Quand l’ennui accentue le manque d’imagination

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Ceux là vivent plutôt la nuit que le jour. Histoire de raccourcir le temps de jeûne, en dormant d’avantage la journée et de faire la réserve de calorie, en passant l’essentiel de la nuit entre la télé et le frigo ! Ceux-là auraient été bien content d’avoir autre chose que le remplissage de leur estomac et les interminables séries orientales ou autres, à chacun son goût, pour passer une bonne soirée.

Farid 23 ans : Fait partie de cette catégorie de jeûneurs. Il nous raconte ses soirées. «Mes soirées sont calmes depuis le début du Ramadhan. En dehors de ce mois je m’amusais mieux et sortais plus. Il faut dire qu’on est trop assommés pour sortir le soir.

Et puis n’y a rien à faire dehors. A part quelques courtes sorties au café du quartier, je ne mets plus les pieds dehors depuis le début du mois de Ramadhan. Rien ne nous attire dehors. Du coup, je passe mes soirées en face de ma télévision. Il m’arrive de ne dormir qu’à l’aube et de me réveiller à 15 heures. Je suis toujours en vacances, alors j’en profite. La reprise universitaire n’est prévue que pour le mois prochain. Le temps de souffler et de reprendre un rythme normal». Farid n’est pas le seul à passer plus de temps au lit en ce mois de Carême. Pour raccourcir les journées, nombreux sont ceux qui font connaissance avec la grâce matinée, même si à leurs habitudes ils ont toujours été des lèves-tôt. Mohamed Arezki nous en parle : «D’habitude, je suis un lève-tôt. Et si je tarde un peu au lit, j’ai la tête qui tourne le reste de la journée.

Depuis le début du mois de Ramadan, je fais tout pour ne pas me lever avant 10 heures, même si je suis réveillé. Il faut dire que je peux me le permettre. Je suis mon propre patron. Je veille beaucoup la nuit. Je ne dors qu’aux coups de 3 heures du matin. Je me permets, donc naturellement, des prolongations au lit !!», nous raconte notre interlocuteur qui cherchait même un employé de bureau pour lui couvrir ses «absences».

Où passe Mohamed Arezki ses soirées ? Et bien, comme la plupart des Tiziouziens, à la maison en face de la télé. Et pour cause. La ville de Tizi-Ouzou devient quasiment déserte dès l’appel à la rupture du jeune. «Ca ne m’intéresse pas de sortir sans ma petite famille. Et il n’y a pas où aller quand on a envie de sortir en famille à Tizi-Ouzou, ramadhan ou pas.

Pour ce mois de Carême, nous avons attendu quelques jours pour savoir ce que les soirées donneraient. Nous avons alors décidé de partir de temps à autre à Alger, où il fait meilleur vivre qu’ici durant le Ramadhan. Là bas, je ne m’inquiète pas si ma femme sort faire ses emplettes pour l’Aïd toute seule. Ici, on ne peut même pas se permettre de sortir à deux la nuit, sans voiture.

Le seul coin vivant de cette ville durant le mois, c’est la Maison de la culture. Et là ma femme ne veut même pas en entendre parler. Elle a peur de la foule et d’éventuelles bousculades, étant donné qu’on ne peut sortir sans notre bébé de 14 mois. Du coup, on est plus dedans qu’en dehors de la maison, cette année», nous répond Mohamed Arezki qui avoue s’ennuyer un peu. Seulement, même s’ils s’ennuient un peu les hommes à Tizi-Ouzou, ils demeurent mieux lotis que les femmes. Même leurs virées aux cafés leur sont enviées.

Il faut dire qu’ils ne manquent pas de moyens de divertissement là-bas. Domino, jeux de cartes et même jeux de hasards tel le loto, particulièrement prisé durant ce mois sacré, animent l’ensemble de leurs soirées.

Des soirées qui se terminent, pour certains, à quelques minutes de l’Imsak. Pour ceux qui font la prière, etarawih, prend déjà une partie de la soirée.

Nombreux sont ceux qui ne prennent même pas la peine de rentrer à la maison après la prière d’etarawih. Ils choisissent même des fois la mosquée en fonction de sa proximité avec le café. Et vice versa. L’inverse est valable. Mais si les hommes sont gâtés, les femmes, elles, se contentent de peu et même des fois de rien. Elles ne sont pas nombreuses à fréquenter les mosquées pour etarawih. En dehors de quelques vieilles dames, on ne doit pas se bousculer dans le compartiment réservé aux femmes au niveau des mosquées, le soir.

Au fait, cela dépend des quartiers de la ville. Mais en général, les femmes sont «enfermées», une fois la nuit tombée. Si les rues sont désertes c’est, en partie grâce ou à cause d’elle. Et le soir, il faut croire que le centre-ville ressemble à une ville fantôme, comparativement aux grandes villes du pays.

En dehors des cafétérias, fréquentées exclusivement par les hommes bien entendu, de quelques commerces d’alimentation générale et rarement d’habillement, et il faut croire qu’ils se comptent sur les doigts de la main, la vie manque à Tizi-Ouzou, le soir. La cause ? On évoque souvent l’insécurité. Les gens ont peur de sortir en famille et de se faire embêter. On ne prend pas de risques inutiles. On croise souvent des femmes et des familles en voitures. Qui en direction de la Maison de la culture, seul point de chute des citoyens soifs de divertissements de tout genre, soit en visite chez de la famille ou des amis.

Les visites sont courantes dans les programmes des familles durant les soirées du Ramadhan. C’est même ce qui faisait le charme des soirées ramadhanesques d’antan. Si c’est redevenu à la mode, c’est aussi par le manque d’autres moyens de divertissements, notamment en dehors de la ville des Genêts. Il faut dire que si les habitants de la ville appréhendent un peu les sorties la nuit, que diraient les villageois de ces virées nocturnes qu’on ne se permet plus de nos jours ?

Il est très difficile pour eux d’oser un déplacement en ville même si l’envie y est souvent. Il faut dire que le programme d’animation conçu par la Maison de la Culture Mouloud Mammeri pour cette année est plus qu’alléchant. Une soixantaine d’artistes, sont prévus le long de ce mois de Carême. De quoi se mordre les doigts quand on sait qu’on y est pas droit, soit par manque de moyen de transport, soit par peur de se déplacer la nuit, soit tout bêtement parce qu’on n’a pas obtenu l’autorisation de sortie.

C’est le cas de Sabrina, 22 ans, universitaire qui s’arrache les cheveux parce que son père ne l’a pas autorisée à accompagner ses cousines pour assister à la première soirée spécial Mohamed Allaoua, dimanche dernier. Elle a tout fait, en vain.

Du coup, elle maudit la localité où elle vit (à 25 kilomètres de Tizi-Ouzou), puisque son père a juste peur de la laisser se déplacer la nuit, à travers un itinéraire qui ne brille pas pour sa sécurité. «Je suis hyper furieuse que je ne puisse pas respirer un peu d’autant que là où je vis, il n’y a rien d’intéressant à faire. Mes sœurs sont trop jeunes pour que je puisse m’amuser avec elles.

Durant l’été il y avait mes cousins, mais ils sont rentrés à Alger dès le début du Ramadhan. Je m’ennuie beaucoup. Les nuits sont longues et il n’y a rien à faire sauf s’abrutir en face de la télé. Pourquoi ils ne pensent pas un peu à nous et qu’ils ne prévoient pas des tournées pour les artistes dans les grandes localités de la Kabylie. Il y a des gens qui vivent en dehors du centre. Et il faut y penser de temps à autre. Nous sommes complètement oubliés. Et c’est injuste !». Le coup de gueule de Sabrina est général. Les gens se demandent réellement pourquoi il n y a que le centre-ville et ses habitants pour qui les programmes de divertissements, quelle que soit l’occasion, leur sont destinés. C’est d’ailleurs le cas de ce mois de Carême et même les précédents. Même quand on n’a pas besoin d’autorisation, comme Louiza, on a quand même peur de faire le déplacement le soir, de son village à la Maison de la culture. Si l’aller est facile à tenter, imaginez un peu le retour aux coups de 1 heure du matin pour une jeune femme de 38 ans.

Louiza aurait aimé assister à la soirée de Cherif Hammani, samedi dernier, seulement sa cousine chez qui elle devait passer la soirée et la nuit était invitée par des amis à une centaine de kilomètres.

Mais elle compte bien se rattraper pour les prochaines soirées. Elle s’est juré de ne pas rater Mohamed Allaoua, Nouara et Yasmina. Elle qui a passé la première partie du Ramadhan à croupir en face de sa télévision ou les oreilles collées à la Radio chaine II, prévoit de se venger le temps de trois soirées. Elle passe la soirée et la nuit avec sa cousine qui habite le centre-ville.

Cette dernière qui se sent très seule et qui sort rarement manque de compagnie, se réjouit déjà à l’idée de pouvoir sortir un peu de l’hibernation où elle s’est plongée depuis le début du mois de Carême. Ne connaissant personne à Tizi-ville, ces quelques sorties lui boosteraient le moral comme pas possible. Les gens ont tellement oublié les sorties nocturnes que même les emplettes de l’Aïd et de la rentrée scolaire, se font la journée.

Vous imaginez le calvaire d’une mère au foyer qui doit faire des kilomètres en bus ou en fourgon pour roder dans les quartiers brûlants de Tizi-Ouzou et rentrer de la même façon, le soir, alors qu’elle aurait pu assurer cette corvée pour le soir. On n’évoque même pas la température qui refuse de descendre à moins de 35° ces dernières semaines et qui ne fait qu’empirer les choses. Il est d’ailleurs presque impossible d’effectuer les achats spécial rentrée scolaire dans une chaleur pareille. Heureusement que les achats de vêtement pour l’Aïd est une affaire réglée pour ceux qui achètent déjà pour la rentrée scolaire. Entre les deux rendez-vous il n’y a qu’une petite semaine d’intervalle. C’est d’ailleurs un big problème pour les parents acheter une ou deux fois.

Et surtout à quel prix ! Quand on voit les prix affichés sur les vêtements pour enfant, on est tentés de dire : «On n’achète pas du tout !!! ».

Même si ces dernières semaines, les boutiques d’habillement affichent des soldes tout aussi alléchants les uns que les autres, l’habillement spécial enfant, n’a connu aucun arrangement côté prix. Le père de famille qui a trois enfants à habiller doit compter ses sous, car la dernière des tenues pour un bambin d’une année coûte 3800 dinars !

Il ne faut pas oublier les chaussures qui vont avec ! Ceci dit, en attendant l’Aïd, les soirées ramadanesques tiziousiennes peuvent connaître un renouveau.

Cela ne dépend que de la volonté des uns et des autres. Si on se guette en se disant, je ne serais pas le premier, il faut savoir que les autres pensent pareil !

Il est temps d’oser ! Quand on sait qu’il y a quelques années, à Alger, les familles et les femmes attendaient les derniers jours du Ramadhan pour investir les rues et qu’actuellement on fait des coudes pour se frayer un chemin dès la première soirée du mois sacré. Pourquoi pas nous ! au lieu de nous noyer dans notre lassitude pourquoi ne pas se titiller les méninges pour trouver le moyen de couper avec l’ennui. Il faut dire qu’entre espérer et parvenir, il n’y a qu’un pas à faire. Faisons-le, donc !

Samia A. B.

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