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L’Algérie du pardon et non de la haine

1825
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Au point où en étaient arrivées les choses, la vie était devenue une sorte de labyrinthe, où il y avait des passages secrets pour éviter les barrages et les problèmes de toutes sortes que créaient les forces d’occupation coloniale. La résistance, par le louvoiement, était devenue une seconde nature, un état d’âme qui vous imprégnait dès que l’on était dans son territoire, son secteur, son quartier, et en ces lieux communs où l’on retrouvait les personnes de confiance avec lesquelles on pouvait se lâcher, et dire franc et fort le fond de sa pensée, et ainsi donner libre cours à ses sentiments réels. C’est comme si la peur n’existait plus, qu’elle avait été vaincue et qu’apprivoisées elle n’avait plus d’effet, on vivait avec, elle ne faisait plus peur.

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Et ainsi dans chaque coin de ce vaste Clos-Salembier, de petits groupes de personnes, les vieux à l’écart, les jeunes plus en vue, tenaient leurs conciliabules et leurs débats en plein air; l’ordre du jour étant partout et toujours le même : les “événements d’AIgérie”.

Là s’échangeaient les informations que chacun avait, à sa façon, collecté ou déduit à travers la rumeur, ou su lire entre les lignes des journaux, et surtout entendu la veille, à l’heure du couvre-feu qui oblige à s’enfermer chez soi. L’heure où le Français dort et que les indigènes veillent, tendant l’oreille à l’écoute de “Radio Algérie libre – Saout El Arab” et à l’écoute du passage des patrouilles militaires qui pouvaient vous tomber dessus en entrant par les terrasses, et ou en défonçant les portes, qu’il ne servait à rien de renforcer et de barricader, cela équivaudrait à avoir quelque chose à cacher.

A l’intérieur des maisons indigènes, tel des chats qui vivaient dans le noir, les habitants hommes, femmes et enfants étaient tous branchés, n’ayant d’oreille que pour la chaîne “brouillée” de l’Algérie libre et indépendante qui émettait tard dans la nuit, pour rapporter les faits d’armes des moudjahidine. Et dans le lourd silence de la nuit, seuls ceux qui savaient écouter, avaient raison de croire en la liberté.

Et pour l’instant, la liberté traversait les ondes et pénétrait dans les foyers pour y apporter les directives du FLN/ALN. Armant ainsi les patriotes de mots d’ordre qui allaient se transmettre dès le matin par l’autre chaîne de transmission “radiotrottoir” qui allait quant à elle prendre la relève pour alimenter les relais d’opinion éparpillés à travers la ville. Et les relais tenant leurs réunions à chaque coin de rue transmettaient le fluide de la guerre comme eux seuls savaient le faire. Moteur de sensibilisation en puissance, ils engageaient de nouvelles recrus pour l’action directe, et chacun aiguisait encore mieux son couteau, fignolait un peu plus son programme d’action, pour projeter de rejoindre le maquis, un coup d’éclat, après une action de meurtre d’un ennemi dont il avait évalué la nuisance. On en était là. Après le congrès de la Soummam, la situation dans les villes a évolué si vite que la France avait perdu le contrôle de la société indigène.

La situation était arrivée à ce niveau de maturité révolutionnaire, prédit par les précurseurs du

1er Novembre qui avaient dit : “Mettez la Révolution entre les mains du peuple il s’en saisira”. Il apparaissait que de plus en plus de jeunes patriotes la prenaient à bras-le-corps et ne pouvaient que la mener à la victoire.

En effet, la Révolution algérienne avait fait mûrir la société algérienne, qui avait dépassé les maîtres à penser français. Cette Révolution en était arrivée à engendrer sa propre dynamique, dont l’énergique rotation avait atteint son rythme de croisière. La Révolution était parvenue à procréer ses propres militants en cours de marche. Elle avait donc atteint son point culminant de non-retour. Elle était donc devenue invulnérable et plus rien ne pouvait ni l’arrêter ni empêcher la victoire du peuple algérien, même si la guerre devait durer encore vingt ans. La victoire est inéluctable.

C’est ainsi que dans et sur le tas, des jeunes hors du commun sortaient du lot. Des érudits, toutes les sociétés en possèdent, mais en temps de guerre, les érudits, les génies, c’est ceux qui savent reconnaître la mort et vont jouer avec elle, sans la craindre et peut-être que dans leur folie, croient qu’elle les aime, au point de ne pas les tuer : c’est ainsi que de très jeunes garçons et filles, adultes avant l’âge, prirent les armes pour aller à leur tour combattre pour la libération de leurs pays. Et comme les papillons qui étaient seuls à croire qu’ils étaient aimés des fleurs, beaucoup de ces jeunes ne s’étaient pas trompés et croyant qu’ils et elles étaient aimés de la mort ! Oui elles les aimait tellement qu’elle en a pris beaucoup plus qu’il ne fallait pour une cause aussi juste.

L’Algérie étant devenue un vaste champ de bataille, et puisque les morts, les blessés et les disparus ne pouvaient plus s’y compter, et puisque presque toutes les familles indignes comme elles étaient surnommées, avaient quelqu’un, si ce n’est quelques-uns, de leurs membres touchés et broyés par cette machine de guerre, il n’en fallait pas plus aux jeunes de ces nombreuses familles pour pencher vers la cause nationale, et désirer venger les leurs en intégrant les rangs des combattants de la libération.

D’autant plus que le djihad est un rite religieux, auquel était soumis les musulmans ; en plus, le désir de vengeance aidant, ces jeunes ne rêvaient que d’en découdre avec ces soldats qui les prenaient pour des moins que rien.

Même les gamins étaient dans la désobéissance et avaient leur code d’honneur face aux soldats de l’armée française :

A) Si les soldats demandent où il y a des Fatma, leur cracher au visage, et dire : “Il n’y a pas de Fatma ici”.

B) Si les soldats envoient acheter quelque chose : “Fuir avec l’argent”.

C) S’ils demandent des renseignements, un nom, une adresse, “on ne sait rien”.

D) Si l’on peut crever les pneus des voitures militaires “ne pas hésiter à le faire”.

Cet ABC du petit combattant était connu de la plupart des gamins et il n’en fallait pas plus, là aussi, pour que les plus courageux parmi eux osent chaparder des charges et des grenades, et parfois même des armes laissées par inadvertance sur le siège d’une jeep à portée de main de ces gamins combattants.

Le plus étonnant est que l’on n’a jamais su qui avait donné à ces gamins pareilles instructions, ni comment ils ont fait pour savoir à qui ils devaient remettre les munitions et parfois les armes qu’ils avaient prises aux soldats négligents.

ll va de soi que parmi les adultes qui observent les jeunes de leurs quartiers, il se trouve toujours un homme du FLN chargé du recrutement et qui, remarquant parmi les gamins le plus dynamique et le plus dégourdi, l’approchait et petit à petit gagnait sa confiance jusqu’à l’intégrer dans l’organisation, pour en faire un guetteur, un messager, un agent de renseignement. Et après plusieurs mises à l’épreuve, il pouvait devenir un transporteur d’armes et un guetteur durant les actions armées. Il devenait alors un militant à part entière, prêt aux tâches les plus dangereuses. C’est là un véritable parcours du combattant qui faisait de ces gamins de futurs “Fidaî”.

Les fidayîn étant les hommes des groupes de choc chargés d’exécuter les missions les plus dangereuses, et principalement les exécutions physiques. Une fois identifiés par l’ennemi ces “fidayîn” rejoignaient les combattants de l’ALN dans les maquis.

Les jeunes étaient politisés très tôt. Ayant autour d’eux et dans leurs propres familles la vision des méfaits de l’armée coloniale, ils ne leur en fallait pas beaucoup pour vouloir monter au charbon. Pour eux, seul le temps était plus fort qu’eux, car il leur imposait d’attendre, qu’il daigne les grandir, pour avoir droit à l’action armée, et avec un petit peu de “malchance, qui devenait (pour eux) la chance à l’état pur” pour aboutir au maquis et avoir le suprême honneur d’intégrer l’Armée de libération nationale. Etre un combattant du peuple, un “moudjahed”. C’était le rêve, le souhait et l’espoir de tout un chacun.

Telle était la forme mentale et physique des gamins de cette époque de lutte de libération algérienne contre la guerre d’occupation française, où seuls les plus intelligents devaient être plus malins que les autres, pour savoir grandir et s’élever au niveau des événements, pour y accéder. Et ainsi sortir du lot de l’ordinaire, pour se situer dans le quota des hommes extraordinaires, les seuls sélectionnés pour servir le peuple et leur pays comme s’ils en étaient “les authentiques propriétaires privilégiés”. C’est ainsi qu’il en fut en ce glorieux Clos-Salembier, où comme partout ailleurs dans la capitale, le peuple dans son ensemble, nageait dans une forêt de drapeaux vert et blanc, pris le grand tournant de l’indépendance, et ce durant les manifestations du samedi 10 novembre et 12 décembre 1960, qui finirent par lever le voile d’une certaine clandestinité dans l’activité des militants.

C’est durant ces manifestations en effet que le peuple verra au grand jour les fidaîs du FLN/ALN pour la première fois, en armes, circulant dans les rues encadrant cette historique manifestation populaire, qui donnera un second souffle à la Révolution algérienne. Même les femmes qui traditionnellement se voilaient pour se cacher à la vue des hommes, sortirent manifester ouvertement leurs exigences de liberté, de souveraineté et d’indépendance pour leurs pays l’Algérie. Elles sortirent à découvert, le visage nu, sans haïk et sans voile, pour crier au monde entier “non à la colonisation, non à l’Algérie française, vive l’Algérie libre et indépendante”. Ces hommes, femmes et enfants sortirent dans les rues se confronter aux forces étrangères de l’Algérie française, dans une manifestation grandiose, digne de celle du 8 Mai 1945. Et puis ce fut la rencontre historique du peuple algérien authentique avec lui-même. Ce sera alors le bras de fer entre le juste et l’injuste ; ce sera dans un élan d’ensemble que ce peuple étouffé décida de la confrontation “du 11 Décembre 1960 ; pour une Algérie, une et indivisible” dont les échos se répercutèrent jusqu’au ghetto et gratte-ciel de Manhattan aux Etats-Unis.

Cependant qu’en est-il “au plan officiel de la politique française”. Depuis le discours du général de Gaulle sur l’autodétermination, les dirigeants algériens ont noté : “L’accroissement de l’effort de guerre des militaires français” dont le but proclamé est de gagner la guerre”. Le général de Gaulle, président de la République française a confirmé ce qui n’a pas cessé d’être dit depuis qu’il a prononcé, du bout des lèvres et sans conviction, le mot autodétermination : “Sa seule politique en Algérie est d’abord la poursuite de la guerre en vue de la destruction et de l’extermination de l’Armée de libération nationale du peuple algérien. Le principal instrument de sa politique est le corps expéditionnaire français en Algérie qui a pour mission de perpétuer la domination colonialiste à travers un statut unilatéralement décidé par la France” (El Moudjahid 8 septembre 1960).

Quant aux ultras de la colonisation, de leur côté, ils ont décidé qu’il était temps d’agir plus résolument contre l’homme en qui ils avaient mis tous leurs espoirs et qui, proclament-ils les a trahis au point d’incarner désormais la “politique d’abandon”. A la veille de Melun, en juin 1960, ils ont mis sur pied le FAF, un mouvement de “Front de l’Algérie française” qui rassemble prétendent-ils sans crainte de la démesure, plus d’un million de membres dont

120 000 Français-musulmans. Quoiqu’il en soit, leur force réelle est ailleurs. Dans les multiples complicités et alliances qu’ils ont dans l’administration et la hiérarchie militaire. Une fois de plus, à l’annonce du voyage du président de la République (de Gaulle), ils croient leur moment venu. Les fils d’un nouveau complot se nouent donc à Alger alors qu’à Paris se déroule le “Procès des barricades”. A Alger, Bab El Oued on s’esclaffera bientôt du bon tour joué par Pierre Lagaillarde à ses juges, lequel ayant été mis en liberté provisoire par des magistrats particulièrement compréhensifs, a préféré filer à Madrid, plutôt que d’attendre la sentence d’un tribunal pourtant si bien disposé à son égard et à l’égard des autres inculpés. Ortiz en fuite depuis l’échec des barricades, est toujours installé en Espagne. De cet épisode, les activistes ont tiré quelques enseignements : la tentative a échoué parce qu’ils n’ont pu faire “basculer” l’armée de leur côté, ce n’étaient pas des hommes aussi peu représentatifs que Lagaillarde ou Joseph Ortiz qui étaient capables de déclencher un tel mouvement.

Cette fois, la “tête” du complot est un militaire, et quel militaire ? : C’est le général d’aviation Jouhaud, à la retraite et fixé en Algérie où il est né et où il a des attaches profondes parmi les Pieds noirs, partisans de l’Algérie française. Avec lui, estiment les chefs du (FAF), Front de l’Algérie française, plus d’hésitations, les militaires prendront leurs responsabilités et choisiront leur camp. Le scénario qu’ils ont bâti est simple : “Des manifestations de rues, déclenchées dès l’arrivée du général de Gaulle, tournent à l’émeute. Les parachutistes comme en janvier, refuseront de tirer sur des Français, et l’insurrection s’étendra, de Gaulle sera virtuellement prisonnier. L’armée se saisira de lui et prendra en charge l’Algérie tandis que, dans le désordre qui s’ensuivra, les défenseurs de l’Algérie française aidés par les généraux, prendront le pouvoir à Paris. Déjà, on discute entre les chefs des mouvements “nationaux Algérie française” sur le point de savoir si de Gaulle devra être abattu, jugé en cour martiale et fusillé, ou bien gardé en prison pour être renvoyé plus tard en métropole et être dégradé sous l’Arc de Triomphe par un sous-officier musulman “(et ce d’après Vianson Pierre Ponté), si l’on, comprend bien : suprême humiliation, de Gaulle devait être déculotté par un “bicot”?

Reste alors à savoir avec qui négocier ?

Les autorités françaises avaient à mettre en place les “commissions d’élus” créées par le décret du 18 juillet 1960 et qui doivent comprendre des députés et sénateurs, des présidents de conseils généraux, des maires et des personnalités diverses parmi lesquelles, ils avaient espéré encore découvrir, des interlocuteurs comme il avaient souhaité, le général de Gaulle, écrit Bernard Tricot (1) : “Venant après l’échec de Melun, cette décision paru à certains, révélatrice de la volonté du pouvoir de construire l’Algérie algérienne, sans et contre le FLN”. Dans son livre, Bernard Tricot, nous révèle qu’au début d’octobre 60, étant à nouveau en Algérie, il constate “chez les Musulmans, une extrême lassitude, et une profonde déception depuis qu’ils avaient mieux mesurer la gravité du désaccord de Melun”. Une hostilité fréquente envers les Européens d’Algérie et la volonté générale de voir l’Algérie prendre elle-même son sort en main (…)”.

Chabane Nordine

Ecrivain (Ancien Moudjahed, membre ALN)

A suivre

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