Les premiers candidats à l’examen de 6ème parlent

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Il ne fait aucun doute que le premier examen ne s’oublie jamais et restera ancré dans la mémoire.Ainsi, lorsque nous nous rendîmes au collège des Frères « Boufatah », sis à Tighilt-Bougueni, chef-lieu de commune de M’kira qui comptera bientôt quatre établissements scolaires du moyen pour nous enquérir de la préparation de l’examen de sixième, nous avons beaucoup hésité pour demander à connaître les premiers candidats à ces épreuves de cette localité.En effet, de 1890 à 1956, la commune de M’Kira ne disposait que d’une seule école primaire, à Tighilt-Oukerrouch, composée de deux salles alors que sa superficie dépassait quatorze hectares que les écoles coraniques foisonnaient.Au demeurant, cette unique école a été incendiée par les maquisards, par deux fois, ce qui avait contraint par menace de mort à partir.Néanmoins, de cette période d’activité, aucun élève du douar n’a été présenté ni pour le certificat d’études primaires ni admis au collège, d’ailleurs qui en pouvait.En 1957, l’officier de la section administrative spécialisée (SAS), qui avait remplacé le caïd, avait ouvert deux minuscules classes à Tighilt-Bougueni qui pouvaient contenir une vingtaine d’élèves. »J’avais à peine cinq années, en 1957, lorsque mes cousins très espiègles avaient convaincu ma grand-mère que l’officier SAS allait venir me prendre pour m’envoyer en France, si je ne rejoignais pas l’école immédiatement, ce qui était un pur mensonge qui m’avait permis de faire des études alors qu’eux s’étaient arrêtés au primaire », nous raconte l’un des premiers collégiens de cette commune, mais de la seconde promotion qui en comptait dix.En 1960, une école en préfabriqué a été montée. Elle était constituée de quatre classes.A l’indépendance, les enseignants français étaient restés et avaient continué leur travail.

1963 : Première promotion avec 4 élèves admis au CEG« Au cours de l’année scolaire 1962-1963,notre classe qui comptait aussi des élèves de cours moyen 1ère année,CM1,se préparait à cet examen de fin d’année dont nous ignorions tout.C’était la première promotion », nous raconte M. Akram Amar, actuellement fonctionnaire à l’APC, ex-enseignant, ex-P/APC de Tizi-Gheniff et DEC, ancien vétéran de la guerre du moyen orient(1973) et qui fut le premier universitaire de cette localité. »Néanmoins, au mois de juin, notre enseignant,n’avait retenu que quatre dossiers de candidature. Il y avait celui de Bassaid Mohamed qui travaille dans l’éducation, celui de Bayou Ali qui est également dans l’éducation comme professeur de mathématiques, celui de Keddache Ramdane, officier supérieur de l’ANP, et mon dossier qui a été accepté avec mon passage d’office en sixième car mes notes étaient excellentes, donc je n’avais pas à passer l’examen comme mes autres camarades qui l’ont eu également avec de bonnes moyennes », nous raconte notre interlocuteur avec une mémoire aussi fraîche, comme si cela datait d’hier, feu Mouloud Feraoun l’avait si bien dit.Ainsi, durant tout l’été de 1963, ils furent les héros de la localité, on ne parlait que de ces quatre prodiges.

L’admission au collège de Draâ-El-MizanNos quatre nouveaux collégiens doivent s’arracher à leurs hameaux pour se rendre au collège d’enseignement général (CEG) de Draa-El-Mizan, actuellement « Krim Rabah », situé à plus d’une vingtaine de kilomètres, alors qu’il ne disposait pas encore d’un internat. « Le premier octobre 1963, nous rejoignîmes le collège mais le problème c’est que nous n’avons ni parents, ni aucun proche dans cette ville pour nous héberger, d’autant plus que l’internat était encore inexistant et il nous était impossible de rentrer chez nous, chaque soir, car il n’y avait pas de moyens de transport », se souvient M.Akrour qui était l’aîné de ses trois autres camarades du haut de ses treize années »Mon feu père avait réussi à nous louer une chambre poussiéreuse à l’arrière d’un café maure et qui ne disposait d’aucune commodité. Nous devions apprendre nos leçons et faire nos devoirs à la lueur d’une bougie pendant toute la durée de cette année scolaire avant de nous endormir sur des matelas en alfa.Par ailleurs, nous bénéficions de la demi-pension, mais là aussi, ce que l’on nous donnait comme repas était assez pauvre.Nous avions un quart d’un gros pain, soit une demi-baguette, du lait en poudre provenant des dons américains et parfois des frites, mais la situation a changé la seconde année avec l’ouverture de l’internat », termine notre interlocuteur qui décrochera son BEG puis le baccalauréat au mois de juin 1970, faisant de lui le premier bachelier de M’Kira.

1964 : Seconde promotion de dix collégiens et collégiennesL’année suivante, onze candidats sont inscrits pour l’examen de sixième, dont quelques filles pour la première fois. Dix d’entre eux seront admis.En ce qui concerne cette seconde « cuvée », il ne nous a pas été difficile de retrouver deux d’entre eux au premier café en cette matinée.Il s’agit de M.Amar Menaoum, plus connu sous le sobriquet de « Amar Colombo », directeur d’école en retraite depuis trois années, et son ami de toujours, Aami Said, également dans l’enseignement et retraitable.Après les avoir informés du but de ma visite, ils rirent tous les deux de bon cœur et leurs confidences ne tardèrent pas à couler comme de l’eau dans un fleuve. »Nos souvenirs sont très vivaces, nous avons en tête chaque minute de ces journées d’autant plus que c’était une aventure pour nous alors que nous avions 13 et 12 ans », entame Ammi Saïd qui est le plus jeune. »La veille de l’examen de sixième, je me suis rendu chez mon ami Amar qui habite un autre hameau pour nous mettre d’accord sur l’heure de notre départ sur Bouira, oui, c’est à Bouira que nous n’avions jamais vue que nous devions nous rendre pour les épreuves et nous convînmes d’y passer la nuit », nous déclare encore Ammi Saïd. “Mais avant, j’avais bien pris le soin de faire descendre mon camarade jusqu’au fond de l’oued pour lui faire prendre une douche, avant de nous quitter pour nous rencontrer une heure plus tard et prendre le premier clandestin à partir de quatre chemins vers Tizi-Ghennif, puis Draa-El-Mizan où notre arrivée doit coïncider avec le passage du car « Benamara » qui venait de Tizi-Ouzou”. « Ce jour coïncidait avec la fête de l’Achoura », tient à préciser M.Menaoum qui se souvint aussi de ce vieil homme avec qui ils ont lié connaissance, vendeur de nattes et de chapeaux qui les a invités à passer la nuit chez lui mais refusèrent, mais tint à leur montrer le hammam à leur arrivée à Bouira. “Le propriétaire du hammam, un homme d’un certain âge, généreux, accepta de nous héberger gratuitement”, continua à égrener son chapelet de souvenirs notre interlocuteur qui réussit ainsi à monopoliser la parole sans laisser à son vis-à-vis de la reprendre. »Lorsque nous étions assurés sur notre gîte, nous sommes sortis dans les rues pour faire du lèche-vitrines mais aussi pour acheter des vêtements à celui-là”, ajouta-t-il en montrant Ammi Saïd. “J’avais acheté les vêtements moi-même ! », lui rappelle Ammi Saïd. »Non, ton père t’avait donné 50 dinars et c’est moi qui t’avais acheté une chemisette, un pantalon et des sandales ! J’étais plus âgé que toi, alors arrêtes de mentir ! », déclare avec assurance M.Menaoum, mais Ammi Saïd tint à lui faire savoir que c’était lui le chef et qu’il se soumettait à ses ordres. »Tiens, qui t’as emmené ce soir-là au cinéma ? C’est bien moi, reconnais au moins que c’était la première fois que tu voyais un film, non ? ». Son ami aquiesça. Après la séance de cinéma, nos deux lurons rentrèrent au hammam pour dormir, aux environs de vingt-deux heures trente ou bien plus. »Le lendemain, de bonne heure, le propriétaire du hammam nous réveilla pour nous dire de nous préparer pour rejoindre le centre d’examen qui n’était pas bien loin, c’était à l’école « Hassiba Ben Bouali »”. »Lorsque nous arrivâmes, nous trouvâmes nos camarades de classe qui étaient accompagnés de leurs parents et s’étonnèrent que nous soyons venus seuls », dit encore Ammi Saïd qui se souvint tout à coup de ne pas avoir récupéré ses vieux habits car il pensait qu’après les épreuves, il retournerait au hammam, ce qui ne fut pas le cas. »Est-ce que tu te souviens encore du titre de la dictée ? », taquine-t-il son compère. »Le tricycle endiablé ! Je peux même te donner toutes les questions, tu crois que j’ai perdu la boule comme toi ! » »Et l’épreuve d’arabe ? », questionne encore Ammi Saïd »C’est toi qui as été à El –Azhar, moi j’avais le chinois comme seconde langue, vous voyez qu’il dit n’importe quoi, l’épreuve d’arabe était facultative. »Après quelques jours d’attente, les résultats ont été proclamés à la radio et leurs noms avaient paru dans le journal El Moudjahid.Bien que ce fût un heureux événement, nos deux interlocuteurs reconnaissent que leurs parents n’avaient pas fêté cette réussite comme cela se fait maintenant. Tout le monde était content et c’était tout.

La vie en internat Nos deux amis se remémorent encore que parmi les dix élèves admis, il y eut malheureusement deux qui n’avaient pas pu rejoindre les bancs du collège car ils ne pouvaient pas se permettre l’achat du trousseau exigé pour l’admission à l’internat.Donc, ils ne furent que huit pour cette seconde promotion à entrer en 6 éme de M’Kira.Ainsi, nos deux interlocuteurs allaient vivre dans un autre monde, celui de la vie citadine avec notamment l’électricité, l’eau aux robinets, manger et dormir à des heures fixées, il fallait se discipliner. Malheureusement, ce changement n’allait pas se passer tout naturellement car ils seront vite repérés, notamment par le directeur de l’époque, en l’occurrence M.Champagnac comme de véritables indisciplinés, ce qui coûtera l’exclusion, à la fin de l’année, pour Ammi Saïd, mais tous les deux refusèrent d’en dire plus. « L’essentiel, c’est que j’ai pu terminer mes études et j’avais la chance, des années plus tard, de rencontrer ce Directeur à Alger, et je crois qu’il avait regretté de m’avoir exclu du collège alors que j’avais juste treize ans ! », raconte encore Ammi Saïd à qui cette expérience avait bien servi.Puis, se tournant vers son ami et en me montrant du doigt son ventre, il me confie : »Vous voyez cette bedaine ? Et bien, elle provient de l’internat, et jusquà maintenant, lorsque je rencontre l’ancien économe, M.Goucem, je le remercie de nous avoir bien entretenus et je lui rappelle que depuis 1965, je n’ai pas encore mangé de la morue avec du beurre frais », confesse encore Ammi Saïd.Avant de nous quitter, nos interlocuteurs tiennent surtout à préciser qu’il ne s’agit là que des élèves qui avaient fréquenté l’école de Tighilt-Bougueni car il y eut bien avant eux d’autres, originaires de M’Kira, qui avaient fait des études supérieures à l’exemple de feu le Professeur Mahfoud Boucebci, mais scolarisés ailleurs.Au demeurant, pour cet examen de ce samedi, 327 candidats seront présents à Tighilt-Bougueni, alors que 126 autres composeront à Tamdikt, soit un total de 453 élèves qui n’auront pas à entreprendre le parcours du combattant pour aller au collège.

Essaid N’aït Kaci

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