La débrouille sauve la face aux consommateurs

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Il faut dire que le cocooning était au rendez-vous en ce mois de carême, qui a brillé par sa chaleur plus qu’autre chose. On ne bougeait que peu pour éviter la fatigue et la soif. Les journées sont tellement longues, qu’on évitait d’allonger les souffrances des corps déjà épuisés par le jeûne. Ceci dit, si les conditions météorologiques se sont résignées à la clémence, depuis près d’une semaine, cela ne doit pas constituer le seul motif de la foule qui envahit les rues commerçantes de la ville des Genêts. Achat en tout genre est souvent, le programme des citoyens, en cette période.

La rentrée scolaire étant entamée, il y a deux jours, ce rendez-vous qui constitue une charge de plus dans les dépenses des ménages, est pour quelque chose dans l’animation que connaît la ville, ces derniers jours. Ces deux rendez-vous réunis, font, en effet, que le «blocus» qui régnait sur la ville de Tizi-Ouzou se décide enfin à laisser place à plus de mouvement, même si la joie ne se lit pas souvent sur le visage des consommateurs, contraints, dans la plupart des cas, à faire moult calculs pour contracter une quelconque acquisition.

Entre les affreuses «séquelles» que doivent laisser les innombrables, et souvent inutiles, dépenses du mois de Ramadhan sur le budget des consommateurs et les futurs frais engagés pour l’Aïd et la rentrée scolaire, le simple citoyen au revenu moyen peine à faire face à la longue liste des emplettes prévues les jours qui viennent.

Et dire que le salaire du mois de septembre ne sera même pas là, pour sortir quelques uns du supplice qui les rangent à l’approche des occasions et fêtes qui deviennent la hantise des foyers aux revenus moyens. La chute du pouvoir d’achat aidant, le mois de Ramadhan est devenu, depuis quelques années, un signe de tourments et d’angoisse. Car il s’en trouve qui s’endettent pour finir le mois en «dignité» ! Que dire de cette année, où les grandes dépenses se donnent rendez-vous dans la même semaine ? Comment s’en sortent les consommateurs. A voir le nombre de personnes qui vadrouillent entre les étals des magasins de la ville, le nombre de sacs en plastiques trimballés et les interminables queues menant aux caisses des superettes, on croirait que les Tizi-Ousiens ont tous gagné au loto, ce mois-ci.

En s’approchant plus des paniers à emplettes, en se frottant davantage aux citoyens, on comprend qu’on ne s‘en sort pas facilement dans tous les cas. Qu’il faut être astucieux pour assurer l’essentiel, parce que c’est de cela qu’il s’agit dans la plupart des cas, et essayer de faire plaisir autour de soi. «C’est dur de priver son enfant et de devoir le convaincre des raisons d’une telle injustice», nous raconte Hamida, 3 enfants. Cette enseignante dans le primaire nous raconte la peine qu’elle a eu avec son mari afin de mettre de côté une petite somme pour faire face aux dépenses de la rentrée scolaire. «En temps normal, sans le Ramadhan, on arrivait à peine à joindre les deux bouts, à la rentrée scolaire. Vous imaginez ce que cela fait pour le budget, si budget il reste ; ceci dit quand l’Aïd et la rentrée scolaire tombent en même temps avec leurs dépenses en termes de vêtements et fournitures scolaires. Le tout, après un mois pas comme les autres. Le mois des prix qui flambent et des enchères», se plaint Hamida. Tout le monde semble s’entendre sur le fait que contrairement à ce qu’on pense souvent, ce n’est pas trop le gaspillage et l’exagération qui rend le mois de Ramadhan aussi lourd sur le budget, c’est plutôt la cherté de la vie, souvent imposée par des commerçants sans scrupules, qui fait qu’on dépense plus, durant ce mois que le reste de l’année.

Hamida nous avoue qu’il leur est arrivé de manger des plats «ordinaires», durant ce mois de Ramadhan. Ordinaires signifie : pâtes, ragouts en tout genre, frites …etc, selon notre interlocutrice qui a décidé de décaler les achats de fournitures scolaires pour l’après Aïd. Elle utiliserait l’argent «récolté» par les petits, durant cette occasion, à cette fin. Si la somme et insuffisante, elle ferait l’essentiel des acquisitions dans un premier temps et finira le reste avec le salaire de septembre qui n’arrivera que dans une quinzaine de jours. Des calculs, il n’y a pas que Hamida qui en fait, ces jours-ci. Dès l’approche des fêtes, les consommateurs se mettent tous à la comptabilité. Farida, 2 enfants, calcule depuis le début du mois pour arriver à acheter des vêtements décents pour ses deux fils de quatre ans et quinze mois. Si ces derniers ne sont pas encore concernés par la rentrée scolaire, leur maman s’active comme une fourmi pour mettre le maximum dans la tirelire spécial Aïd. Tout y passe même la petite monnaie. «J’ai une astuce pour économiser de l’argent. Le budget du mois je le divise sur 31 jours. Cela me fait généralement, 700 dinars/ j, sans le petit budget des urgences qui, lui ne bouge jamais. Alors tous les jours je sors 700 dinars de la boîte, en allant au travail. Une fois mes emplettes finies, je mets le reste dans une grande tirelire. Des fois, je ne dépense que le quart ou la moitié. Le reste je l’oublie. A la fin du mois, quand j’ouvre ma tirelire, je trouve souvent une coquette somme.

C’est de cette manière d’ailleurs que j’arrive à m’offrir des choses de temps à autre. Cela sert également pour l’habillement des petits et tous les caprices que leur papa ne peut assurer. Il dire que ce dernier prend en charge toutes les dépenses liées à l’abonnement téléphonique, l’électricité et l’eau. Sinon, mes petites épargnes ne me serviraient pas à grand-chose», nous confie Farida qui pour le prochain Aïd a encore usé de cette astuce.

Seulement, il a fallu épargner plus longtemps. Il lui a fallu d’ailleurs beaucoup de courage pour résister à la tentation d’ouvrir sa tirelire le mois passé. Mais elle savait pertinemment qu’avec seulement les économies d’un seul mois, elle peinerait pour offrir les tenues qu’elle voulait pour ses deux mômes. D’autant que Farida, comme la plupart des ménagères a visé pour le long terme. On n’achète plus des tenues de saison, ni du sur mesure, pour que les tenues achetées soit utilisées le plus longtemps possible. «J’ai acheté une tenue de 24 mois pour celui qui en a 15 et un ensemble de taille 5 ans pour mon aîné qui en a quatre. J’ai surtout choisi des tenues complètes de demi-saison, même s’il fait toujours très chaud. Ils pourront se passer des vestes à l’Aïd, mais il fera frais dans quelques semaines et ils se serviront à temps des vestes. Les enfants grandissent tellement vite. Les miens ont dépassé tous leurs vêtements de l’année dernière. Si le second peut se servir des vêtements de son aîné, ce dernier change de garde-robe chaque semestre en moyenne», nous explique-t-elle. Si Farida achète, fait des projections dans ses dépenses, les mamans qui ont des enfants à scolariser font dans le «Two in one» (le deux en un). La tenue de la rentrée ne sera portée qu’une journée, pliée, et ensuite dépliée pour l’Aïd. Et gare aux tâches et autres boutades qui mettraient ces desseins en cause ! Rares sont ceux qui peuvent gâter leurs progénitures avec deux tenues en huit jours d’intervalle. Quand on sait qu’on s’en sort à peine avec 5000 dinars pour l’achat d’une tenue complète pour un bébé de moins de deux ans, on imagine mal que les parents s’amusent à acheter plus d’une tenue.

«J’ai habillé mon fils de 14 mois avec pas moins de 6000 dinars. J’imagine comment c’est quand on a des enfants plus grands, donc, plus exigeants. Pour les familles nombreuses cela doit être une épreuve insoutenable. C’est dur !», nous confie Hayet, maman d’un petit garçon. Hayet a raison. Pour les familles nombreuses il n’y a pas mille façons de gérer. Le budget est réparti sur les enfants, généralement, selon l’âge. Car la tenue d’un petit de deux ans ne doit pas coûter autant que celle d’un jeune garçon de 12 ans. Généralement, les achats ne s’arrêtent pas quand tout le monde a eu tout ce qu’il faut- on est bien loin de ce qu’il veut- ils s’arrêtent plutôt quand il n’y a plus un sou à dépenser. Et chacun doit se contenter de ce qu’il a pu dénicher au meilleur prix. Les meilleurs prix ne sont plus dans les rayons «made in chez nous» comme on le pense souvent car ce dernier est aussi devenu inaccessible. Les meilleures affaires se trouvent dans «Le made in China» de préférence achetées à même le trottoir ou dans les boutiques de nos chers «invités» asiatiques. Chez ces derniers, on peut même trouver des tenues pour enfants à moins de 400 dinars. Mais ce que semble oublier nos chères mamans désespérées, c’est le prix de l’ordonnance et de la consultation une fois l’habit utilisé. Nous avons tous eu dans notre entourage au moins une personne qui a eu des problèmes après avoir utilisé des produits chinois. La règle ne s’applique pas pour tous les commerçants chinois, fort heureusement, mais la vigilance doit rester de mise. Autre échappatoire aux mamans désespérées de faire plaisir à leurs «boutchous», les innombrables boutiques de friperie. Eh oui, il y a des mamans qui habillent leurs enfants de la fripe même pour l’Aïd. Ce n’est pas trop le jean 501 usé qu’on cherche, juste pour le plaisir de s’offrir une marque à moindre prix, dans le tas de vêtements à l’odeur bizarre. On cherche l’utile, l’indispensable et surtout le nécessaire que l’on a pu se permettre ailleurs faute de sous. Il se trouve des mamans qui font ce genre d’emplette en cachette de leurs enfants. Une fois les vêtements lavés et repassés, elles les déballent en omettant de dire leur provenance. Elles avancent souvent des noms de boutiques ou des marchés de la ville au lieu de la boutique de friperie qui sauve bien des faces, en ces temps impitoyables. Encore là, il faut tomber sur un lot où les articles neufs ne se font pas rares. Autre astuce pour permettre aux enfants des habits pour la rentrée et pour l’Aïd. Il s’agit du troc. Des mamans, parentes ou amis dans la plupart des cas, troquent des vêtements de leurs progénitures contre d’autres vêtements déjà portés par les enfants de leurs amies. Cela parait bizarre, mais un habit peut faire le tour de trois ou quatre foyers avant qu’il ne soit jeté à la poubelle.

Et à chaque fois qu’il atterrit chez un enfant, ce dernier l’appréciera comme s’il venait d’être acheté car venant juste de lui appartenir. «Je n’ai jamais eu de soucis pour habiller mes deux enfants. Ma belle-sœur (la sœur de mon mari) a toujours été là pour me dépanner. Plus aisée que nous, elle nous a toujours soulagés au temps voulu. 80% des habits qui se trouvent dans l’armoire de ma fille de 10 ans viennent de sa tante. Elle me donne souvent les habits déjà portés par sa fille de 12 ans.

Elle me donne aussi des tenues jamais portées appartenant à sa fille. J’ai souvent habillé ma petite princesse avec les «cadeaux» de sa tante, autant pour la rentrée scolaire que pour les Aïd et les fêtes de mariage. Ma fille est ravie. Sa tante a bon goût ! A mon tour, j’offre tous les vêtements que ma fille dépasse à une amie qui a deux filles et une nièce orpheline. Je fais le tri bien entendu avant de les offrir. Je ne donne que ce qui est en bon état», nous raconte Fatiha, 42 ans, femme au foyer.

Elles sont nombreuses à adopter cette nouvelle méthode qui, devient d’ailleurs tendance outre-mer. Literie, meubles, chaussures, accessoires, habits pour enfants et adultes sont proposés durant des rencontres entre troqueuses, souvent étrangères les unes aux autres. Un concept qui finira par gagner du terrain chez nous bien que le principe est déjà de mise quand il s’agit d’amis ou de parents proches. En tout cas, les systèmes de débrouilles ne manquent pas à nos astucieuses ménagères pour faire plaisir à leurs bambins autant pour la rentrée que pour l’Aïd. Et pour elles, que se réservent-elles pour la fête de l’Aïd, la rentrée ne les concernant nullement ? Si les tenues pour enfants sont intouchables et inapprochables de par leurs prix, les vêtements pour adultes, quant à eux, sont plus ou moins accessibles, depuis quelques jours.Le reponsable ? Les soldes affichées sur toutes les boutiques de prêt-à-porter pour femmes. Les soldes de l’été sauvent les femmes à budget réduit et innombrables responsabilités. Elles ne sont pas nombreuses à se permettre une tenue complète, mais elles ne sont pas rares à se gâter un peu. Elles y tiennent, même s’il ne s’agit que d’un foulard. «J’ai dépassé le budget réservé a mon petit. J’ai dû puiser dans ma poche pour couvrir ce trou. Et, ce qu’il y avait dans ma poche devait me servir à m’acheter une tenue pour l’Aïd. Je le mérite bien non ? Même si ce n’est pas évident pour cette année. Les dépenses se succèdent depuis quelques mois déjà. Il a fallu mettre de côté pour les vacances. Puis au retour des vacances, il a fallu serrer encore la ceinture pour se préparer au mois de Ramadhan.

Ce dernier touchant à sa fin, il faut penser aux tenues des petits et aux préparatifs de l’Aïd. Il faut dire que les ingrédients pour les gâteaux, à eux seuls, constituent un budget conséquent ma foi ! Vous imaginez qu’il ne reste plus de place à l’espoir de mettre « du neuf», comme le dit la Sunna », nous raconte encore Hayet qui a été surprise par la soudaine générosité de son mari. Voyant qu’elle s’est sacrifiée pour permettre une belle tenue à son fils et le soulager des dépenses relatives aux différents ingrédients pour la préparation des gâteaux, le mari de Hayet a plongé la main dans sa poche, d’habitude pleine d’oursins, pour faire plaisir à sa femme. Hayet cherche toujours la tenue de ses rêves. Elle ne désespère pas de la trouver avant la fin de la semaine et au meilleur prix, dit-elle. Hayet n’est pas la seule à avoir prévu une certaine somme pour les ingrédients des gâteaux de l’Aïd.

Les superettes et autres magasins d’alimentation générale et d’emballage sont bourrés de femmes venues faires leurs emplettes. Amandes, cacahuètes, farine, sucre, levure, miel, margarine et beurre et autres accessoires et moules font l’essentiel de leurs listes d’achat. Le panier le moins garni, pour la confection de trois sortes de gâteaux au maximum, ne coûte pas moins de 3000 dinars. C’est dire que les charges imprévues ne sont pas à négliger. Ce sont, souvent, ces extras qui font de grands trous pour la simple raison qu’ils se présentent en dernier plan quand il ne reste déjà que peu des bourses épuisées par un mois de Ramadhan coûteux, presque inabordable.

Samia A. B.

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