Un pas vers le tourisme local

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S’il est vrai que la Kabylie recèle d’énormes atouts naturels pour développer le tourisme, malheureusement, la politique de développement de ce secteur ne suit pas. Même si des ébauches sont lancées ici et là, celles-ci ne résolvent pas le problème.

Tala Guilef reste un pôle d’attraction notamment en saison hivernale, auquel il faudra accorder une attention certaine. Cependant, faut-il le souligner, les infrastructures hôtelières font défaut. La direction du tourisme de la wilaya de Tizi-Ouzou a lancé les travaux de rénovation de l’hôtel El-Arz, fermé depuis 1994 après avoir été incendié par un groupe terroriste.

Cependant, de nombreux observateurs relèvent que ce n’est pas seulement cela qui manque, quand on sait que les voies d’accès vers ce site paradisiaque au milieu d’un massif forestier sont inexistantes.

Du coup, pour développer un tourisme local, certains ont pris déjà des initiatives qui méritent d’être rapportées et encouragées par les pouvoirs publics ou par le mouvement associatif qui adhérera à ces petits projets, afin de vulgariser ces circuits qui ne coûteraient pas aussi cher au large public. C’est le cas de certains volontaires défenseurs de l’écologie dans cette région de Kabylie et précurseurs du l’écotourisme dans la localité et ailleurs.

La Maison familiale des randonneurs est née

Parmi eux ce guide, Abdelkader qui a bradé la peur et le froid en organisant le premier bivouac de nuit en 2015 alors que le site du Lac Goulmim (Tamda Ouguelmim), le plus grand lac d’Afrique situé à 1 700 mètres d’altitude, était devenu zone interdite depuis l’avènement du terrorisme à la fin des années 90.

«J’étais le premier à avoir pensé à reconquérir cet endroit délaissé par les randonneurs à cause du terrorisme. Et peu à peu, nous avons réinvesti les lieux. De semaine en semaine, des sollicitations me parviennent de tout le territoire national et même de l’étranger», commence-t-il par raconter son aventure et sa vision du tourisme local sur une terrasse de café à Ath Mendès, à environ quinze kilomètres de Tala Guilef. C’était la semaine dernière.

Abdelkader attendait de bon matin un groupe de randonneurs qui devait arriver d’Alger. «Maintenant, le terrain est défriché. D’autres groupes de randonneurs s’organisent et vont à la découverte de cette belle région. C’est tant mieux. La peur a changé de camp. Cependant, il faudrait faire attention aux avalanches et aux chemins difficiles et escarpés en cette période hivernale.

Les guides doivent connaître, comme il se doit, les itinéraires à emprunter afin d’éviter des désagréments car il y a beaucoup de dangers», souligne-t-il. Abdelkader évoque alors ses projets : «Ce n’est pas un hôtel de luxe qui va intéresser tous ces Algériens et ces étrangers qui voudraient découvrir le Djurdjura. L’hôtel El-Arz est relancé. C’est une bonne chose.

Mais, qui oserait mettre par exemple dix mille dinars pour une nuitée ? Je ne sais pas si les initiateurs de ce projet ont pensé à réaliser au moins des bassins de décantation à défaut d’une mini-station d’épuration pour les quantités d’eaux usées qui risquent de se déverser dans les sources qu’elles pollueront», craint-il.

Un autre citoyen, émigré de son état, intervient dans la discussion: «C’est un phénomène inquiétant d’autant plus que la nature est sale. Vraiment, cela fait mal au cœur. Or, dans d’autres pays, ces beaux paysages sont des potentialités qui pourront renflouer les caisses des collectivités. Malheureusement, ce n’est pas le cas en Algérie. Depuis que j’ai quitté le pays, je n’ai pas vraiment senti un quelconque changement sur cette route de Tala Guilef.

Au contraire, cela a empiré depuis. Dernièrement, parti avec mes petits enfants pour passer une journée en montagne, nous étions touchés par le décor désolant qui s’offrait à nos yeux à tel point que les petits potaches trouvaient que c’était vraiment très sale et repoussant». Et de s’interroger : «Jusqu’à quand le bénévolat ? L’État doit prendre en charge tout ce qui rapporterait un plus à notre économie.

Les routes, les hôtels et les prestations de services sont de son ressort. N’est-il pas encore temps d’appliquer la loi à la lettre en infligeant de fortes amendes aux contrevenants ? Il faudra toucher les pollueurs avec de grosses amendes. Même les comités de villages ne devront pas se laisser faire. Ils devraient, eux aussi, réhabiliter les amendes des Djemaâ d’antan afin d’éviter ce massacre écologique».

Selon ce dernier, même un téléphérique s’impose : «Dans d’autres pays, grâce à un téléphérique, une station de ski est facile à réaliser. C’est difficile de monter là-haut», interrompt-il encore la discussion. Abdelkader reprend : «C’est vrai qu’il est indispensable, mais commençons d’abord par le court terme avant de penser au long terme.

Je crois qu’il est temps qu’un séminaire de tous les comités de villages ait lieu en Kabylie pour rédiger une charte sur l’environnement et le développement du tourisme local. Si tout est réuni, je ne vois pas que vont faire nos concitoyens au Maroc ou ailleurs. Mais, je dis sincèrement que nos voisins marocains et tunisiens nous dépassent de loin. Ils ont la culture de l’accueil parce qu’ils n’ont pas de pétrole». Pour Abdelkader, le premier pas est déjà franchi.

«J’ai réhabilité une habitation cédée par un citoyen à Ath Kouffi que j’ai transformée en maison familiale des randonneurs. Je l’ai quelque peu équipée avec mes propres moyens en la dotant d’une vingtaine de matelas. Pour les repas, on se débrouille. Je reçois près de 60 personnes par semaine en groupe de dix à quinze parce que la maison n’est pas spacieuse pour répondre à des groupes de plus de trente personnes. Mes invités sont souvent satisfaits.

L’essentiel pour eux est le gîte. Je vais ouvrir incessamment une autre maison à Ath Mendès. Je lance un appel à tous les Kabyles pour qu’ils ouvrent des gîtes un peu partout.

Le Djurdjura séduit les étrangers

Ce ne sont pas des sites touristiques qui manquent chez nous. Si de tels projets naissent en Kabylie, le tourisme local aura de beaux jours devant lui et sortira notre région de sa pauvreté et de son retard parce que chacun y trouvera son compte», estime-t-il.

Avec le retour de la sécurité, de nombreux touristes notamment locaux viennent en famille ou en groupes à la découverte de Tikjda, du Tala Guilef, du Lac Goulmim, d’Asswel et autres endroits merveilleux dans ce massif majestueux du Djurdjura. Même les étrangers ne sont pas en reste. «Je reçois d’habitude des étrangers.

Dernièrement, c’était une Coréenne et peu avant durant le Ramadhan de l’année dernière, deux Français et d’autres me contactent sur les réseaux sociaux pour les accompagner dans ces endroits paradisiaques aux paysages à couper le souffle», nous confie cet écologiste. «Depuis une dizaine d’années, je me bats pour un environnement sain.

Malheureusement, je constate que les esprits n’ont pas changé. Je suis au bout de mes peines, mais je ne compte pas désarmer devant ces pollueurs», persiste Abdelkader. Pour revenir aux sentiments des étrangers, ce dernier dira : «En marchant sur le chemin escarpé de Tala Guilef jusqu’au Lac Goulmim, deux touristes français disaient que c’était fabuleux.

Même la chaîne de télévision TF1 m’a contacté pour faire un reportage sur ces beaux endroits. Seulement, il leur faudra beaucoup de sécurité, mais ce n’est pas évident sur ce vaste territoire lorsqu’on se souvient de l’épisode malheureux et fâcheux du Français Gourdel assassiné à Tikjda». Abdelkader a eu aussi l’occasion d’accompagner un groupe d’une soixantaine de personnes à Zekri.

«Comme je n’avais pas encore une structure d’accueil suffisante, j’ai pris le groupe dans un hôtel à Azeffoun. Avant la neige de la semaine passée, j’ai guidé pas moins de quatre groupes. Pour moi, la nature fait partie de moi-même. Le jour où je n’ai pas de visiteurs, je pars seul skier. J’aime le ski», dit-il. D’autres endroits sont menacés. Abdelkader citera le gouffre d’Aswel.

Le gouffre d’Aswel à protéger

«Vous savez, certains endroits sont tellement pollués qu’on craint le pire à l’avenir. La dernière fois, des spéléologues de Béjaïa et de Bouira ont découvert des sacs en plastique au fond du gouffre d’Aswel. Nous interpellons les visiteurs à accorder beaucoup plus d’importance à tous ces lieux.

L’appel est aussi lancé en direction du directeur du parc national du Djurdjura pour mettre tous les moyens afin de protéger tous les sites que recèle le parc», souligne Abdelkader. Sur la route de Tala Guilef, des situations regrettables sont constatées. «À chaque randonnée, nous ramassons des dizaines de sacs d’ordures de tout genre jetées dans la nature.

Nous nous approchons des personnes qui viennent passer des moments de détente dans le site pour les sensibiliser, mais personne ne nous écoute. Il faudrait aussi que les imams dans les mosquées fassent de la sensibilisation, car ils sont les premiers concernés. Notre religion passe en tête la propreté», estime-t-il. Pour Abdelkader, il y a lieu aussi de relancer certains métiers artisanaux afin de joindre l’utile à l’agréable.

«J’ai pensé à réserver une ancienne habitation à la formation de jeunes filles en tissage. C’est un projet que je lancerai dans les prochains mois. Je saisis cette occasion pour appeler les citoyens des zones à proximité de Tala Guilef et de tous les villages de la Kabylie afin de faire autant en redonnant l’essor à la vannerie, à la poterie et à d’autres métiers en voie de disparition», songe-t-il.

Avant de se quitter après une randonnée de quelques kilomètres en haute altitude en dépit du manteau de neige qui couvre ce site magnifique, Abdelkader est revenu sur une autre idée : «Même les autorités locales peuvent soutenir cette idée de développement du tourisme local. Il y a deux écoles primaires désaffectées à Ath Ali et Mahvane qu’il faudra aménager en auberges. Celles-ci peuvent être cédées à des privés en adjudication.

Il y a aussi un foyer pour jeunes à Ath Ali qu’il faudra aussi exploiter dans cette optique». En attendant, Abdelkader se réjouit déjà que deux autres gîtes sont à ouvrir dans les prochains jours à Ath Mendès grâce à l’initiative de deux autres citoyens de mettre à sa disposition leurs maisons inhabitées.

Il n’est pas aisé de développer ce secteur sans, toutefois, une volonté de toutes les parties surtout quand on sait que ce secteur reste toujours le parent pauvre de toutes les politiques engagées ces dernières années en donnant la priorité au tourisme de haut standing parce que la culture touristique dans notre pays n’est à ses premiers balbutiements.

Amar Ouramdane

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