La question amazighe au Maroc en débat

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Samedi dernier, au Théâtre Régional de Béjaïa, un Café littéraire a drainé un nombreux public, intéressé par la thématique et l’invité.

Un Marocain, face à une assistance tellement nombreuse que des gens s’étaient assis à même les escaliers. L’invité du jour était Lahoucine Bouyakoubi, venu de la région de Souss au Maroc. Il est enseignant-chercheur et Président de l’Université d’été d’Aghadir qui prépare un grand événement en Juillet prochain sur les valeurs amazighes. Bouyakoubi a commencé son intervention en présentant ses salutations en Tachalhit, soulignant qu’entre sa langue et le kabyle il n’y a pas une grande différence. «La question amazighe ne se pose pas dans son principe au Maroc. Tout le Maroc est Amazigh», dira-t-il. «Il y a trois régions berbérophones au Maroc : Les riffains au nord et qui parlent Tarifith, les imazighen au centre et qui parlent Tamazight, et ichelhiyen au sud et qui parlent Tachelhit», expliquera-t-il. Le conférencier fit ensuite une incursion dans l’histoire, rappelant combien le colonisateur français a pâti de la résistance des berbères lors de l’invasion du Maroc. «Les Français ont très vite compris que ce sont ceux qui s’identifiaient comme Amazighs qui allaient opposer la plus grande résistance». Ils ont donc tout fait pour marginaliser cette catégorie de Marocains, allant même jusqu’à qualifier cette identité de honteuse. Ils ont ensuite encouragé les voyageurs, les missionnaires, les militaires et les scientifiques à sillonner le pays et à produire des études sur les populations, particulièrement en ce qui concerne la langue et le droit coutumier. L’amazighité a été exclue de la vie publique. «Le terme même Amazigh était devenu péjoratif», dira le conférencier. Le berbère était devenu une simple langue vernaculaire appelée à disparaître avec le temps.

Naissance du Mouvement Amazigh au Maroc

En 1967, les Berbères ont commencé à revendiquer individuellement leur amazighité, estimant que l’indépendance du Maroc n’avait pas garanti son amazighité. Ce furent les balbutiements de la revendication berbère, avec la naissance du Mouvement Culturel Amazigh du Maroc. «Il y a aujourd’hui des centaines d’associations amazighes au Maroc, toutes revendiquant d’une façon ou d’une autre l’amazighité», racontera M. Bouyakoubi. A l’époque du roi Hassen II, il y avait une certaine tolérance vis-à-vis de la recherche sur la question amazighe. Il y a aussi eu l’internationalisation de cette question par la création du Congrès Mondial Amazigh, le CMA. Malgré cela, le Tifinagh, alphabet berbère par excellence, était interdit. En face de la répression, il y a eu une large mobilisation de la société civile, donnant lieu à plusieurs manifestations publiques. Pour apaiser les tensions, Hassen II a déclaré dans un discours, qu’il voulait enseigner les dialectes marocains. Mais cette déclaration est restée lettre morte. Après sa mort, son fils s’est retrouvé avec plusieurs dossiers qu’il fallait traiter en priorité, dont la question amazighe. Il y avait également la question des Droits de l’Homme, des prisonniers politiques, le dossier du Sahara, les Droits de la Femme, etc. Il y a eu repositionnement politique des islamistes et des amazighs. Et Mohamed Chafik, un militant de la première heure, a publié son manifeste berbère qui allait donner un formidable élan à la revendication berbère. Mohamed Chafik a été un des enseignants du futur Mohamed VI et aura beaucoup d’influence sur lui, une fois devenu roi du Maroc.

La Question Amazighe sous Mohamed VI

Mohamed VI va créer en 2001, avec Mohamed Chafik, l’IRCAM, l’Institut Royal pour la Culture Amazighe du Maroc, doté d’un énorme budget. Tous les militants de la cause amazighe ont été invités à rejoindre cet institut qui a également intégré tous les chercheurs. Une des premières décisions prises par le roi conseillé par l’IRCAM a été le choix du Tifinagh comme alphabet officiel de Tamazight. Cela a permis de désamorcer la crise entre ceux qui préconisaient le choix du latin et ceux qui préféraient le caractère arabe. De plus, l’IRCAM a travaillé, et continue à le faire, sur une langue Amazighe standardisée. Ensuite, il y a eu l’ouverture d’une chaire en Tamazight à l’Université, un département de Tamazight et l’acceptation officielle des prénoms amazighs.Le conférencier poursuivra : «En 2011, avec ce que l’occident a appelé faussement le printemps arabe, il y a eu la naissance du Mouvement du 20 Février qui a revendiqué, entre autres, la langue amazighe comme langue officielle». Il y a donc eu une réforme constitutionnelle qui a obtenu un consensus général. Lahoucine Bouyakoubi a ensuite fait une déclaration qui en a surpris plus d’un : «Dans la Constitution marocaine, il n’est dit nulle part que le Maroc est un pays arabe. De plus, lors d’une réunion de l’UMA, le ministre des Affaires étrangères du Maroc a proposé aux autres Etats de l’Union de remplacer l’expression ‘’Maghreb Arabe’’, par celle du ‘’Grand Maghreb’’». Selon le chercheur marocain, «il y a de grandes similitudes entre les Constitutions marocaine et algérienne sur la question amazighe». Dans les deux, la langue amazighe est considérée comme langue officielle. Les Marocains demandent aujourd’hui l’égalité de statut entre les langues arabe et amazighe. Mais, le Maroc étant sans gouvernement depuis cinq mois, le dossier est actuellement en situation de blocage. Répondant aux questions des nombreux participants, notamment sur le recours à la violence au Maroc, Bouyakoubi s’est dit contre cette option, étant convaincu que la question est en train d’avancer à un bon rythme. De plus, dira-t-il, «nous avons profité de vos sacrifices», faisant référence aux manifestations du Printemps Berbère et du Printemps noir algériens. Il est intéressant de noter qu’une semaine avant, lors du Café Littéraire précédent, l’invité tunisien a dit la même chose, affirmant que l’expérience algérienne avait permis à son pays d’éviter de tomber dans la violence extrémiste. Il y a donc une certaine complémentarité entre les différents pays de l’Afrique du Nord. Lahoucine Bouyakoubi a rappelé, à la fin de son intervention, combien il se sentait bien à Béjaïa, car la ville ressemble beaucoup à Aghadir, avec ses montagnes et sa mer, et l’atmosphère y est agréable.

N. Si Yani

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