Présence discrète d’Albert Camus

Partager

L’une des particularités du troisième Salon du livre de Bougie est la présence discrète d’Albert Camus. La plupart des exposants ne présentent que quelques-uns de ses livres. Et le plus célèbre d’entre tous, demeure «l’Etranger».

Alors qu’au niveau international, 2013 a été l’année de Camus, en Algérie, l’événement continue, puisque les livres du prix Nobel de littérature ne cessent d’être publiés et présentés au public, dans différents formats. Mais ce qui est nouveau cette année et qui constitue une véritable surprise, c’est la sortie de ce célèbre roman en arabe et en Tamazight. Enfin, le public arabophone et amazighophone pourra accéder à l’œuvre de ce génie en littérature. L’Etranger a déjà été traduit dans une quarantaine de langues, le rendant accessible à tous les publics, dans le monde. La version arabe, «Al Gharib», a été éditée par les Editions Talantikit de Béjaïa. Le roman a été traduit par docteur Omar Boualeg et présenté par Abdallah Lakdim. L’idée de la présentation de l’œuvre, suivie d’un résumé de la vie d’Albert Camus au début de l’ouvrage, a été excellente. Le public arabophone ne connaît pas forcément l’auteur de ce livre, car absent des programmes scolaires, pratiquement à tous les niveaux. Au format de poche sur un papier agréable à la vue et au toucher, le prix même de l’ouvrage, à 200 DA, se laisse approcher par toutes les catégories de lecteurs. D’un autre côté et quasiment au même prix, les éditions Akma de Tizi-Ouzou ont eu l’ingénieuse idée de faire traduire le même ouvrage en Tamazight, sous le titre d’« Aberrani». L’ouvrage qui est présenté au public a été traduit par Mohamed Arab Aït Kaci. Contrairement à celui traduit en arabe, «Aberrani» ne contient ni présentation ni préface. On peut supposer que le lecteur qui prendra cet ouvrage connaît déjà Camus. Mais ce ne sera pas nécessairement le cas de tout le monde. Ne serait-ce que pour présenter ce fils de l’Algérie, Nobel de littérature parmi les plus importants du vingtième siècle, et certainement le roman le plus important de l’après-guerre, dans le monde francophone, tel que le reconnaissait déjà Jean-Paul Sartre. Ces deux traductions sont importantes pour deux raisons : D’abord, cela donne l’impression qu’Albert Camus a été rapatrié dans son pays d’origine. Ensuite, il se rapproche du public, de plus en plus arabophone, d’un côté et enrichit le catalogue de la littérature amazighophone, de l’autre. On peut, toutefois, regretter le peu de médiatisation faite autour de ces deux événements. L’Algérie, qui gagnerait à s’honorer d’avoir donné naissance, sur son sol, à l’un des plus grands écrivains du vingtième siècle, après avoir enfanté Apulée de Madaure, l’inventeur du premier roman de l’Histoire et donné à l’occident ses meilleurs écrivains, à l’image de Saint Augustin et bien d’autres. L’entreprise de traduction ne devrait pas s’arrêter à ce niveau. Il appartient également aux pouvoirs publics d’encourager ces initiatives et d’investir dans la traduction de toutes les œuvres littéraires, philosophiques religieuses ou scientifiques, qui ont un quelconque lien avec l’Algérie. À quand la traduction des « Confessions » de Saint Augustin, la première autobiographie de l’Histoire ? Doit-on rappeler que le Saint homme était natif de Souk Ahras, et qu’il a exercé comme Evêque de la ville d’Hippone, Annaba actuellement ? Le public arabophone a aussi besoin de découvrir les œuvres de ces hommes qui ont tellement donné au pays, à l’occident et au monde entier. Pour revenir à notre sujet, «L’Etranger», d’Albert Camus, a été publié pour la première fois, en 1942, en pleine deuxième Guerre Mondiale. Ce sera un tel événement que tout le monde de la littérature a salué cette œuvre gigantesque. Aussi bien sur le plan du style d’écriture que sur la pensée de Camus. C’est l’histoire de Meursault, qui se promenait au bord de la mer à Alger, quand il rencontre un «arabe» qui le menace avec son couteau. Ce dernier voulait régler un différend où Meursault avait été impliqué malgré lui. Il avait, en quelque sorte, confisqué son revolver à un ami, pour éviter qu’il ne l’utilise et qu’il ne blesse ou tue quelqu’un. Aveuglé par le reflet du soleil sur la lame du couteau, Meursault sort ce même revolver de sa poche et tire sur l’arabe qui meurt sur le coup. Malgré cela, le français continue à tirer sur lui plusieurs balles. Cela lui vaudra les pires ennuis avec la justice, qui lui reproche d’avoir tiré sur un homme à terre. Excluant, de fait, l’accident et la légitime défense. Plusieurs décennies plus tard, un journaliste algérien décide de déterrer le dossier. Kamel Daoud, chroniqueur au Quotidien d’Oran, provoque un événement gigantesque dans le monde littéraire. Son œuvre est saluée par toute la presse, en Algérie et en France. Il obtient plusieurs trophées littéraires tant en Hexagone qu’en son pays. Il est devenu le phénomène littéraire de l’année. Avec «Meursault, contre-enquête», le journaliste s’est mis à la place du frère de l’«arabe» assassiné par Meursault. Une histoire passionnante qui vaudra à son auteur toute cette réputation bien méritée. Justement. En nous baladant autour des différents stands et en discutant avec le public, force est de constater que le livre de Kamel Daoud est le grand absent de ce Salon. Alors que les ouvrages de Camus sont bien présents, la contre-enquête semble ne pas s’être déplacée vers la ville de lumière, la Bougie qui aurait dû éclairer son public si cultivé et si assoiffé de lecture. Camus présent par ses livres, Daoud présent par son absence, pour reprendre le concept du philosophe Levinas : présence par l’absence. Comment a-t-on fait pour négliger un tel livre, dans un salon que la directrice de la Maison de la culture voulait être « une occasion pour rapprocher le public du livre ?» A qui devrait-on imputer cet oubli, pour ne pas parler de négligence ou de manque de professionnalisme ? D’ailleurs, à y regarder de plus près, les nouveautés n’ont pas été légion lors de ce salon, pourtant entièrement ouvert aux éditeurs, libraires et importateurs. Nous y reviendrons.

N. Si Yani

Partager