L’inquiétude règne toujours à Tizi-Ouzou

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Le jeune homme en question était rentré, quelques jours plus tôt du Canada. Moult prélèvements ont été effectués et le ministère de la tutelle a annoncé qu’il ne s’agissait que d’une grippe saisonnière. Ce qui n’a pas apaisé l’inquiétude des citoyens à Tizi-Ouzou. Les différentes annoncent faites récemment par les autorités sanitaires ne semblent plus avoir d’effets apaisants sur la population, plus précisément depuis que les deux cas de grippe porcine ont été confirmés par ces mêmes services. Kamelia, 34 ans, commerciale nous raconte : « On croyait réellement être à l’abri. On nous a tellement dit que la situation était contrôlée et que toutes les mesures étaient mises en place pour éviter l’apparition de la grippe porcine, notamment en sécurisant les ports et les aéroports. On se demande par où la dame et ses deux enfants sont passés. Et ce n’est que maintenant qu’on nous parle de l’incubation !

Au lieu de perdre du temps à parler de lutte et de mesures inefficaces, qu’on trouve un moyen de détecter le virus à temps. Et puis pourquoi ne pas imposer des examens et des prélèvements aux passagers lors de l’embarquement dans le pays de départ ? Pourquoi attendre que les personnes arrivent ici et sèment autant de peur ? Nous ne sommes pas aussi pressés qu’avant de recevoir nos amis et les membres de notre famille qui viennent de l’étranger. Nous sommes terrorisés. Nous attendons tous des membres de la famille qui vont venir de l’étranger pour les vacances et le ramadan. Je ne veux pas éviter mon frère, qui viendra bientôt du Canada, des jours durant, pour savoir s’il porte le virus et si ce dernier n’était qu’en incubation ! Et pareil pour ma sœur qui doit venir d’Espagne pour les vacances ». La région qui attend ses immigrés ne semble pas, en effet, prête à baisser la garde.

Il est difficile de faire fie des risques de contamination durant les prochaines vacances qui verront l’arrivée de milliers de ressortissants algériens de l’étranger, notamment ceux vivant dans les pays à risque. Pour éviter les gênes tant aux hôtes qu’aux éventuels convives, les plans D sont adoptés ça et là. Si les autorités concernées parlent de mesures, de la mise en œuvre médico-sanitaires prévues dans le plan national de lutte contre la pandémie de grippe A/H1N1, du projet d’acquisition de caméras thermiques qui serviront à détecter des cas suspects de grippe porcine et autres dispositions prévues pour limiter les risques, la population elle, qui lit partout que toutes les mesures prises ne suffiront pas à les protéger, a également ses propres méthodes pour esquiver le virus et se protéger de la pandémie. Pour certains, il n’est plus question d’assister à toutes les fêtes auxquelles elles sont conviées cet été. Les fêtes rassemblant des immigrés sont vivement déconseillées.

Les rassemblements familiaux subissent le même sort. Il est également question d’adopter les mêmes mesures à la plage. Certaines vont même jusqu’à limiter les sorties en public durant les prochaines semaines, période à risque selon eux. C’est le cas de Hayet, 33 ans, femme au foyer : « J’étais invitée chez ma tante à Alger pour le mariage de son fils. je me suis préparée pour cet événement qu’on attendais tous avec impatience, étant donné l’âge avancé de mon cousin. Avec l’annonce des deux cas de grippe porcine, nous n’avons pas pu nous empêcher de réfléchir à deux fois avant d’y aller, mon mari et moi. Nous avons d’ailleurs annulé notre déplacement. Cela ressemble à de la paranoïa, mais croyez-moi quand on a un bébé d’une année à peine, on n’exagère jamais quel que soit l’absurdité de nos gestes. J’ai retiré mon fils de sa crèche et l’ai « enfermé » avec moi à la maison pour les mêmes raisons. On peut me traiter de folle. Oui, je suis une folle qui évite à son fils et elle-même tout risque de contamination ! ».

La vigilance est de mise partout. Les gens ont peur. Et c’est visible depuis quelques jours. On ne parle que de la pandémie et de la meilleure façon de l’éviter. On se transmet les astuces dans les salles d’attente des médecins, les lieux de travail, chez la coiffeuse et dans les cafés populaires et autres salons de thé. Ces deux derniers figurent d’ailleurs sur la liste des endroits à boycotter. Les plus vigilants fréquentent de moins en moins les cafétérias et autres selfs dans lesquels l’hygiène n’est pas souvent contrôlée. Alors que la première règle de prévention est avant tout le respect de l’hygiène.

Karim, 45 ans, informaticien : « Je ne fréquente plus les cafés comme avant. Et même quand ça m’arrive d’aller au café, je commande ma boisson dans un gobelet jetable et n’utilise que des cuillères en plastique. Cela ne doit pas être grand-chose, mais j’ai l’impression de limiter les risques de contamination. A côté de cela, je n’oublie pas de me laver les mains et de me désinfecter à l’alcool fréquemment, notamment suite à une poignée de main. Dès qu’on me touche la main, je m’empresse de me laver, discrètement bien sûr. Ce sont des mesures que j’ai adopté même lors de la propagation de la conjonctivite il y a quelques années.

Elle ne m’a jamais touché ! J’espère que ce sera le cas de la grippe porcine si jamais la pandémie venait à se répandre chez nous ». Karim nous confie qu’il regrette un peu que sa petite famille le « subisse » et doive se soumettre à ses « règles » souvent à contre cœur, mais il avoue que la peur qui l’habite ne partirait qu’une fois que la pandémie partie et oubliée.

Les enfants de Karim sont les premiers à se plaindre de son excès quant à ses méthodes préventives. Il faut dire qu’une interdiction totale et sans discussion a été « décrétée » par le papa, depuis le début des vacances scolaires.

Ce dernier a tout fait pour que ses enfants ne s’ennuient pas, faisant des trous dans le budget pour offrir à ses deux garçons tous les moyens possibles et existants en termes de jeux vidéo afin de compenser leurs manques. « Quand ils se plaignent de ne pas voir leurs amis, ils me font de la peine, mais quand je me rappelle que ce virus a fait des morts dans le monde, j’ai envie de les enfermer et de leur mettre des masques même à la maison ! », s’inquiète Karim.

Il faut dire qu’avec les dernières déclarations des scientifiques concernant les sangliers et leur capacité d’être à l’origine du développement du virus de la grippe porcine, nous ne pouvons pas dormir sur nos deux oreilles. Nous ne sommes pas à l’abri, même si nous échappons à la contamination à travers nos immigrés.

Ces derniers ont beau être sains, le risque restera et persistera. Le nombre important que recèlent la région et ses forêts de sanglier inquiète la population à plus d’un titre. Les sangliers vivent souvent à proximité des habitations, leurs traces sont souvent visibles dans les jardins et les potagers familiaux. Si la région fait partie des zones à grands risques, les autorités sanitaires doivent doubler d’efforts en termes de préventions, de moyens et d’équipements. Seulement, il semblerait que ce ne soit pas le cas. Intervenant sur la presse, certains responsables parlent d’insuffisance. Il semblerait que les 34000 vaccins, qui constituent le stock,, restent insuffisants. D’après certains microbiologistes ce vaccin même s’il est disponible en quantités suffisantes ne serait pas aussi efficace comme on l’a annoncé. Quand les représentants des services sanitaires rassurent et que des scientifiques réfutent l’efficacité du vaccin contre la grippe porcine qui croire ?

Pour Aldjia, 37 ans, secrétaire juridique : « On lit de tout ces dernières semaines. Certains articles rassurent, d‘autres ne font qu’augmenter nos craintes. Il est difficile de se fier aux uns qu’aux autres mais on a tendance à s’alarmer, à faire partie de la deuxième catégorie et s’inquiéter à la moindre intervention concernant le sujet. Pour plus de sécurité, personnellement je préfère m’alarmer pour rien et même croire aux scénariis les plus effrayants de cette manière je ne baisse jamais la garde et éviterai le pire. Je ne veux pas me fier aux discours les plus optimistes et rassurants et risquer de me retrouver avec le virus. Pour l’instant l’hygiène reste ma seule arme. On en parle beaucoup ailleurs mais chez nous, on s’entête à nous dire que tout va bien et que la situation est contrôlée. Il est difficile à ces discours quand on sait que les pays les plus développés avec tous les moyens dont ils disposent n’ont pas échappé au virus. Ce dernier a bouleversé le monde ces dernières semaines. Ce n’est pas pour rien ». Aldjia qui a une sœur médecin s’est ruinée en communications téléphoniques.

A la moindre alerte, éternuement, température ou petite fatigue, notamment remarquée chez ses deux filles, elle saute sur le téléphone. C’est d’ailleurs le cas de beaucoup de citoyens qui, au moindre petit signe, courent chez un médecin.

Les consultations quotidiennes des médecins, notamment les médecins de campagne, ont considérablement augmenté. Même chose pour les centres sanitaires. Dès les moindres signes de grippe, on s’empresse de consulter un médecin. Sait-on jamais ! Avec tout ce qui se dit sur cette pandémie, il vaut mieux être vigilent.

La « surmédiatisation » de cette maladie, chez nous ou ailleurs, est d’ailleurs au centre des débats lors de tout regroupement ou rencontre. Aux fêtes de mariage, au café, au restaurant, dans les salles d’attente des médecins et centres sanitaires, on ne parle plus que de la grippe porcine.

A la télévision aussi, d’ailleurs. La plupart des JT sont riches en événements concernant la pandémie. De nouveaux chiffres sont également quotidiennement diffusés. Il est difficile de se rassurer quand on entend les chiffres. Si l’inquiétude a gagné le cœur de la plupart des personnes que nous avons rencontrées. Certaines ne semblent pas céder à l’ »alarmisme », pour reprendre leur expression. Ceux-là pensent que la surmédiatisation est voulue par les industriels mondiaux, ceux qui fabriquent les vaccins contre le virus de la grippe A/H1N1.

Pour Saïd, 24 ans, technicien en froid et climatisation : « On nous fait croire que c’est l’apocalypse alors que le virus a un vaccin. Et il est connu. L’état d’alerte et d’angoisse qu’on a semé ne va pas avec la réalité. Je comprendrai cet état des choses s’il n’y avait pas de remède à ce virus. Il suffit d’être vigilent, de consulter à temps et de contrôler aux frontières, même si cette dernière mesure s’est avérée inefficace puisqu’avec toutes les mesures prises, les deux premiers cas enregistrés en Algérie on pu passer le contrôle sans soucis. Je ne suis pas très confiant et ne prends pas à la légère le virus, mais je trouve exagéré tout se qui se dit à ce sujet »,. Saïd dit qu’en dehors de quelques mesures d’hygiène, indispensables, il mène sa vie comme à l’ordinaire. Il évoque avec, un grand sourire, la terreur qui a atteint son meilleur ami Djamel qui ne se déplace plus que pour des cas de force majeure, pour éviter d’emprunter les transports en commun ! « Je crois que les décès liés à ce virus sont dûs à l’ignorance des sujets, la négligence des symptômes et au retard dans la consultation. Puis si je dois mourir un jour de la grippe porcine ou pas, je ne vais pas y échapper en me cloitrant chez moi. Autant vivre sans angoisse les quelques jours qui précédent mes adieux à la terre ! », conclut Saïd. Concernant les autorités algériennes et leur persistance à rassurer la population, Ahmed, 33 ans, employé nous dit : « C’est normal. Ils ne peuvent pas rajouter de l’huile sur le feu et risquer de voir 31 millions d’Algériens se ruer vers les hôpitaux et centre sanitaires pour se faire vacciner. Il est vrai qu’il ne faut pas également prendre à la légère ce virus sinon les résultats ne seront pas réjouissants.

L’idéal est de dire les vérités sans retenue et sans exagération. Il faut nous informer pas nous berner. Quand on nous dit que les deux personnes atteintes du virus sont complètement établies et sont rentrées chez elles, qu’en est-il des 12 cas suspects dont on avait tant parlé et qui étaient en contact direct avec la femme portant le virus, la semaine dernière. Pourquoi on ne nous dit pas s’ils sont réellement porteurs du virus ou pas ? Ils peuvent être parmi nous ! Si la vérité est dite entièrement et à temps, je ne crois pas que l’alarmisme puisse trouver sa place chez nous ». Pour les gens qui souffrent de la « rétention d’information » concernant ce virus et le risque de son développement chez nous, il est déjà nécessaire de savoir ce qu’est ce virus.

Selon la définition courante, la grippe porcine est une maladie respiratoire aiguë provoquée par un virus grippal porcin de type A. Elle est endémique chez les porcs, avec une estimation de 25% des animaux atteints à l’échelle mondiale. Son taux de morbidité est élevé et son taux de mortalité est faible. Le virus est transmis par contact direct et indirect et par aérosols, par des animaux malades ou porteurs asymptomatiques. En zone tempérée il existe des pics épidémiques en automne et en hiver. Des vaccinations systématiques sont effectuées sur les populations de porcs dans de nombreux pays. Les virus grippaux porcins les plus fréquents appartiennent au sous-type H1N1 mais d’autres sous-types existent et les porcs peuvent être co-infectés par plusieurs types de virus en même temps, ce qui peut engendrer un virus recombiné résultant du mélange de différents sous-types. Ces virus n’infectent normalement que les porcs mais ils peuvent parfois passer la barrière de l’espèce et provoquer la maladie chez l’homme, généralement chez des personnes en contact étroit avec les porcs. Quelques cas de transmissions interhumaines ont également été rapportés auparavant, avant même l’actuelle pandémie. En 1976, elle a causé la mort de 25 personnes aux Etats-Unis. Le dernier bilan de l’OMS fait état de 59.814 personnes contaminées à ce jour dans le monde, faisant 263 morts. Depuis le précédent bilan de l’OMS, publié mercredi dernier, on recense 3.949 nouveaux cas de grippe porcine, dont 25 morts supplémentaires. Selon l’OMS, les pays les plus touchés sont les Etats-Unis avec 21 449 cas, dont 87 morts, le Mexique avec 8 279 cas, le Canada avec 6 732 cas, le Chili avec 5 186 cas dont 7 morts, l’Australie avec 3 280 cas dont 3 morts, le Royaume-Uni avec 3 597 cas, l’Argentine avec 1 391 cas dont 21 morts, ainsi que le Japon 1 049 cas. L’Organisation mondiale de la santé avait relevé à 6, au début du mois courant, le niveau d’alerte pandémique et recommandé aux laboratoires d’accélérer la production de vaccins contre cette grippe.

Ces derniers doublent la mise mais écartent, pour la plupart, l’éventualité de faire des dons de plusieurs lots de vaccins aux pays les plus pauvres. La décision de revoir à la baisse le prix des vaccins a été récemment prise. En Algérie, les responsables rassurent. Saïdal semble disposer de moyens suffisants pour répondre à toutes sortes de demandes. Le vaccin contre la grippe porcine, serait prévu pour l’automne en Algérie et partout dans le monde, selon ces mêmes responsables.

On parle de stock suffisant de vaccins et de masques de protection, du projet d’importation de 65 millions de flacons du vaccin dès son lancement. Seulement, après la récente annonce des derniers chiffres de l’OMS, il n’y a plus de doute sur la nécessité de prendre au sérieux la pandémie de la grippe porcine. En attendant l’arrivée des 65 millions de flacons, on mise plutôt sur la vigilance. « Il vaut mieux prévenir que guérir » est devenu le dicton du moment à Tizi !

Samia A. B.

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