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L’Aïd, entre hier et aujourd’hui

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De qui manquerait le plus, selon tous nos témoignages, serait la sincérité et la bonne foi des gens. Que faisons-nous pour mériter la bonne foi des autres et leur sincérité. Sommes-nous, nous-mêmes ? Ce qu’il y a c’est qu’on trouve des prétextes pour justifier les fêtes ternes et ennuyeuses que la Kabylie connaît, depuis quelques années déjà. Il est bien difficile de savoir quand les choses ont commencé à changer, ni les raisons de ce bouleversement. Nous savons juste que les choses ne sont plus les mêmes qu’avant. Et qu’ils s’en plaignent sans vouloir revenir en arrière car il semblerait que ce qui est perdu est désormais irrécupérable. C’est du moins l’avis de Mohamed Arezki. «Tout a changé.

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Le cœur n’est plus à fêter l’Aïd comme avant. J’ai vécu une vingtaine d’années à l’étranger. Je n’ai pas vu les choses changer. Je suis revenu, il y a presque trois ans. Je me suis donné le temps de m’adapter et de comprendre, mais surtout d’observer. Et là, j’ai trouvé un grand fossé dans la manière de fêter l’Aïd. Ce qui m’a frappé le plus c’est la désunion qui règne au sein des familles. Les frères et sœurs ne sont plus aussi liés qu’avant, je ne parle pas des autres parents entres cousins et neveux. Tout le monde me disait que c’est l’argent qui désunit les familles. J’ai pu le confirmer à force de constat. Là, où il y a de l’argent, de l’héritage, et surtout les pensions en euros, il y a déchirure ! Je ne vois pas quel goût peut avoir l’Aïd si il ne réunit pas les membres d’une seule famille ! Voilà ce qui a changé, à mon avis. Les us et traditions qui faisaient la beauté de cette fête ont disparu parce que les gens n’ont plus envie de faire d’efforts pour les autres.

Et quand ils en font par hypocrisie, ils ne font que le minimum. C’est de cette manière que la plupart des gestes, d’ailleurs significatifs de générosité et d’amour, ont été enterrés à jamais», nous explique ce commerçant de 42 ans. Selon notre interlocuteur, si l’Aïd est aussi fade, c’est la faute au manque d’amour et d’union au sein des familles kabyles. Hayet est tout à fait d’accord avec Mohamed Arezki, sa belle-famille faisant partie de ces milliers de familles déchirées pour des histoires absurdes d’argent, d’héritage et de partage de bien non équitable. Seulement Hayet rajoute un autre «empêchement» à la liste de raisons qui font la fadeur de la dernière version des fêtes de l’Aïd.

Selon elle, le manque de temps, dû à la vie moderne qui contraint la femme à plus de tâches que celles qui lui incombaient dans le passé, fait que les gestes et efforts soient réduits durant les fêtes. «Personnellement, je n’arrive pas à tout faire pour l’Aïd.

Il faut être cinq femmes à la fois pour assumer toutes les responsabilités qu’implique un foyer. Alors quand les fêtes se présentent, il n’y a que Wonderwoman qui peut y arriver. Ma mère me sermonne toujours parce que je ne vais pas voir mes belles sœurs le jour de l’Aïd. Moi, entre mon travail, la maison, mes enfants, je ne trouve pas un moment à consacrer aux autres. J’arrive à peine à trouver un moment dans la journée pour rendre visite à ma belle mère, sinon elle me bouderait à vie ! Mes enfants, en plus, s’ennuient quand il s’agit de la traditionnelle tournée familiale. Ils préfèrent rester jouer à la maison. Je ne peux pas les forcer à sortir tout de même. Cela est d’ailleurs un eternel sujet de dispute entre mon mari et moi», nous explique cette maman de deux enfants. Selon elle, il est difficile de vivre comme avant lorsque les seules responsabilités de la femme étaient l’entretien de la maison et le travail aux champs.

La vie moderne implique plus de responsabilité en raison d’un mode de vie plus moderne, donc, plus commode. La vie moderne a d’ailleurs «contraint» les gens à s’éloigner de leurs villages natals, alors que dans le passé, les gens étaient «confinés» dans les villages. Dhahbya, 38 ans, trouve que c’est une raison suffisante pour bouleverser le mode de célébration de la fête de l’Aïd. «Il faut une semaine pour faire le tour de la famille. Si une partie vit toujours au village, il reste une bonne partie répartie essentiellement entre Tizi-Ouzou-ville et Alger, sans compter ceux qui ont choisi de s’éloigner encore plus.

Si le charme des fêtes d’antan résidait surtout dans le fait que toute la famille se réunisse et partage les repas de la fête, il est bien difficile de retrouver cette ambiance quand les gens ne prennent même plus la peine de se déplacer pour les autres», nous confie notre interlocutrice. Pour Dahbya, les raisons de ce «boycott» sont multiples. Pour les Algérois, les mariages avec des non Kabyles est la première raison qui les empêche de se déplacer au village, leurs femmes étant étrangères à nos us et traditions. Et puis la vie ailleurs a fini par bouffer l’esprit des gens jusqu’à leur faire oublier leurs familles, leurs devoirs envers eux, leurs origines mêmes. La distance est également, un handicap majeur, pour les gens établis dans des villes éloignées. «Le temps d’arriver, la fête est finie !», s’amuse à dire Dahbya qui ne se plaint de rien, pour sa part. «Moi, je suis gâtée. Si au sein de ma famille, les choses ne sont pas aussi réjouissantes. Mon témoignage est d’ailleurs basé sur ce que vit ma famille annuellement. Mais au sein de ma belle-famille les choses se passent à merveille. Nous vivons à Alger.

Et pour l’Aïd, tout le monde vient et se retrouve dans la grande maison familiale, même si chacun de nous possède une petite résidence au village. Nous arrivons assez tôt à la maison. Nous commençons par visiter les disparus au cimetière. Mon père et mon beau-père y sont enterrés. Nous commençons notre tournée juste après. Nous ne rentrons qu’aux coups de 13 heures à la maison. Gavés des dizaines de jus, de cafés, de thé et de gâteaux que nous avons dû avaler chez chacun des oncles et tantes de mon mari, nous avalons à peine, le repas que ma belle-maman a préparé à l’aube chez elle à Alger, juste avant le départ pour le village.

Nous nous permettons un petit répit le temps de nous retrouver entre nous, puis nous reprenons les visites, pour ne terminer qu’en fin d’après-midi. Le temps d’arranger un peu dans la maison, nous empruntons le chemin vers Alger. Ma belle-maman fait toujours tout pour nous retenir à diner. Là, c’est selon ! Il y a des Aïd où elle réussit à réunir tout le monde. Il y a aussi des Aïd où elle nous dispense pour une raison ou une autre. L’Aïd avec ma belle-famille n’a rien perdu des Aïd d’antan, je trouve ; au contraire, c’est l’une des multiples occasions ou l’on se retrouve avec plaisir entre frères et sœurs et belles-sœurs. Les préparatifs de l’Aïd se font également en famille. Nous nous retrouvons aussi chez ma belle-mère pour la confection des gâteaux et autres mets pour l’Aïd», nous raconte Dahbya qui nous confie que le deuxième jour de l’Aïd était réservé à ses belles-sœurs mariées, comme au passé. En effet, le deuxième jour de l’Aïd a toujours été consacré à la visite des filles mariées, notamment celles vivant dans d’autres villages. Les mamans préparaient pour cette journée tant attendue des gâteaux et des beignets qu’elles emportaient avec elles. Certaines familles offrent de la viande et différents fruits. Les présents de la fille mariée, dépendent des familles et de leur statut social. Il s’en trouve des familles qui se permettent même d’offrir des habits à leurs filles mariées. C’est le cas de la belle-famille de Dhahbya. «J’ai deux belles-sœurs mariées. Nous nous sommes toujours organisés dans les dépenses des filles.

Leur maman s’occupe des gâteaux et fruits. Mon mari et moi des cadeaux de la première, mon beau frère et sa femme de ceux de la seconde. De cette manière, mes belles-sœurs, en plus de «L’Hak Tweliyin» auquel elles ont droit, elles peuvent recevoir une Djebba et un parfum chacune», nous raconte Dahbya qui semble fière de sa belle-famille et de leur sens de l’organisation.

La belle-famille de Dhahbya doit être une exception qui infirme la règle, quant aux grands changements qu’évoque tout le monde. On se plaint sans cesse de la fadeur des Aïd de nos jours, sans pour autant énumérer les tares de ces fêtes. Les quelques témoignages que nous avons recueilli nous ont permi de faire un listing des différents reproches qu’on fait à la nouvelle manière de célébrer l’Aïd.

Thassouikt… les filles aussi !

Si depuis quelques années, Thassouikt n’est organisée que le jour même de l’Aïd alors que dans le temps, elle se tenait la veille de l’Aïd, cette journée qui était réservée exclusivement aux garçons, ne l’est plus depuis quelques années. Les filles aussi y ont droit. Et ce sont les parents qui l’ont décidés. Ce n’est pas parce qu’on n’a pas de garçon, qu’on est privé de l’honneur d’emmener son enfant à Thassouikt.

C’est juste le traditionnel «Akerou» qui ne sera pas au rendez-vous. Une tête de veau est achetée le jour de Thassouikt pour célébrer la première participation de son enfant à cet événement. Thassouikt est un petit marché organisé au niveau de la plupart des localités de la Kabylie. Ils élisent domicile dans les surfaces allouées aux traditionnels marchés hebdomadaires. La particularité de ce marché est qu’il soit réservé uniquement et exclusivement aux enfants. Des milliers de jouets garnissent ses étals au grand bonheur des enfants. Il y’en a pour toutes les bourses.

Les enfants et surtout les papas regrettent seulement le temps où tout se faisait la veille de l’Aïd. Les enfants pour avoir un Aïd plus long ; les deux jours officiels et celui de Thassouikt, les papas pour éviter de «gaspiller» une demie journée au moins, dans le petit marché des enfants. Appelée envieusement «l’Aïd des garçons» par les filles dans le passé, ces dernières, du moins celles qui ont des papas cools, n’ont plus de raison d’envier ceux qui leur ramenaient les fameuses poupées en plastique. Même si le geste est louable et agrémenté d’une gentillesse sans bornes, elles sont bien contentes ces filles qui vont choisir leurs poupées elles mêmes. Seulement ce n’est pas tout le monde qui approuve ce grand bouleversement. Le plus drôle c’est que les critiques viennent de la part de femmes plutôt que des hommes, puisque ce sont ces derniers qui ont décidé de l’équité dans Thassouikt !

Parmi les femmes qui désapprouvent la participation des filles à Thassouikt, se trouvent des femmes très jeunes, sensées donc plus ouvertes à l’épanouissement de la femme, et si l’équité tant convoitée par les femmes commence à Thassouikt ?! Salima n’est pas d’accord. «Il est hors de question que ma fille aille à Thassouikt. C’est pour les garçons ce genre de sortie. Il est vrai qu’elle n’a que trois ans, mais je ne veux pas qu’elle s’habitue à fréquenter des endroits réservés aux garçons. Mon père est très sévère. J’en ai un peu souffert quand j’étais jeune mais j’ai compris que c’était dans mon intérêt. Mon mari est très ouvert d’esprit.

C’est d’ailleurs lui qui veut emmener la petite à ce marché. Nous avons failli se disputer le jour de l’Aïd pour ça. La petite pleurait parce qu’elle voulait partir avec son frère qu’elle ne quitte pas d’une semelle depuis qu’elle a commencé à marcher. Moi j’étais contre. Quand je lui ai dit que si mon père apprenait que ma fille est partie à Thassouikt, il me renierait, il est sorti de ses gonds et m’a dit que mon père n’avait rien à avoir avec l’éducation de la petite. Résultat ? Ma fille a pleuré toute la matinée, toutes ses petites copines sont parties et revenues avec pleins de jouets et mon mari m’a boudé toute la journée ! Même si mon Aïd a été gâché, il est hors de question que ma fille mette les pieds dans ce marché», conclut Salima, 32 ans, femme au foyer.

Du couscous à… la Rechta !

Si le traditionnel couscous demeure indétrônable quant à la place qu’il occupe sur la table des foyers kabyles, notamment durant les fêtes, la tendance ces dernières années est aux différents Tadjines et à la fameuse Rechta. Cette dernière initialement adoptée chez nous pour la fête d’El Mouloud, devient un met récurent pour les fêtes de l’Aïd. D’autres mets ont été également importés à l’occasion. Des Tadjines à base de viande pour l’essentiel. Il n’a y pas que la chorba frik qui cède la place à la H’rira, très tendance ces dernières années à Tizi-Ouzou, mais le couscous aussi semble se retirer timidement des menus de fêtes en Kabylie. Autre tendance, celles liées étroitement avec les «affres» de la modernité. Les fameux beignets kabyles «Lesfendj» ou «Lekhfef» ne se préparent plus à la maison. Ils se commandent ! C’est le cas d’ailleurs des gâteaux de l’Aïd. Les femmes, dans le passé, se réveillaient à l’aube pour pétrir leurs pâtes et en faire des beignets qui se consommaient chaud au petit déjeuner et qui servaient également dans la part réservée à «Sadaka N’Athyakherth». En partant au cimetière, le matin très tôt pour la plupart des familles kabyles, on emmenait avec soi le couffin réservé aux offrandes qu’on fait au nom des défunts. Les cimetières, ce jour là, pullulent de pauvres et d’enfants qui attendent les offrandes. Le couffin N’Athyakherth est constitué, selon les régions, de gâteaux de beignets et de steaks cuits.

Les enfants qui attendent à même les tombes se bousculent souvent pour avoir la meilleure part et plus de pièces. Maintenant que les femmes n’ont plus le temps de faire leurs beignets elles mêmes, ils ne doivent pas être aussi bons, puisque préparés la veille par une autre femme. «Cette dernière doit faire les choses machinalement sans amour ni passion. Ce n’est pas pour ses propres enfants qu’elle les prépare.

Je ne pourrai jamais commander mes beignets de l’Aïd. D’ailleurs, on en mange que pour l’Aïd et je n’en fais pas des tonnes. Juste assez pour nous mais je tiens à les faire, même s’ils ne sont pas parfaits. Je rate souvent la forme. Je les troue en les formant. Mais je préfère les miens à ceux qu’on commande dans les magasins de gâteaux traditionnels», nous confie Djamila. Il faut dire que ces dernières années, des commerces un peu spéciaux sont apparus dans les villages kabyles.

Des femmes proposent leurs services pour la préparation de différents gâteaux, des beignets et du pain traditionnel. Les femmes, mêmes non-actives n’ont plus le temps de façonner leurs pains à la maison. Cela fait loucher la plus cool des belles-mamans, croyez-moi!

Pour les enfants argent ou présents ?

Si quelques pièces suffisaient pour faire plaisir à un enfant pour l’Aïd, de nos jours, on assiste à de véritables enchères. Si quelqu’un donne un billet pour un enfant, le père de ce dernier doit offrir la même valeur ou un peu plus pour l’enfant de cette personne. Ce n’est plus de la générosité c’est devenu une véritable criée au «qui dit mieux» ! La tendance est aux gros billets. Que ferait un bébé de 4 mois avec un billet de 1000 dinars ? Mieux, que ferait un enfant tout court avec de l’argent ?

Ce sont là de mauvaises habitudes qui s’installent. Si les adultes veulent s’offrir de l’argent qu’ils le fassent entre eux et qu’ils cessent d’utiliser leurs enfants, puisque l’argent part dans la plupart des cas dans les poches des adultes. Pourquoi on ne se contenterait pas d’offrir un petit cadeau, histoire de faire plaisir et de laisser les enfants loin de l’argent ! «Je suis choqué quand je vois ce qu’on dépense dans la distribution de billets durant l’Aïd. Je ne suis pas un distributeur de billet. Et je refuse qu’on donne de l’argent à mon fils. Je le dis gentiment à tout le monde. Mon fils n’est qu’à son troisième Aïd, je ne me fatigue pas à le répéter à tous ses oncles et tantes.

Un jour ils comprendront. De toute façon, je connais la manière de les persuader et de m’écouter. Je ne donnerai plus à leurs enfants. Avant, j’étais tellement gêné que je me devais de faire pareil. Cet Aïd, je ne l’ai pas fait. Mais eux, ils ont donné. Je suis sûre qu’ils ne mettront pas les mains dans les poches le prochain Aïd. Moi, j’ai décidé d’acheter un petit jouet à chacun de leurs enfants. Je vais essayer de changer cette habitude, ne serait-ce qu’à mon niveau !», nous raconte Mohamed Arezki.

Samia A. B.

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