahdi Abdelkader, ne cesse de faire des vagues en Égypte et de bénéficier de moult commentaires et analyses dans la plupart des pays musulmans, y compris en Algérie. Aucune qualification ne lui sied mieux que mot “ridicule’’. En effet, les deux théologiens sunnites autorisent deux personnes de sexes différents à se retrouver seules dans un bureau fermé à condition que la femme ait allaité son compagnon fût-ce à l’âge adulte, c’est-à-dire y compris dans le bureau où les deux personnes travaillent. Un journal égyptien a pu verser d’une façon jouissive dans cette ironie : «En vous rendant dans une administration publique, vous ne devriez pas être surpris si vous tombez un jour sur un fonctionnaire de 50 ans en train de téter sa collègue». De telles visions saugrenues de la société ne nous auraient pas intéressés-elles seraient classées dans la rubrique “insolites’’- si notre jeunesse ne se montrait pas si vulnérable face à toutes les hérésies que les vertus de la parabole et de l’Internet ont mises à portée de main. Ayant perdu les repères culturels qui font l’authenticité algérienne, la nouvelle génération se trouve, à son corps défendant, coincée entre une modernité mal assumée- où seuls les ersatz du développement lui sont accessibles- et une tradition qui s’effiloche à vue d’œil remplacée par une fumisterie qui s’appelle “Salafia’’.

Des sujets relevant d’une “mystique’’ nationale continuent à abreuver chez nous le système idéologique des décennies durant sous l’intitulé générique de “constantes nationales’’ et dont on continue à subir les séquelles. Nous désignons entre autres les jours de repos hebdomadaire et l’appel à la prière via la télévision. Lorsqu’une administration d’un pays fortement dépendant de l’étranger en matière d’approvisionnement reste sourde aux pertes générées- et qui se calculent en millions de dollars- par la mise à l’arrêt des bateaux en rade en raison de deux week-ends cumulés dans une semaine, c’est qu’il y a quelque part une raison fêlée qui continue à présider à nos destinées. Par rapport à nos partenaires étrangers qui deviennent de plus en plus nombreux, l’Algérie ne travaille que trois jours dans la semaine, et cela au nom d’un “impératif’’ religieux : la prière du vendredi. Pourtant, il ne faut pas être grand clerc pour pouvoir aménager une plage horaire pour permettre aux fidèles d’accomplir leur prière hebdomadaire. L’exemple unique de Mettal Sider de Annaba-vendredi et samedi déclarés jours fériés par la direction de l’entreprise- pourrait-il faire tâche d’huile dans les autres institutions administratives et économiques algériennes ? Quant à l’appel à la prière réintroduit à partir à partir de 2005 sur l’antenne de l’ENTV, il brille surtout par son anachronisme dans un pays très large traversé par plusieurs méridiens. Cela reproduit quelque part cette image d’Épinal qui fait d’Alger, par nombrilisme administratif, le barycentre du pays. Car, lorsque le muezzin appelle à la prière du maghreb à Alger, les prieurs de Tébessa font déjà leurs ablutions pour la prière de l’Icha, alors que ceux de Naâama et de Bougtob n’ont pas encore rentré leurs troupeaux après une journée harassante sur la steppe.

Gérer, gouverner

«Il est temps de faire des mécontents pour gouverner». Cette “recommandation’’ ne vient pas d’un quelconque dictateur gagné par le masochisme ni d’un cynique mégalomane grisé par les pouvoir. Elle est de Romano Prodi, président du Conseil italien, poussé à la démission le mois passé, et intellectuel bâtisseur de l’idée européenne. La thèse défendue étant qu’un responsable, à quelque niveau qu’il soit, doit s’éloigner des rapports de complaisance et des traitement populistes des dossiers et des problèmes qui lui sont soumis. En se forgeant une personnalité d’endurance toute dévouée au bien public, l’on verrait mal en effet un responsable emporter l’adhésion de tous les acteurs et sujets politiques du pays. Mais, c’est un choix à faire de servir le pays et la république, et c’en est un autre d’entretenir des courtisans et des clientèles. Ces choix ont pour substratum les valeurs morales et intellectuelles des personnes désignées ou élues à une responsabilité politique. Ce qui vaut pour les hommes vaut aussi ipso facto pour les institutions. Au-delà des “péché mignon’’ de la représentativité tant contestée de l’APN-suite à la défection des électeurs en mai 2007-, la raison et le bon sens auraient voulu que cette honorable institution ait le panache de sublimer ses faiblesses et de transformer son handicap de légitimité en surcroît de labeur, de rectitude et surtout d’indépendance par rapport au pouvoir exécutif. Cela aurait été la meilleure manière d’annihiler les suspicions d’assemblée “croupion’’ et de servir loyalement la Nation. L’on peut aussi légitimement se poser la question de savoir pourquoi des forums et d’autres réunions coûteuses et harassantes sont organisés par les pouvoirs publics lorsque le contenu peut et doit être le “menu’’ normal, voire banal, de l’Assemblée populaire nationale. Les commissions parlementaires spécialisées et la plénière, lorsque la session arrive à échéance ou lorsque la nécessité se fait sentir, sont censées prendre en charge l’ensemble des questions et des problèmes qui se posent à la collectivités dans tous les secteurs d’activité. Les procédures qui consistent à mettre directement en contact les décideurs et les agents d’exécution, même si elles sont nourries de la bonne foi et du souci de faire avancer les choses, n’en comportent pas moins un style et une méthode dépassés par le temps. La cohérence, le souci d’efficacité et la gestion démocratique des grands dossiers de la Nation ne peuvent faire l’économie d’une mise en conformité des grands principes constitutionnels avec l’ossature institutionnelle mise en place. C’est incontestablement de cette manière que l’un des attributs essentiels de l’alternance au pouvoir peut jouer son rôle d’une manière efficiente. Pour ces raisons et pour bien d’autres encore plus saillantes, les citoyens-électeurs accordent difficilement du crédit aux différentes institutions élues, y compris la plus proche d’eux, à savoir l’APC. Cette confiance est d’autant plus frêle et vacillante qu’elle ne se voit pas confortée par un quelconque bilan des mandats passées. Car, il faut bien qu’un jour les vérités soient dites et que gouvernants et gouvernés se regardent droit dans les yeux. La logique voudrait qu’on accorde sa confiance à l’institution d’abord avant de l’accorder aux partis se proposant à y siéger. Or, la confiance se mérite. La crédibilité, l’indépendance et l’efficacité ne peuvent s’accommoder de larbinisme ou de la courtisanerie de bas étage. Quitte, pour cela, comme le suggère l’homme politique italien, à faire des mécontents. Mais, contents et reconnaissants seront tous les hommes de bonne volonté acquis aux nobles idées de service public, de modernité politique et de citoyenneté.

Harragas

Nouveau bureau de main-d’œuvre alimentant en clandestins les fermes d’Andalousie, les marchés d’Ankara et les foires de Kuala Lumpur. Le mot est en passe de s’imposer dans le lexique mondial (ou mondialisé) au même titre que la “Hogra’’. Mais, cet algérianisme dit pour nous les déboires, les impasses et la déréliction humaine d’un pays dont le destin aurait pu être mille fois plus florissant. Au cours de ces derniers mois, des centaines de jeunes Algériens tentant de fuir le pays sur des embarcations de fortune ou “incrustés’’ dans des navires de commerce ont été interceptés par les gardes-côtes de la région Ouest et des wilayas côtières de l’Est. Des dizaines de cadavres ont été rejetés par la mer après avoir longuement flotté comme les bouteilles porteuses de messages désespérés.

La présente campagne électorale pour les présidentielles du 9 avril prochain n’a pas manqué de se saisir d’un sujet aussi “porteur’’. Mais, qui pourra convaincre les candidats à la harga que presque un demi-siècle d’ enfer pourra être transformé du jour en lendemain en paradis. Ce qui était, il y a quelques années, de lointains “faits divers’’ africains ou de simples entrefilets de la presse suscitant la compassion des ONG humanitaires est en train de se banaliser- sous nos yeux hagards et impuissants- sur les côtes d’Algérie. Si le phénomène dans notre pays a d’abord été connu à l’Ouest, à l’Est, même si les statistiques ne sont pas très prolifiques, les réseaux et les filières de Annaba vers la Sicile sont connus des services de sécurité et des garde-côtes. L’ironie de l’histoire a même voulu que les barques accordées par le soutien de l’État à des jeunes pour s’investir dans les métiers de pêche changent de vocation pour transporter des harragas pour 250 000 DA la place ! L’Algérie, qui était considérée comme zone de transit pour l’immigration clandestine africaine (l’itinéraire Niger-Adrar-Oran-Maghnia étant balisé par des passeurs depuis des années), est en passe de rivaliser avec les pays de l’Afrique subsaharienne en matière d’ “exportation’’ d’une jeunesse poussée dans ses derniers retranchements et mise en situation de loques humaines. Y a t-il un signe plus révélateur de l’échec d’une politique sensée servir la frange la plus importante de la population algérienne représentant presque 70% de celle-ci ? A l’échelle continentale, les analystes parlent crûment de l’échec des indépendances. Sans toucher à cette extrémité- car l’Algérie possédait des atouts humains et des potentialités naturelles qui auraient pu la soustraire au sort peu enviable de beaucoup d’autres pays africains-, il y a quand même lieu de constater les dégâts causés par la démagogie et l’économie rentière dans ce que le pays compte comme véritable capital en puissance. Ce ne sont évidemment pas les structures et les institutions conçues pour le secteur de la jeunesse qui manquent en Algérie. Du ministère de la Jeunesse et des sports jusqu’au ministère de la Solidarité nationale, en passant par les ministères de l’Éducation, de la Formation professionnelle et de la Culture, des dossiers et des services sont consacrés spécialement à la politique de la jeunesse. Néanmoins, plus on fouine dans les arcanes de cette méga-bureaucratie plus on se résout à considérer que ce sont souvent des corps inertes et désincarnés, en tous cas loin de se mettre au diapason d’une jeunesse travaillée au corps par les frustrations devant un monde, lointain et proche à la fois, où la vie grouille de moult exubérances, brille de mille feux et chante joie et alacrité. Mais, c’est un monde qui ne s’est pas fait ex nihilo. Notre école n’a pas su donner les clefs qui permettent d’accéder au savoir qui a fondé les sociétés occidentales. La formation professionnelle a, jusqu’à un passé récent, été considérée comme le carrefour des cancres qui ne reçoit que les recalés du système scolaire. Au moment où des sociétés étrangères s’installent en Algérie, les ouvriers spécialisés, les charpentiers, les métreurs vérificateurs,…manquent à l’appel. Que peut valoir le Salon du livre dans un pays déserté par les lecteurs ? Aucune force psychologique ou intellectuelle n’a pu pénétrer la majorité de la jeunesse algérienne. Même l’islamisme- hormis les agitations politiciennes brandies par une “élite’’ située à la périphérie du pouvoir et/ou de la rente- ne constitue plus une alternative sérieuse pour une frange plongée dans une véritable déréliction humaine. Peut-on espérer qu’un jour les structures budgétivores de l’État arrêteront de naviguer à vue et mettront en branle des actions rédemptrices qui, d’une épave humaine, pourront faire un citoyen ?

Lait

Le plus stupéfiant la crise récurrente du lait est ce comportement de la ‘’vierge effarouchée’’ adopté par les pouvoirs publics faisant comme si l’on découvrait subitement un mal dans le corps de la société. Le mal était pourtant là depuis longtemps. Insidieux, sournois, depuis belle lurette programmé par les gestionnaires de la rente lorsque des vaches laitières de France, de Nouvelle-Zélande, de Hollande et du Canada étaient subventionnées par la rente pétrolière algérienne (or noir qui permet de payer l’or blanc). Le lait était indistinctement (poudre et sachet) subventionné.

Après la chute du baril en 1986, le gouvernement algérien continuait, contre vents et marées, à adopter tête baissée les mêmes méthodes. La libéralisation des prix qui fait suite au rééchelonnement de la dette extérieure entraîna la multiplication du prix du sachet de lait par dix (comme d’ailleurs pour la plupart des produits soutenus : sucre, semoule). Le vil prix auquel était ramené le lait en poudre à la fin des années 1990 a non seulement généré le gaspillage, mais il a surtout crée des réseaux de contrebandes qui font fi des distances et des dangers du Désert pour acheminer le produit vers le Mali, le Niger et le Maroc. La libéralisation tardive des prix du lait au début des années 1990 ne pouvait pas rétablir les équilibres dans l’immédiat. C’est pourquoi, un soutien, aux producteurs cette fois-ci, est consenti par l’État via l’élevage bovin et le réseau de collecte de lait. Mais, comme tous les dispositifs de soutien dans notre pays, celui-ci n’échappe pas aux détournements et au mauvais ciblage. Pire, il ne fait pas partie d’une politique globale qui revaloriserait les fourrages, les parcours et les prairies artificielles. Même le réseau de collecte a subi de tels couacs que certains producteurs de l’Est du pays se trouvant en surproduction de lait ont dû jeter le produit dans les rivières. Il est évident qu’avec une politique aussi peu cohérente, ce n’est pas le soutien actuel du sachet de lait qui fera sortir la corporation de la crise ni les citoyens de leur angoisse.

La crise du lait et de la pomme de terre désignent pour nous deux ministères chargés de leurs dossiers : l’Agriculture et le Commerce. Mais le problème ne se limite pas à ces deux institutions. Il fait partie d’un déficit de réorganisation de l’économie nationale pour qu’elle puisse être soustraite au mode rentier de gestion de façon à inaugurer une autre politique basée sur la valorisation des potentialités locales loin du verbiage et de la démagogie.

Pomme de terre

Tubercule connu et répandu dans le bassin méditerranéen depuis au moins deux siècles, après qu’il fût ramené d’Amérique latine par l’Europe conquérante au courant du 16e siècle. Ce lointain exotisme est en train de reprendre ses couleurs sous le ciel d’un pays pétrolier qui a pour nom Algérie. En effet, après être passé pendant presque un demi-siècle pour l’ “aliment du pauvre’’ avec des prix moyens qui la situent à l’équivalent de deux baguettes de pain, ne voilà-t-il pas que cette solanacée frôle allègrement le prix de l’ex-exotique banane au point où la gouaille algérienne, jamais en panne d’imagination, fait circuler l’idée de la possibilité de faire des frites avec des bananes. En reprenant le cheminement causal du destin peu glorieux auquel se trouve réduite la patate sur la terre d’Algérie, le président de la Chambre nationale d’agriculture en avait appelé carrément à l’arbitrage de Abdelaziz Bouteflika en 2008 pour organiser les assises de l’agriculture. Or, pour ceux qui n’ont pas la mémoire courte, ces assises ont déjà eu lieu en 1992. En outre, au début de l’année 2009, d’autres assises ont eu lieu à Biskra. A trop verser dans la politique des assises-à l’image de ceux qui, en politique, raffolent des États Généraux-on risquerait d’être contraint de parodier une fameuse interjection connue depuis la fin du 19e siècle : «Agriculteurs de toutes les wilayas, asseyez-vous» ! En effet, aussi bien pour le problème de la pomme de terre, de la crise du lait que des prix qui demeurent trop élevés des légumes secs (pois chiches, lentille), les errements de la politique agricole des années 1970/80 ont fait que l’agriculteur algérien était astreint à “s’asseoir’’ et à aller plutôt s’approvisionner dans une surface appelée par une peu ragoûtante ironie de l’histoire “Souk El Fellah’’. L’État, paradoxalement et par la vertu euphorique de la rente, lui fait la concurrence en subventionnant des producteurs étrangers qui nous fournissaient lait, lentilles, pois chiches et patates. N’avons-nous pas consommé dans la marmite de la semence de pomme de terre importée de Hollande ? Ce n’était, après tout, que justice. Quel sens de l’humour ont développé les décideurs de l’époque en important de la semence tout en sachant que l’on en avait nul besoin ! Dans une connivence générale, tout le monde accepta la situation. Dans une inconscience coupable, tout le monde trouva son compte. Le réveil fut brutal et continue à nous brutaliser.

A. N. M.

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